Dernières révélations

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Ce matin-là, Florian accorda une attention toute particulière à sa toilette et tailla sa barbe avec un soin maniaque , ignorant les étagères vides de la salle de bain. Il refit le lit avec soin avant de s’asseoir devant son ordinateur.

Son nouveau fond d’écran représentait le Pavillon d’Or de Nara. Il se promit d’aller le voir. Il irait aussi faire un tour à New-York. Le peintre maudit se ferait un plaisir de jouer les guides d’un air blasé. Pendant la matinée, il rédigea une quinzaine de pages et les relut avec satisfaction avant de penser à manger.

Il avait regarni son frigo comme pour conjurer le sort. Maxence et Nanard, même lorsqu’ils n’étaient pas célibataires, ne craignaient pas de débarquer à l’improviste. Il se constitua un sandwich sommaire avec des crudités et de la viande blanche et le mangea debout sur son balcon. Ce matin-là, Paris assoupi sous un ciel immense et lumineux, lui parut plein de promesses. Il finit une canette de Perrier oubliée sur la table et s’approcha du poster de Gandalf. Une fois de plus, il essaya de déchiffrer le regard du vieux mage. Lui aussi avait compris. Peut-être savait-il depuis toujours ?… Il haussa les épaules et se remit au travail. Le Ciel pouvait attendre, pas le Salon du Livre. Son portable restait muet mais cela n’avait plus d’importance.

Avec la ponctualité d’un rond de cuir, il retrouva les habitués du petit café et s’offrit même le luxe de noircir quelques pages avant d’être sollicité pour une partie de tarot qu’il remporta avec une aisance de professionnel. Lorsqu’il réussit une garde sans chien à la dernière partie, au milieu d’un silence recueilli, il se sentit parfaitement heureux. Monsieur Lestrade, pourtant distancé de cent points, fit contre mauvaise fortune bon cœur.

— Si j’osais, cher ami, je dirais que vous avez eu une veine de cocu.

Florian trinqua en prenant l’air modeste de circonstance puis complimenta monsieur Sabatier qui exceptionnellement, avait accepté de faire le cinquième.

— Vous devriez jouer plus souvent, chaque fois que nous avons été associés, nous avons gagné.

— En effet, à tous points de vue, nous formons une bonne équipe. Vous voudrez bien m’excuser mais je dois partir.

Florian fut le seul à remarquer l’éclat malicieux dans son regard.

— je vous accompagne. J’ai moi-même rendez-vous avec mon éditeur.

Ils quittèrent le café tandis que les discussions continuaient à propos des bons et mauvais coups joués pendant la partie. Les fenêtres closes de Julia Foscari ne lui envoyèrent aucun message.

— Vos amis savent que vous êtes policier ?

— Bien sûr mais je n’aime pas beaucoup leur parler de mon ancienne vie.

— Paris est tout de même une ville étonnante, constitué d’une multitude de villages qui ne se mélangent guère. Regardez ! Il nous suffit de tourner au coin de la rue Bonaparte pour changer de monde.

— Vous avez raison. Nous sommes deux comédiens qui nous préparons pour jouer le dernier acte. Je suis sûr que Lestrade et les autres ne sont jamais entrés là où nous attendent vos amis.

Monsieur Sabatier marchait, les mains dans les poches, image parfaite du retraité oisif.

— Je dois avouer que des trois, c’est Charles-Louis le plus intéressant. Sous ses airs de play-boy désabusé, c’est un remarquable observateur. Vous auriez tort de lui raconter des salades.

— Je n’ai aucun secret pour mes amis.

Le vieux commissaire sourit sans répondre. Florian aurait donné cher pour connaitre ses pensées.

— Vous avez tort de ne pas les prendre au sérieux. Maxence en a bavé quand il était jeune. On n’est plus au moyen-âge mais il n’est pas toujours facile d’être un rouquin quand on est enfant. Il a au moins une qualité que vous devriez apprécier. C’est un vrai caméscope, il enregistre et se souvient de tout.

— Je n’en doute pas mais il faut, pour être policier, un ensemble de qualités qui dépassent de loin celles de votre joyeuse équipe. Votre ami Nanard, lui, est beaucoup plus malin qu’il n’y parait. C’est un écorché vif. J’en ai connu beaucoup comme lui. Je suppose qu’il collectionne les déceptions amoureuses mais est toujours prêt aux pires sottises pour aider ses amis. Il vient de vous le prouver.

— Il ne doit pas être difficile de vous enfumer quand vous interrogez quelqu’un. Vous devinez tout avant qu’on vous le dise.

Il vit à nouveau s’allumer la petite flamme dans le regard du policier.

— Ne me prêtez pas de super-pouvoirs. C’est juste le fruit de l’expérience. Il ne faut jamais forcer les aveux. C’est un peu comme un accouchement… Dans mon métier on voit ce qu’il y a de pire et, de temps en temps, de meilleur dans la nature humaine. Vos amis sont déjà arrivés.

Nanard et Maxence affichaient la sérénité béate de ceux pour qui tout va bien. Il était content pour eux tout en réalisant que ses vieux copains, si bavards pour s’épancher lorsqu’ils avaient le moindre problème, observaient cette fois une discrétion tout à fait inhabituelle. La vie privée de Charles Louis était, elle, un mystère total, propice à tous les fantasmes.

Leur arrivée interrompit un débat qui tournait au vinaigre. Charles-Louis faisait semblant d’arbitrer avec un petit air que Florian connaissait bien. Il comprit très vite que Maxence et lui charriaient Nanard à propos de la peinture impressionniste dont raffolait Jessica. Comme tous les nouveaux convertis, Nanard se montrait d’une intolérance exacerbée vis à vis de ceux qui osaient critiquer Monet et Renoir. Florian s’assit sortit ses notes.

— Je propose de faire un dernier point sur cette affaire, puisque de toute façon Julia Foscari est partie pour un temps indéterminé. Il reste un ou deux points obscurs, mais tant pis !

Maxence avait le regard de celui qui s’apprête à dire une bêtise mais se tourna vers Sabatier comme un élève attendant que le maitre l’autorise à parler. L’ancien commissaire sortit de sa poche un carnet qu’il ouvrit lentement.

— Si vous permettez, messieurs, je vais éclaircir un de ces détails qui vous tracassent. Grâce à l’immatriculation relevée par Nanard et à quelques vieux amis encore en poste, j’ai pu identifier le jeune homme à l’écharpe blanche.

Florian foudroya son ami du regard.

— Sois gentil, épargne-nous ton numéro du triomphe modeste.

— Il s’appelle Adriano Della Rocca, né le huit février mille neuf cent quatre-vingt-six et domicilié au cent vingt-huit boulevard Suchet. Il est célibataire sans enfants, n’a jamais eu d’ennuis avec la justice et ne se drogue pas. Il possède la double nationalité et travaille comme attaché culturel à l’ambassade d’Italie, ce qui explique la visite de Julia Foscari.

Charles-Louis sortit son paquet de cigarettes

— … Et son côté « latin lover ». Le dernier mystère est donc résolu, nous avons retrouvé son amant.

L’ex-commissaire Sabatier referma son carnet, ménageant ses effets.

— Ce n’est pas son amant mais son fils, né de son mariage avec Gianni Della Rocca, descendant d’une vieille et illustre famille de la Sérénissime. C’est de lui dont elle parlait l’autre jour avec son amie. Il vit en Italie mais vient souvent en France où il représente une marque d’automobile rouge qui nous a tous fait rêver au moins une fois.

Charles-Louis alluma une cigarette après avois fait circuler le paquet.

— Beau travail, commissaire ! C’est bien la preuve qu’on reste flic toute sa vie.

L’ancien policier regarda Florian.

— Plus que vous ne croyez.

Charles-Louis cracha un nuage de fumée.

— J’ai une dernière chose à rajouter, qui confirme ce que nous savons déjà. Lors du vernissage, j’ai revu un vague copain de l’ENA. On s’est retrouvé ce matin au milieu d’un troupeau de ministres et de secrétaires d’Etat. Nous avons reparlé de la soirée et il s’est rappelé d’un incident curieux. Quelques semaines auparavant, il avait croisé Julia Foscari lors d’une autre sauterie du même genre. Elle n’a pas été plus sensible à son charme ténébreux qu’au mien, mais ils tout de même échangé quelques mots. Brusquement, quelque chose a semblé la gêner. Un homme est arrivé, probablement son mari, le mystérieux inconnu des Bernardins.

— Ils se sont parlé ?

— Pas très longtemps mais d’après mon copain, ils avaient l’air de s’engueuler à voix basse et en italien. Pour éviter de se faire remarquer, il sont sortis quelques instants, puis l’homme est parti avec un air très contrarié. Elle, par contre, lorsqu’elle est revenue, avait l’air détendue et soulagée.

Le silence revint. Florian sentait confusément qu’il lui revenait de conclure et cherchait une formule adaptée à la situation. L’ex-commissaire Sabatier ne lui en laissa pas le temps.

— Je pense que nous pouvons être satisfaits de notre travail. Maintenant, mon cher Florian, je vous rends la parole. Vos amis et moi-même nous posons la même question. Jusqu’à quand comptez-vous nous dissimuler votre nouvelle liaison ?

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