VI

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Cette nuit allait célébrer son entrée dans cette société sanguinaire. La Princesse pénétra dans la grande salle obscure où filait son destin morbide, la salle du conseil mené par les Anciens.

La lumière se diffusait du plafond grâce à une imposante rosace aux mille éclats qui éclairait si bien le centre de la vaste pièce voûtée semblable à une église. Une large allée de pierres blanches montrait le chemin à suivre encadrée par deux rangées de bancs sombres. Alors que de nombreuses paires d’yeux surnaturelles se tournaient dans sa direction, son regard se perdit dans les ténèbres. Les Anciens lui faisaient face depuis leur poste haut perché. Tapis dans l’obscurité, une quinzaine de visages au teint cadavérique et aux prunelles creuses la dominaient. Ils ressemblaient à des moines encapuchonnés au visage fantomatique, tous vêtus de la même bure noire.

Glenn se trouvait parmi les invités quand il vit entrer sa fiancée. Son escorte avait ouvert les deux grandes portes en bois pour laisser passer la charismatique jeune femme vêtue d’une élégante robe rouge. Il s’avança dans la lumière au centre de la pièce et attendit, les yeux braqués sur Cordelia. La princesse le rejoignit suivie de murmures provenant de l’assemblée.

Magnifique spectacle que de voir ces deux nobles joyaux : l’un semblable à une pierre de lune, l’autre à un rubis couleur flammes, s’approcher à l’heure de leur jugement devant être rendu par les immondes masques blanchâtres qui les surplombaient. Le rituel allait pouvoir commencer. L’un des visages blême se dressa et prononça d’une voix grisonnante :

« Vampires, le Conseil vous a réunis en cette nuit pour accueillir une nouvelle enfant en son sein, la princesse Cordelia ici présente. » prononça l’un des Anciens d’une voix chevrotante et sifflante en désignant la princesse de sa longue main aiguisée.

La Princesse se retourna vers les invités, les toisant. Les deux clans étaient présents, tous alliés, tous damnés.

***

« Le sang m’a été offert ainsi qu’une nouvelle forme appelée vampire, et cela, je le dois à mon fiancé, déclarai-je en tendant la main vers lui tandis que des voix se faisaient entendre de toutes parts de la pièce lugubre. Je n’étais qu’une petite enfant figée à ses dix ans, mais me voici à présent devant vous, la princesse Cordelia, prétendante au trône et future reine de ce monde. En cette unique nuit, je fais devant vous, le serment d’épouser le prince Glenn et faire ainsi perdurer la paix entre les vampires. »

Elle acheva sa tirade par une génuflexion, la main sur le cœur. Glenn entama son discours dans les acclamations des siens, puis se baissa à son tour solennellement.

Le Conseil annonça leur mariage officiellement. Quelques dames de l’assistance éclatèrent en sanglots. D’autres foudroyèrent du regard la princesse, car leur beau prince allait appartenir à une autre. Elles en étaient folles de jalousie.

Les futurs époux devaient clôturer ce rituel vampirique avec un sacrifice prouvant leur fidélité à la nouvelle union des deux clans jadis ennemis, mais cela n’était qu’une mise en scène symboliquement morbide : un peu de sang versé pour égayer une foule de vampires assoiffés.

Glenn attira un jeune garçon vers lui. C’était son plus jeune frère. Il l’étreignit tendrement tandis qu’il faisait tomber la cape sombre qui recouvrait le corps blanc et frêle du garçon. Tous avaient les yeux rivés sur la scène fraternelle et charnelle. Le prince déposa un baiser sur son front, le petit pleurait à chaudes larmes. Puis il se saisit d’un long couteau qu’un serviteur venait de lui apporter. Glenn dans une posture ferme et protectrice tenait le jouvenceau d’une main, et de l’autre il abattit la lame dans sa poitrine. Dans un dernier cri, le sublime séraphin s’envola au ciel, béni du sang que son frère avait sacrifié. Des hurlements de joie et des acclamations fusèrent dans les rangs, tandis que Glenn portait comme un trophée le cadavre de l’enfant. Les Anciens semblaient ravis du spectacle.

Ce fut le tour de Cordelia de répandre le sang de l’un des siens sur le sol. Elle fit venir une jeune fille tremblante dans le cercle de lumière. Tous étaient captivés et pas un bruit ne résonnait dans la pièce. La princesse dansait avec la jeune fille, lui témoignant toute sa gratitude et son amour pour elle. Soudain, elle saisit le menton de la jeune fille pour qu’elles se regardent dans les yeux.

Aux yeux de l’Assemblée, le spectacle était délicatement délectable et dramatique, quand tout à coup les lourdes portes en bois s’ouvrirent à la volée. Une femme, les bras tendus, se tenait sur le seuil. C’était la mère de Cordelia.

***

Je la reconnus tout de suite, bien que son visage fût tapi dans l’ombre. C’était ma mère, cette femme pour qui je n’éprouvais que du mépris. Jamais elle ne m’avait aimée et jamais je ne l’ai aimée. Mère pour qui je demeurais la plus grande erreur. Lui ressembler en devenant vampire me répugnait alors, je me suis refusée au sang. Mais à présent, me voici son égale : toutes deux vampires. Un étrange sentiment de satisfaction m’envahit. Elle s’avança.

« Bonsoir mes chers amis, messieurs les Anciens, entama-t-elle dans une révérence, j’ai appris que ma très chère fille était enfin des nôtres et je me suis empressée de venir la féliciter, bien que je n’aie point reçu d’invitation. » Elle s’arrêta, m’apercevant enfin. Je lâchai la fille que je m’apprêtais à sacrifier pour la regarder, elle. « Oh mais…Cordelia c’est bien toi ? demanda-t-elle le visage émerveillé, ma fille ! La future reine ! »

Elle déclama ces paroles en s’avançant vers moi les bras tendus « Comme je suis fière de toi, oh mon adorée. ».

Maintenant qu’elle allait devenir mère de la reine, je ne demeurais plus une aberration de l’espèce à ses yeux. Son ton maternel me révulsait. Un sourire espiègle se traça sur son visage quand elle voulut me serrer dans ses bras. L’assistance fut agitée de murmures, et les Anciens observaient la scène sans mot dire. Je fis alors un pas dans sa direction, écartant les bras pour l’accueillir convenablement et eut un sourire encore plus satisfait. « Mère… »

Ma main fendit l’air.

L’expression de son visage se tordit de douleur, dans une austère grimace d’incompréhension.

Je tenais son cœur chaud et encore battant dans ma main. « Vous m’avez manqué. » dis-je en arrachant sa vie qui s’écoulait à flots vermeils. Je la retins dans sa chute, mes yeux baissés vers elle, son cœur dans ma paume tendue vers le ciel. Son cadavre, figé par la haine, me maudissait de son regard noir sans vie, mais qui continuait à me fixer, m’accuser du crime de ma venue au monde. Ma mère, mon amour pour vous n’a jamais su contrer ma haine, ni la vôtre. Je relevai alors mes yeux vers l’Assemblée de vampires « Ceci est mon sacrifice ! » annonçai-je en brandissant l’organe dégoulinant d’un filet rouge. Des acclamations fusèrent. Les Anciens ne cachèrent pas leur satisfaction. Ce fut mon premier acte en temps que future reine des vampires, je venais de sacrifier ma propre mère.

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