Un nouvel amour
Un rayon de soleil se glissait entre les volets mal fermés. Florian repoussa la couette d’un geste agacé. La forme entortillée près de lui remua et grogna, signe que la connexion était établie.
— Quand je repense à hier ! Ils se sont bien payés ma tête tous les quatre ! Si tu avais vu leurs sourires en coin ! Maxence et Nanard ça peut s’expliquer. Jessica et la rouquine leur ont fait des confidences sur l’oreiller. Mais Sabatier !… Je savais que j’avais affaire à une pointure, mais là j’ai pris une grosse claque ! Qu’est-ce qui m’a pris de me frotter à un mec pareil ? « Si je vous disais où j’ai puisé mon expérience, mon cher Florian. En quarante ans de métier, on développe certaines intuitions ! En outre, j’ai le nez fin et je décèle sur vous un parfum, pour ne pas dire une odeur, de femme. » Et les autres zouaves qui se payaient ma tête !
Le grognement informe se transforma en petite voix moqueuse.
— Tu espérais vraiment garder le secret ? Tes copains sont loin d’être idiots et les rendez-vous un soir chez toi, un soir chez moi, je veux bien que ça ait le charme des rencontres adultères sans les inconvénients, mais ça manque de discrétion.
Florian s’assit dans le lit. Par la porte entr’ouverte il apercevait le sourire de Gandalf.
— Á moins, bien sûr, que tu n’aies honte de moi.
Elisabeth émergea du lit défait. Sa coiffure stricte de la vendeuse pour boutique de luxe n’était plus qu’un lointain souvenir. Elle s’étira et glissa une jambe chaude contre sa cuisse.
— Tu oublies Ségolène, mon chéri. Elle a un radar pour ces choses, et je suis sûr qu’elle avait des soupçons. C’est la première qui a été au courant pour Jenny.
— Elle aussi a bien caché son jeu dimanche. Décidément Sacha Guitry avait raison de dire que toutes les femmes sont de remarquables comédiennes à part quelque actrices. Alors maintenant que tout le monde le sait, qu’est-ce qu’on fait ?
— Tu pourrais habiter chez moi, ma coloc n’a pas envie de revenir et, toute seule, je suis un peu juste pour le loyer.
Florian plissa les yeux.
— Tu me demandes de quitter cette luxueuse résidence pour emménager dans ton gourbi ? Cela mérite réflexion.
— Tu pourrais même amener ton vélo. J’ai une cave et un local bien fermés.
— Avec le chèque de mon éditeur, on aurait de quoi voir venir.
— Mhhh…. Je pourrai même être une femme entretenue… mon rêve !
Il se laissa retomber en arrière, les yeux dans le vague.
— Mademoiselle Liza, je vous promet d’examiner avec bienveillance votre proposition.
— Ne tarde pas trop, tu as eu assez d’années pour réfléchir.
— Tu nous imagines tous les deux, en bobos installés, recevant Nanard et Maxence, accompagnés de leurs respectables épouses ?
— J’en rêve déjà.
Elle s’assit près de lui et ramena le drap sur sa poitrine. Des cris d’enfants montaient du square voisin.
— C’est quand même drôle qu’il ait fallu aussi longtemps pour que ça colle entre nous. Depuis qu’on se tourne autour, et qu’on va voir ailleurs en se disant que cette fois c’est la bonne.
— Voilà qui confirme la théorie de Maxence le Sage. Tout ce qui doit arriver arrive, il suffit d’attendre le bon moment.
— Oui, d’ailleurs elle est en voyage et je me fiche de savoir quand elle reviendra. Elle a rempli son rôle et ignorera toujours qu’elle est devenue une héroïne de roman. Un roman qu’elle ne lira jamais.
Elisabeth mordit un rebord de la couette.
— Le bon moment! J’avais cru qu’il était arrivé l’autre soir, quand j’ai vu que les deux autres zouaves avaient trouvé leur moitié d’orange… Je me suis dit que jamais deux sans trois. Et puis, rien ! Le lendemain quand Ségolène m’a raconté en détail votre dimanche et votre fin de soirée, j’ai cru que c’était foutu et je me suis retrouvée à pleurer comme une conne, toute seule dans mon appart’ trop grand. J’espère au moins que c’était bien, tout le monde dit que c’est un bon coup.
— Le premier et le dernier. On a tout de suite compris qu’on était faits pour rester de bons copains. Tu peux me croire, on ne s’est jamais menti tous les deux, sauf peut-être une ou deux fois, par omission.
— Tu as d’autres confessions du même genre ? Je suis preneuse.
— Je ne savais pas à quoi m’en tenir. Tout se mélangeait dans ma tête. C’était comme si l’image de Julia cherchait à m’égarer. Et puis tout d’un coup je me suis retrouvé devant ta boutique et le brouillard s’est levé.
— Mieux vaut tard que jamais. Tu vois quand tu t’en donnes la peine… Et je ne travaille pas dans une boutique mais un magasin de luxe. Tu me jures que tu as arrêté de traquer ton italienne ?
— Je n’en ai plus besoin. Elle est définitivement une héroïne de papier.
— Et si elle se recoonnait ?
— Aucun risque. Tu as une idée du nombre de chefs-d’œuvre impérissables qui fleurissent à chaque rentrée littéraire ?
— Non et je m’en fiche ! Je n’en lirai qu’un. Tu es sûr de le terminer à temps ?
— Ne t’inquiète pas, tout va bien maintenant. Mon héros peut retourner au café Florian.
Les yeux sombres d’Élisabeth brillaient tout près des siens.
— Le Florian… Encore lui … C’est là que…
— Oui, c’est là que !… Tout ça c’est du passé, un passé que je vais ranger entre les pages d’un livre. Elle m’a servi pour me forger un personnage, ensuite c’est devenu une sorte de porte-bonheur pendant l’écriture. Aujourd’hui, son rôle est terminé. Je la ressens de plus en plus comme un corps étranger. La boucle est bouclée, je peux redevenir moi-même.
Elle cala sa tête contre son épaule.
— Si j’ai bien compris, tout est parti de ce café où tu as laissé une partie de toi-même. Tu m’y emmèneras un jour ?
— C’est un lieu mythique, le rendez-vous obligé de tous les intellectuels. Un peu comme le café de Flore à l’époque de Sartre et Beauvoir, mais en beaucoup plus classe. On y croise des masques et des costumes comme au temps de Casanova. On boit le cappuccino dans des petits salons où sont accrochés des tableaux qui feraient la gloire de n’importe quel musée. Le carnaval y est présent toute l’année. Je me souviens qu’un orchestre jouait sur la place Saint-Marc.
Elle caressa ses cheveux.
— Si je comprends bien , tu t’es fait plaquer dans un film de Visconti et tu cours après un belle italienne pour exorciser ton passé.
— Sabatier avait tout compris sur ce coup-là aussi. Ce n’est pas elle dont je cherche à percer les secrets, c’est mon passé dont je veux me débarrasser.
— Flic et psy, il faut absolument que tu me le présentes … Qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ?
— Pour avoir un bon rythme , il faut que j’écrive au moins un chapitre par jour.
Elle se serra contre lui.
— Avant ou après ?
— Après….
Annotations
Versions