Les pommes de terre
Une lettre de Georges vient d'arriver. Je me précipite pour monter la lire au calme.
Ma petite Mady,
Je tiens bon, même si vous me manquez tous, j'ai hâte de revenir vous serrer dans mes bras. Nous essayons de garder le moral. On se raconte des blagues ainsi que nos souvenirs pour nous amuser un peu et sortir de l'horreur de cette guerre.
Les autres jouent aux cartes pendant que je t'écris cette lettre. Nous perdons non seulement notre apparence humaine mais aussi ce qui faisait de nous des humains. Nous tuons nos semblables, comme des animaux. Nous avons faim, nous avons peur, c'est le jeu de la guerre. Mais nous restons forts, plus vite nous gagnerons plus vite je serai rentré auprès de vous.
Je ne veux pas te mentir Mady et te dire que tout va bien. J'aimerais trouver les mots pour te rassurer mais je sais que tu n'es pas dupe et que tu ne te satisferas pas de cela. Je n'ai plus envie de me battre, plus envie de craindre la mort, plus envie de voir s'amonceler les cadavres. Mais avons-nous le choix? Je ne le pense pas.
Penser à toi m'aide à tenir chaque jour. Alors prends soin de toi ma petite Mady.
Je t'embrasse tendrement
Georges
J'ai terriblement mal pour lui. Il n'est pas habitué à tout cela. Qui le serait?
Je ne perds pas une minute pour lui répondre. Mes mains tremblent tellement que je fais tomber des gouttelettes d'encre sur le papier, ce qui m'oblige à recommencer plus d'une fois.
Mon frère,
Tu me manques terriblement. Mais tes lettres m'aident à supporter ton absence.
Pour le moment nous ne sommes pas touchés par les bombes, malgré tout j'ai peur. Je n'ai pas peur pour moi mais pour toi. L'espoir de te revoir me fait tenir un jour de plus à chaque fois.
Je respire les lettres que tu m'envoies, elles ont ton odeur même si l'enveloppe est souillée. Je n'ose imaginer ce qui s'est passé depuis que tu as écrit ta dernière lettre. Je suis assoiffée de tes nouvelles, je voudrais des lettres où je saurais chaque seconde de cet enfer que tu es en train de vivre. Mais je sais que c'est impossible. J'apprécie que tu te confies à moi en me disant vraiment ce qu'il en est de cette guerre. Je ne veux pas que tu me ménage, s'il te plait dis moi tout.
Tu nous manques à toutes les deux. Nous devons rester fortes et nous le serons. La vie est loin d'être facile sous l'occupation allemande, mais ça n'a rien à voir avec ce que toi et papa vivez en ce moment.
À bientôt mon cher frère
Mady
La journée passe avec une folle rapidité. Je contourne la ferme pour avoir accès au champs où poussent les pommes de terres. Elles sont bonnes à butter. Alors que je ramène la terre autour des feuilles je songe au tract que l'on m'a donné. Je regrette de ne pas l'avoir gardé. Ce soir je la dessinerais sur la base de mes souvenirs, et pourquoi pas faire ma propre affiché de propagande anti allemands ?
Le soleil est accablant, plus le temps passe plus je vois mes pommes de terre onduler sous le soleil. Et cette rangée de tubercule qui ne semble jamais terminer.
- Donnez.
Le Commandant tend la main vers la pelle que je tiens. Je suis si épuisée que j'accepterais l'aide de n'importe qui, mais pas de lui.
- Je vous remercie mais j'ai presque terminé.
C'est complètement faux. J'en ai bien pour au moins encore deux heures à butter mes pommes de terre. Je le vois hausser un sourcil devant le reste de la tâche à accomplir.
- Ne soyez pas têtue Fraulein.
- C'est vous qui êtes têtu à vouloir absolument me faire accepter une aide dont je n'ai pas besoin!
Je me redresse d'un coup. Ma tension chute en une fraction de seconde et me voilà avec des étoiles devant les yeux. Je m'agenouille, de peur de perdre connaissance.
- Rentrez Fraulein, vous êtes épuisée.
Je secoue la tête. Ces pommes de terre doivent absolument être buttées.
- Laissez moi au moins vous aider...
- D'accord.
Je cède, pas de gaité de coeur mais parce que je ne pourrai jamais terminer seule.
- Vous trouverez une autre pelle dans la grange.
- Êtes-vous certaine de vouloir continuer ? Ces pommes de terre ne vont pas s'envoler.
Je hoche la tête en signe d'affirmation.
Apres quelques instants mes forces me sont rendues. Une fois revenues, je vois le Commandant qui m'observe attentivement.
- N'avez vous jamais butté de pommes de terre?
Son rire raisonne quelques instants.
- Je n'ai pas vraiment grandi dans la terre.
- Et que faisiez vous donc de votre vie avant que cette guerre n'éclate?
Il commence à butter tout en parlant.
- Je suis fils unique, j'ai grandi à Berlin. Comme la plupart je suis allé à l'école, puis j'ai commencé des études. Je n'ai terminé que l'an passé.
- Qu'est-ce que vous avez bien pu choisir pour faire des études aussi longues!
- J'ai choisi de faire de la recherche scientifique.
Je sourie en mon for intérieur.
- Ça ne m'étonne pas vraiment. C'est typiquement le genre de chose que je n'aurais jamais fais.
- Pourquoi donc?
La vrai raison c'est parce que je ne suis pas suffisamment intelligente pour cela. Comme s'il lisait dans mon esprit il ajoute:
- Vous êtes loin d'être stupide.
Devant mon silence il doit se sentir contraint de poser une autre question.
- Quelle était votre vie avant de nous voir débarquer?
Je réfléchis quelques instants.
- La vie était belle, pleine de joie et de vie. Mon père, ma mère, Georges et moi travaillions dans la ferme familiale. Normalement je ne m'occupe pas du champs, mais la guerre oblige.
- Que faisiez vous?
- Je m'occupais des animaux.
Je l'entends soupirer.
- Ne pouvez vous pas être plus précise ? Je ne sais pas étoffez un peu. Vous semblez avare de parole...
- Je ne suis pas d'un naturel très bavarde mais pour vous faire plaisir je vais etre plus précise. Je m'occupe de donner le grain aux volailles et prendre les oeufs, traire nos quelques vaches, récurer la porcherie, l'étable, le poulailler et les clapiers. Je fais tout ce qui a trait aux animaux . Les doucher, traiter et soigner fait aussi partie du travail. Je suis donc en général plutôt occupée.
Je m'essuie le front.
- Nous en sommes venus à bout finalement de ces pommes de terre!
J'ai conscience d'être échevelée, transpirante et de ce fait repoussante. Étrangement j'en suis gênée, ce qui n'était pas le cas avant. J'essaie de me persuader que ce n'est pas dû à la présence du Commandant Ludwig.
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