Rencontre au sommet

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Il s’étira dans son lit et salua le premier jour après Jenny et sans hypermarché. La veille, il avait éprouvé quelque inquiétude en revenant à l’appartement mais la chambre et la salle de bain n’avaient jamais été aussi bien rangées. Elle avait poussé le détail jusqu’à laver ce qui trainait sur l’évier et vidé la poubelle. Tout était à sa place, seul le silence avait changé. Le parfum de Jenny flottait encore et dans son armoire, les cintres vides étaient parfaitement alignés. Bien entendu, les trois photos d’elle et son stylo multicolore avaient disparu. Aucun mot n’accompagnait les clés qu’il avait trouvé dans la boite aux lettres.

Il s’était préparé à être triste et malheureux mais avait juste l’esprit un peu au ralenti. Il regarda son appartement d’un œil nouveau. Jenny était partie, Julia n’y viendrait jamais, Ségolène et Élisabeth n’y faisaient que des apparitions épisodiques. Tout allait bien.

Il avait maintenant beaucoup de temps dont il ne savait que faire avant ce rendez-vous inattendu. Il n’ouvrit aucun fichier, expérimenta en ligne des jeux stupides, et mit un point d’honneur à ne pas faire le moindre ménage. Après avoir grignoté un morceau de pizza et fini la bouteille de vin italien, il s’affala sur le canapé. La télécommande était à sa portée et lui permit de savourer avec un plaisir malsain un épisode de Derrick. Il s’offrit ensuite une sieste peuplée de rêves mouvementés, qu’il oublia au réveil. Plus l’heure approchait, plus il se demandait si cette rencontre avec le vieux policier était une bonne idée. Nanard affichait depuis son jeune âge un esprit « Mort aux vaches ! » hérité d’un oncle anarchiste et qui s’était renforcé après une garde à vue le soir d’une manifestation. Maxence détestait par principe tout ce qui portait un uniforme, y compris les facteurs et les curés. Charles-Louis n’affichait aucune opinion franche sur le sujet, ce qui n’était pas plus rassurant.

Il lui fallait maintenant se préparer. Le vieux policier avait raison. Il devait aller jusqu’au bout pour en finir au plus vite avec cette histoire. Il décida de jouer à fond les organisateurs et opta pour un costume classique et discret.

Il se regarda dans la glace et caressa sa barbe. Elisabeth avait eu le même geste la veille au soir. Ils avaient beaucoup parlé de Julia et de Jenny au cours de leur dîner dans une brasserie alsacienne où ils avaient retrouvé leur gout commun pour la choucroute, avec tout ce qu’elle rappelait de leurs soirées étudiantes. Elle l’avait écouté vider une nouvelle fois son sac avec une patience qu’elle ne réservait qu’à de rares privilégiés. Elle avait levé plusieurs fois les yeux au ciel tandis qu’il racontait les exploits de Nanard et de Patoche aussitôt surnommés « Dupont et Dupond ». Il n ‘évoqua pas son dimanche et elle ne lui demanda rien. Ils avaient parlé, parlé en revenant à pas lents vers l’appartement d’Élisabeth.

Lorsqu’il rejoignit ses amis dans la brasserie, ils étaient plongés dans une discussion animée au sujet des programmes spatiaux. Maxence attribuait le retard des soviétiques à la corruption et à la gabegie inhérente au régime communiste. Charles-Louis écoutait avec un petit sourire qui pouvait rapidement devenir exaspérant et pariait sur la technologie chinoise en laissant entendre qu’il avait accès à des sources confidentielles. Nanard qui, de son propre aveu avait dans tout ce qui touchait au domaine scientifique la compétence d’une moule, écoutait en faisant semblant de se passionner.

En voyant entrer Florian, il clôtura la discussion d’un définitif :

— De toute façon, le jour où on pourra aller vivre sur Mars, on sera tous morts.

Maxence renouvela d’autorité les consommations.

— Il arrive à quelle heure ton flic ?

— Ne t’inquiète pas, c’est un homme rigoureux et ponctuel.

Charles-Louis regarda à l’extérieur.

— Dans son métier, c’est plutôt recommandé. Je garde un très mauvais souvenir de ma dernière rencontre avec un représentant de l’ordre, en l’occurrence un flic de base un peu trop rigide sur la notion de stationnement.

Maxence se gratta le crâne.

— Je suis impatient de le rencontrer.

— S’il est maigre, les cheveux blancs et l’air autoritaire, il arrive !

Florian se leva et fit les présentations. Sabatier les salua d’un léger mouvement de tête.

— Je connais déjà ces deux messieurs, que j’ai eu le privilège de voir à l’œuvre. Vous devez donc être Charles- Louis. Votre compte-rendu de mission pendant le vernissage est un modèle de précision. Il est condensé, va droit à l’essentiel. On sent le haut-fonctionnaire habitué à rédiger des notes de synthèse.

— J’ai entendu parler de vous. Au début de ma carrière, j’ai été détaché au ministère de l’Intérieur. Vous veniez d’être nommé à la tête de la Brigade Criminelle.

— En effet, la Crim’ fut mon dernier poste. Á bien y réfléchir, il me semble même vous avoir croisé. Je constate que le jeune stagiaire a bien progressé. Vous êtes parti pour une carrière prometteuse.

Il se tourna vers Maxence qui esquissa un mouvement de recul.

— Si j’écris un jour mes mémoires, je vous consacrerai un paragraphe. Ceux que je traquais à l’époque vous auraient adoré. Je suppose que le cahier dont vous ne vous séparez jamais grouille de recettes infaillibles pour être un parfait filocheur. J’ai beaucoup apprécié la discrétion avec laquelle vous avez changé de trottoir lorsque Julia Foscari allait au salon de beauté. Vous avez quand même fait du bon travail, grâce à vous j’ai découvert l’existence d’un peintre lithuanien promis au plus grand avenir… Vous, mon cher Nanard, c’est autre chose ! Je dois reconnaitre que vous m’avez étonné. Avec un physique aussi particulier que le vôtre, vous avez obtenu des résultats intéressants…

— Messieurs, à titre exceptionnel, je vous nomme inspecteurs honoraires. Votre ami Florian vous a fait part de ma proposition ? Parfait ! Je suis en mesure de vous apporter quelques informations.

Il déplia une feuille quadrillée couverte d’une écriture fine.

— Julia Claudia Foscari… quarante-trois ans … née à Venise… naturalisée française depuis dix ans. Elle travaille pour Vogue, une revue de mode haut de gamme, sous le pseudonyme de Sonia Bruschetto. Elle n’a jamais eu d’ennuis avec la justice, ni en France ni en Italie. Elle est propriétaire de son appartement, vit seule, reçoit peu mais sort fréquemment. Elle part en voyage plusieurs fois par an mais ne reste jamais absente longtemps.

Charles-Louis examina par transparence le verre auquel il n’avait pas touché.

— Je suppose que vous avez mis à contribution vos anciens collègues ?...

— Et aussi le voisinage. La routine habituelle. Je vois que vous connaissez les règles du jeu.

Il se tourna vers Florian.

— Maintenant que nous avons fait connaissance, si nous faisions le point sur ce que je n’ose appeler votre enquête. Nous vous écoutons…

Florian s’efforçait de parler à mi-voix, regardant de temps en temps autour de lui comme si la clientèle entière guettait ses propos. Une discrète vibration lui annonça qu’il avait reçu un SMS. L’ancien commissaire écoutait, aussi attentivement que la fois précédente.

— Excellent résumé ! Vous aussi, vous êtes doué pour les rapports. Tout cela m’amène à une seule question. Voulez-vous continuer ? Je sais que je vous demande beaucoup. Si vous voulez arrêter, je comprendrai. Moi, j’aimerais avoir encore quelques réponses et votre aventure m’amuse.

Florian regarda ses amis avec une pointe d’inquiétude. Ils approuvèrent en silence. L’ancien commissaire hocha la tête.

— Je vous comprends, moi aussi, je n’ai jamais laissé tomber une enquête.

Florian se sentait léger et soulagé. Finalement tout s’était bien passé. Un certain lien de sympathie s’était établi entre ses amis et le vieux policier. L’intrigue de son nouveau roman prenait corps et il commençait à sentir vraiment son histoire. Peut-être serait-il prêt pour le salon du livre ? Les souvenirs le laissaient en paix et des morceaux de vie se remettaient en place. En s’asseyant dans le métro, il avait la ferme intention de travailler son roman, toute la nuit s’il le fallait. Le portable sonna.

— Tu as reçu mon message ? Ça t’intéresse toujours ?

Il regarda d’un air idiot l’affiche où un top-modèle vantait les mérites de vacances au soleil.

— OK. Je te rejoins !

— Après tu m’amènes où ?

— Pourquoi pas dans un restaurant chinois ?

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