La photographie
Une fois le soir tombé, le repas achevé et la vaisselle faite je monte dans ma chambre, décidée à dessiner l'affiche de propagande anti allemand.
Je n'ai plus mes crayons, abandonnés dans la chambre du Commandant le jour de leur arrivée. Je n'ose pas frapper à sa porte, et encore moins à cette heure-ci, cela ne serait pas convenable. Aussi je prends un bout de papier et rédige une petite note:
Auriez vous l'amabilité de me rendre mes crayons ainsi que mon chevalet?
Je ne signe pas, il saura qui lui envoie ce message. Puis je glisse sous sa porte. Je me mettrais à dessiner de mémoire l'affiche de propagande que l'on m'a donné avant de l'enfermer dans ma boîte à secrets.
Je n'attends pas cinq minutes que des coups sont frappés à ma porte. Mon coeur cesse de battre l'espace de quelques secondes. Je ne pensais pas qu'il me les rendrait dès ce soir... Heureusement que je ne me suis pas mise en chemise de nuit!
J'entrouvre la porte.
- Frau...
Je lui intime l'ordre de baisser la voix. Il ne manquerait plus que tout le monde se réveille. Je ne l'invite pas à entrer, ce serait inconvenant. Il reste sur le pas de la porte. Je remarque qu'il n'a pas sa veste sur lui et que sa chemise est entre ouverte. Je remonte aussitôt les yeux. J'ai déjà vu Georges dans pire tenue que celle ci, mais voilà, ce n'est pas Georges.
- Je suis venu vous rendre votre matériel.
Si il savait à quoi je destine toutes ces couleurs je penses qu'il n'aurait pas mis tant de hâte à me les rendre. Il attend visiblement quelque chose et reste debout dans l'encadrement de la porte. Au moment où j'ouvre la bouche pour le remercier il me demande:
- J'ai vu que vous aviez reçu une lettre de votre frère. Comment se porte t'il?
Je penche la tête légèrement sur le côté ne sachant ou il veut en venir.
- Pourquoi vous intéressez-vous tant à mon frère ?
- J'essaie seulement d'être gentil.
- Pourquoi?
Le volume de ma voix est si faible que je doute que lui même l'ai entendu, pourtant il y répond.
- Ma soeur dit que je lui manque beaucoup, alors je suppose que le votre aussi doit vous manquer.
Je baisse la tête, je suis mal à l'aise sans trop vraiment savoir pourquoi.
- Il n'y a rien d'anormal à cela je suppose. Tant que j'ai de ses nouvelles je n'ai pas de raisons de m'inquiéter.
Il plonge sa main dans le col de sa chemise et en sort un médaillon argenté. Il l'ouvre d'une pression du doigt et me montre son contenu. La photographie d'une jeune femme aux grands yeux bleus me dévisage. Je suis consciente du regard du Commandant sur moi, et qu'il attend une réaction de ma part, quelle qu'elle soit.
- Comment s'appelle t'elle?
- C'est Heidi.
Elle est vraiment très belle. Moi qui n'ai jamais vraiment eu de problèmes d'estime de moi je me sens d'un seul coup une moins que rien. En fait, je suis jalouse de cette ravissante femme pour une raison que je m'efforce d'ignorer. Je sens que ma gorge est nouée lorsque j'avoue:
- Elle est magnifique.
Cette vérité me fait mal par ce qu'elle me rappelle à quel point nous venons d'endroits différents, et même si je ne devrais pas y accorder d'importance cela en a pour moi.
- J'aurais aimé pouvoir en faire autant pour mon frère.
- Pourquoi ne pas l'avoir fait dans ce cas?
- Nous n'en avons pas vraiment eu le temps...
- Il n'est pas trop tard. Dans votre prochaine lettre vous pourrez y joindre une photo de vous!
Je secoue la tête.
- Je ne suis jamais allée chez un photographe!
Il me regarde d'un oeil amusé.
- C'est bien dommage. Mais je suis certain que ce n'est pas ce qui vous retient.
Je sens mes joues s'empourprer. Il ose se moquer de moi ouvertement! Je suis plutôt susceptible à la moquerie. Aussi je ferme la porte à quelques centimètres à peine de son nez. Je l'entend rire tout bas avant de rentrer dans la chambre de Georges.
Le lendemain matin je prends le temps de me faire une couronne de tresses même si je ne sais pas vraiment pourquoi.
J'attaque la journée sur les chapeaux de roues comme d'habitude. Puis je rentre déjeuner.
- Tu es bien jolie aujourd'hui.
Je regarde ma mère surprise. Elle me fait rarement de compliments. Elle me regarde en froncant légèrement les sourcils.
- Quelque chose ne va pas maman?
Elle pousse un long soupir.
- Fais seulement attention d'accord ?
Je sais très bien de quoi elle me parle.
- Cette coiffure n'a rien à voir avec le Commandant maman! J'avais juste envie de changer...
- Je te dis juste de faire attention.
Nous mangeons dans un silence monacal.
En début d'après-midi, alors que je suis en train d'arroser mon carré de potager en fin de vie, le Commandant vient me voir.
- Venez, nous allons au village, vous allez vous faire photographier !
- Pas question !
- Vous n'êtes pas une dégonflée Madeleine je le sais.
C'est la première fois qu'il m'appelle par mon prénom et pas en utilisant "Fraulein ". Quelque chose se réchauffe dans mon coeur et j'essaie de chasser cette sensation qui n'a pas lieu d'être.
- Vous avez raison je ne suis pas une dégonflée, mais je n'irait pas faire cette photo !
- Pensez à Georges, ne soyez pas tant égoïste. Ce n'est pas parce que vous avez peur qu'il ne faut pas le faire.
- Je n'ai pas peur!
Je me garde bien d'ajouter que c'est seulement parce que je n'aime pas mon visage. Alors me voir figée sur une photographie non merci. Mais je pense à Georges. Cherirait t-il autant cette photo que le Commandant admire celle de Heidi?
- C'est d'accord.
Nous pédalons jusqu'au village, descendons de vélo, et les déposons au bord de la fontaine. Nous nous arrêtons devant la boutique, je m'apprête à entrer lorsque le Commandant me retient par le bras.
- Attendez...
Il se place devant moi sans bouger l'espace d'un instant. Il approche sa main de mon visage, saisie une mèche folle et vient la replacer derrière mon oreille.
- Parfait.
Je rentre dans la boutique avant qu'il n'ai eu le temps de voir mon visage tourner à l'ecarlate.
La boutique est tout ce qu'il y a de plus atypique. Le photographe est en réalité LA photographe. Vêtue d'un pantalon à rayures et d'une veste d'homme elle arbore un chignon bas qui lui donne un petit air de lutin.
- Bonjour, c'est pour une photo de couple?
- Non pas du tout!
Je me suis dépêchée de répondre comme si ma vie en dépendait pour le plus grand amusement du Commandant Ludwig.
- Ne prenez pas cet air horrifié, j'ai déjà fait plusieurs photos de ce genre depuis le début de la guerre et monsieur est plutôt bel homme.
Il doit sentir toute ma détresse car il vient à mon secours:
- C'est pour une photo de mademoiselle, à envoyer à son frère.
Elle me fait signe de la suivre puis de m'asseoir sur une chaise.
- Je reviens.
Suivie de près par le Commandant, je me retrouve seule un instant dans mes pensées.
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