Dernier message

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Il s’était endormi et réconforté et se réveilla d’humeur maussade. Une pluie froide s’était invitée sur le balcon et, pour une fois qu’il prenait un vrai café avant de partir, il en renversa sur sa veste. Il rata son métro habituel et le suivant lui permit d’arriver juste à l’heure . Il réalisa que quelque chose ne tournait pas rond en ne voyant pas le Garrec à la prise de service. Alors qu’il se dirigeait vers les vestiaires, il aperçut Manu en grande discussion avec ses collègues. Son ami le rejoignit au moment où il refermait son armoire et donna un grand coup de pied dans un seau vide.

— Toi, bien sûr, tu n’es au courant de rien! Monsieur l’écrivain est toujours sur son petit nuage !

Manu était rarement de mauvaise humeur et c’était la première fois qu’il se montrait agressif envers lui. Florian finit d’enfiler sa veste en gardant son calme.

— Vide ton sac ! Qu’est-ce qui se passe ?

— Il se passe qu’on est le vingt-cinq et qu’à la fin du mois il y aura douze gars de moins au transbordement. Les plans sociaux… la crise… tu as entendu parler ? Et là, je te parle des titulaires. Pour les C.D.D comme nous, le contrat n’est pas renouvelé et on finit à midi. C’était dans le contrat, tu te souviens ? On fait les comptes, on nous signe un chèque assorti d’une prime généreuse et au revoir ! Avec un peu de chance le Garrec nous exprimera ses regrets sincères.

Il repartit en claquant la porte. Ce matin-là ni l’un ni l’autre n’allèrent prendre le café dans la salle de pause. Florian mit un point d’honneur à assurer un service sans reproche en réfléchissant à son avenir. Il n’avait jamais envisagé de travailler toute sa vie comme technicien de surface dans un hypermarché mais ses finances réclamaient un complément de revenus.

Un calme inhabituel régnait dans le vaste entrepôt. Les employés évitaient de se regarder et les chefs se faisaient discrets. Peu avant l’ouverture au public, il aperçut le Garrec qui se dirigeait d’un pas un peu trop pressé vers les bureaux de la Direction. Il poussa pour la dernière fois son engin de nettoyage dans les rayons et salua une petite caissière brune avec qui il aurait eu dix fois sa chance. Son regard navré lui confirmait la nouvelle bien mieux qu’une annonce officielle. Il était viré.

Tout se passa selon les règles. Á la fin de sa vacation, Le Garrec le fit entrer pour la première et dernière fois dans son bureau et lui remit la lettre fatidique avec un air attristé qu’on aurait pu croire sincère.

— Nous avons dû nous y résoudre, à notre grand regret. Je suis sûr que vous comprenez. Comme vous avez assuré un excellent service, nous penserons à vous dès que le contexte le permettra.

Florian s’était cru obligé de le remercier, contrairement à Manu qui était sorti du bureau en claquant la porte. Il eut juste le temps de rattraper son copain qui partait en trainant les pattes.

— On va quand même prendre un verre ?

Le musicien le regarda comme s’il le tenait pour responsable de la situation puis le suivit sans un mot dans un bistrot voisin. Ceux qui buvaient là se foutaient complètement de leur sort.

— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?

Manu regarda pensivement sa bière.

— Pour l’instant, notre CD se vend bien et on a toujours des prestations d’orchestre, j’ai de quoi tenir. mais c’est la crise pour tout le monde... Toi, tu vas avoir du temps pour pondre un nouveau chef-d’œuvre.

Florian regarda son portable où venait de s’afficher un SMS. L’heure tant redoutée était venue.

— Tu as raison. Du temps, je vais en avoir et ça tombe plutôt bien. J’ai une nouvelle idée de roman et mon éditeur est pressé, il lorgne vers le Salon du Livre. S’il m’envoyait un chèque d’encouragement , ce serait parfait ! On reste en contact ? Tu viendras prendre un verre dans mon sixième étage et je te présenterai mes copains. Je suis sûr qu’ils vont te plaire. J’ai aussi une amie qui organise des soirées avec ambiance musicale.

— J’espère qu’elle ne me demandera pas des animations à base de tango et de valses viennoises. Je commence à saturer.

Ils se séparèrent comme s’ils devaient se revoir le lendemain. Le portable pesait dans sa poche. Il marcha jusqu’au premier banc disposé à l’accueillir et se prépara à apprendre ce qu’il savait déjà. Le doigt posé sur le bouton, il s’interrogea avec un détachement presque scientifique sur sa réaction dans les prochaines secondes .

« Adieu, Florian. Tu me connais, je suis pour l’égalité des sexes. D’habitude, ce sont les mecs qui rompent par SMS et encore, quand ils s’ en donnent la peine. Voilà, c’est fini ! Ne fais pas semblant d’être surpris. On n’était plus fait pour vivre ensemble. Inutile de ma rappeler. Je suis passée prendre mes affaires et je pars faire ma vie ailleurs. Tu trouveras les clés dans la boîte aux lettres. Rassure-toi je n’ai rien cassé. Bises. »

Il resta un moment assis, le regard fixe. Au fond de lui, il avait compris depuis qu’il l’avait vu partir sans se retourner. Il ne se sentait pas triste. C’était autre chose, qu’il n’arrivait pas à définir. Peut-être la honte d’être vaguement soulagé par la fin d’une attente. Il prit conscience de sa lâcheté, peut-être que s’il avait essayé de la rappeler… L’expérience lui avait appris qu’il ne servait à rien de vouloir recoller les morceaux.

Voilà ! C’était fini. Il avait aimé le rire de Jenny, sa capacité pour s’adapter et réagir aux situations imprévues, son talent pour improviser des plats improbables quand débarquaient des invités surprise, son culot incroyable pour négocier les babioles les plus invraisemblables dans les vide-greniers. Maxence s’était souvent demandé si elle n’avait pas une ascendance auvergnate. Oui , il avait aimé tout ça, mais il réalisait trop tard qu’ils n’avaient jamais vraiment vécu dans le même monde. Tous les deux l’avaient probablement compris depuis le premier jour mais s’étaient crus plus fort que l’usure du quotidien. Ils avaient trop longtemps joué au couple heureux et photogénique qui rendait jaloux leur entourage.

Il essaya d’imaginer à quoi pourraient ressembler leurs retrouvailles dans un avenir improbable. Chacun aurait refait sa vie et demanderait des nouvelles de l’autre d’un air faussement enjoué. Il repensa à certains regards de Ségolène. Elle était toujours informée de ces choses-là parmi les premières. Elisabeth aussi, bien sûr ! Il lui fallait maintenant se lever, quitter ce banc moche et indifférent et accepter l’évidence. Tout cela appartenait maintenant au passé.

Il ne se hâtait pas sur le chemin du petit café. C’était là-bas qu’il pourrait endosser sa nouvelle peau. Il ne regrettait pas vraiment l’ancienne. Elle n’enveloppait plus que du vide.

« Quand mon verre est plein, je le vide. Quand Il est vide, je le plains. »

La blague que Nanard ressortait régulièrement lui inspirait maintenant un vague dégout. Un tournoi de tarot conviendrait parfaitement à son état d’esprit et les discussions de comptoir l’empêcheraient de trop gamberger. Il ne lui fallait juste un peu de temps pour qu’une autre vie s’installe.

Il était inutile de prévenir tout de suite ses amis. Ils auraient bien assez tôt l’opportunité de lui prodiguer leur sympathie en ces tristes circonstances. Maxence était très doué pour ce genre d’exercice. Quant à Nanard, sa façon de dire d’un ton geignard :

« T’inquiète, une de perdue, c’est dix qui attendent ! » était tout sauf réconfortante.

Peu avant d’arriver, il effaça le message.

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