Ludwig

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C'est donc dans ma chambre que j'ai passé le reste de ma soirée.

- Je suis absolument furieuse, comment as-tu pu me faire ça ! C'était la toute première soirée bon sang!
- Est ce que c'était ennuyeux ?
- Quoi? Madeleine, Est ce que tu as écouté ce que je viens de te dire...?
- Oui maman, excuse-moi.
Elle se pince l'arête du nez, comme en proie à un mal de tête. Mais ce n'est pas le cas. Elle tente seulement de se calmer et je ne fais rien pour l'aider.
- Ça ne se reproduira plus.
- Je te connais Mady. Ce n'est pas vraiment une surprise à vrai dire. Je pensais seulement que pour cette première soirée tu aurais fait un effort particulier. À quoi cela sert-il de mettre une belle robe si on a pas de jolies choses à dire?
J'esquisse un sourire.
- Bonne nuit Mady.
- Bonne nuit maman.

Je ne compte pas me coucher de suite. A dire vrai je n'ai pas fait grand chose de la journée avec l'arrivée des boches. Je ne prends donc pas la peine de passer une chemise de nuit et descends doucement les marches. Je prends soin de sauter la dernière, celle qui grince, pour ne pas me faire repérer. Je jette un coup d'oeil rapide dehors pour vérifier que chacun est dans sa tente. J'allume une petite lampe d'appoint dans la cuisine pour remplir l'arrosoir. Par cette chaleur si je n'arrose pas mon potager, toutes mes plantations vont mourir. Je verse l'eau le plus doucement possible, les tentes se trouvent à quelques mètres à peine. Une fois les plantes arrosées je décide de rentrer sans trop traîner.
C'est alors que je le vois, à l'entrée de la cuisine, une cigarette aux coins des lèvres. Je m'approche de lui, en fureur.
- Ici, on ne fume pas!

Le Commandant me regarde, l'oeil brillant et amusé sans pour autant enlever cet immondice de sa bouche.
- Je ne fume pas beaucoup.
Je continue de le regarder, l'oeil mauvais.
- Mais si cela dérange Fraulein...
Sortant la main de sa poche, il prend entre ses doigts le restant de sa cigarette, s'acroupit devant moi et l'écrase au sol dans une odeur répugnante.
- J'espère, commandant, ne plus vous reprendre sur le fait.
- Je m'appel Ludwig.
Je le regarde, hausse les épaules, le contourne et pars.

Le lendemain matin je me réveille au chant du coq. Ne pouvant faire comme si mes tâches quotidiennes n'existaient pas. Je me lève, encore somnolante et prends soin d'ouvrir mes volets une fois habillée. Je sors de la chambre mes chaussures à la main. Le Colonel me passe devant en m'ignorant et cela me convient très bien, ce qui ne fut pas le cas du Commandant Ludwig.
- Fraulein. Dit-il en touchant le bord de son képi.
Je les laisse passer devant, attends quelques minutes avant de m'engager à mon tour dans les escaliers. Arrivée dans la cuisine je vois que ma mère a dû se lever bien plus tôt que moi pour tout préparer et j'ai quelques remords de ne pas l'avoir aidé.
- Nous vous fournirons de quoi nous faire du pain.
Je manque de m'étouffer en finissant mon verre de lait, ce dernier menaçant de ressortir par mes narines.

Je vois le Colonel me fusiller du regard, alors que je n'ai encore rien dis! Ces messieurs ne peuvent, bien entendu, manger le même pain noir que nous, ou plutôt ce bloc poisseux et collant sans goût. J'enfile mes chaussures à la hâte avant de me saisir du seau à grain.
Dehors, lorsque je sors, le monde des soldats semblent s'arrêter. Je traverse entre les tentes le plus vite possible pour rejoindre le poulailler. Je sens leurs regards glisser dans mon dos, et même si j'essaie de les ignorer, je sais qu'ils sont là.

Je mesure le grain puis le verse dans les mangeoires des poules. J'enchaîne par la traite des quelques vaches que nous avons pour finir par nettoyer la porcherie. Comme d'habitude j'enlève mes chaussures, il est hors de question de les abîmer avec la boue et les excréments des porcs. J'ai en horreur, davantage l'odeur, que la sensation du lisier sous mes pieds nus. J'en ai des hauts de coeur. Je fais des allers retours avec la brouette jusqu'au tas de fumiers non loin de là. Elle me semble de plus en plus lourde bien qu'elle soit de moins en moins remplie.
- Vous avez besoin d'aide Fraulein ?
Il ne manquait plus que lui.
- Je vous remercie de votre sollicitude Commandant je m'en sors très bien toute seule. Je le faisais déjà bien avant que vous et vos hommes viennent nous envahir. Et je ne voudrais pas que vous salissiez votre beau costume !
-Pourquoi tant de colère? Je n'ai jamais été impoli envers vous.
Comme beaucoup de femmes ça me mets en colère que l'on me dise que je le suis. Je pose la pelle contre le mur, réveillant par la même occasion un porc endormis.
- Je ne suis pas en colère. Qu'est-ce qui vous le fait croire?
- J'ai une soeur Fraulein.
- Grand bien vous fasse!
Dans son regard quelque chose à changé. Une expression que je ne lui avais encore jamais vue rempli ses grands yeux bleus. Je lui ai fait mal, je le vois.
- Je...

Je laisse ma phrase en suspens, je ne sais pas quoi dire en vérité. Mais je ne vais certainement pas m'excuser.
- Je voudrais que vous me laissiez travailler maintenant.
Ma voix est devenue moins dur et mon ton n'est plus provocateur. Je ne me sens pas très bien, comme une enfant consciente de sa bêtise.
- Comme vous voulez.
Je le vois partir sans rien faire. Je termine ma tâche à la hâte, mais ma tête est ailleurs. Je ne suis pas méchante en temps normal, mais cette situation est tellement difficile. Je chasse les remords de ma conscience. Après m'être lavé les pieds je rentre à la maison pour déjeuner. Le Colonel et le Commandant Ludwig sont parti au village, je reste donc seule avec ma mère.
- Comment vas-tu maman?
Depuis ces derniers jours je vois clairement que ses yeux sont fatigués et ça m'inquiète.
- Tu sais, je pense que l'épreuve que nous vivons, nous la subissons tous. Que ce soit nous ou les autres. Je penses que nous aurions tort de nous plaindre. Nous sommes traitées de façon correct.

Je baisse la tête honteuse.
- Je le sais oui. Mais cela ne me dis pas comment tu vas...
Elle sourit, mais tout son visage est triste. Père et Georges lui manque, même si elle n'en dira rien. Lorsqu'elle se lève pour débarrasser je la retiens.
- Laisse, je vais le faire d'accord ? Va te reposer.
Ses yeux se remplissent de larmes.
- Je ne peux pas...
Je la regarde à la fois étonnée et attristée de la voir si malheureuse. Je lui demande doucement :
- Pourquoi dis-tu que tu ne peux pas?
- Je n'arrive plus à dormir, je pense trop. Je ne parviens pas à faire le tri dans ma tête !
Elle se prend la tête dans ses mains, serrant les doigts contre son crâne.
- Je dois...Je dois absolument rester occupée.
Je pose une main dans son dos mais elle se dégage en disant :
- Ça va aller ne t'inquiète pas. Je suis juste fatiguée.
Puis elle se tourne pour débarrasser et faire la vaisselle.
- Le Colonel Ulrich m'a parlé de toi ce matin. Il espère te voir ce soir dans de meilleures dispositions.
La colère gronde en moi mais je n'en laisse rien transparaître.
- Ne t'en fais pas pour ça maman. L'avis d'un Allemand à bien moins d'importance que nos autres sujets de préoccupation d'en ce moment ne penses-tu pas?

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