XII
On massacra la porte de la chambre. Cordelia déjà sur ses gardes, déjà aux abois, vit les gardes de son terrible fiancé, pénétrer de toutes parts son cocon intime. Ses yeux inquisiteurs croisèrent ceux de Glenn, il se dressait devant elle avec confiance.
Vociférant insultes et maudissant ses ravisseurs, la Princesse ne réussit pas à se défaire de leur emprise douloureuse – mais pas aussi douloureuse que de se faire dévorer vivante, me direz-vous –.
« Échec et mat, ma douce. » susurra Glenn, victorieux face à la femme qui lui en faisait baver depuis le début de cette petite histoire.
À bout de souffle, résignée à ne plus lutter, Cordelia avançait lentement, les mains lourdement enchaînées. Soudain, elle releva la tête comme prise de démence ! Un sourire de démon fendait son visage, et ses yeux exorbités dévoraient Glenn avec fureur. Son rire de demeurée s’éleva de sa délicate gorge de cygne.
« Quel prince ! hurla-t-elle, tu as besoin de tes petits soldats pour me soumettre. Pour me soumettre, moi, une seule femme ! Comme tu es brave mon joli, comme tu es fort ! Quel exploit ! On a omis de me dire que j'avais épousé un enfant. Joue bien avec tes soldats de plomb, mon petit. » Elle lui lança un baiser, soulevant ses chaînes bruyantes, et fut entraînée hors de la chambre.
Que vienne l’heure du mariage !
La funèbre danse des cloches qui sonnaient le moment tant attendu, tant redouté. Le mariage. L’ultime moment de trahison des courtisans de la Lune, la noce qui allait détraquer le jeu. L’essence même de la damnation de ce livre malsain !
Lecteur, tu es l’invité d’honneur.
L’endroit béni où le sang de la mère fut versé. Des milliers de bougies aux mèches virevoltantes et la lumière de la Lune qui illuminait la rosace insoumise au temps. La salle de réception bondée de vampires venant assister à l’événement du moment, l’alliance entre les deux clans rivaux transformée en lieu d’exécution. La trahison est absolue, omnisciente, le Dieu véritable de ce monde, mes chéris.
En lieu et place d’exécution, le marié se tenait devant l’autel gris accompagné d’un Ancien et d’un prêtre mastiquant une varice humaine avec vigueur, dont le sang s’écoulait encore, goutte par goutte, sur le sol.
Les grandes portes s’ouvrirent pour accueillir la mariée. Le silence s’installa. Seul le rythme des gouttes de sang s’écrasant sur le sol glacé, berçait la salle aux aguets.
Puis le pur tintement du fer se fit entendre. Un pas. Le crissement volumineux des lourdes chaînes. Un pas. Le bruissement de la robe. Un pas.
Sur un long tapis rouge sombre, Cordelia avançait. La tête baissée, sans voile immaculé, les bras pendants, entravés par de lourdes chaînes. Elle croulait sous leurs poids, la robe de mariée traînant par terre, déjà salie.
Glenn regardait avec fierté sa future femme. Une Princesse souillée, avançant vers lui, soumise par le fer. D'un pas lent, cadencé par les cliquetis de ses fers menaçants et la musique des gouttes de sang, elle allait au-devant de sa fin. L’ennemi allait triompher.
Non.
Elle releva la tête. Ses beaux yeux verts emplis de haine. Elle était arrivée.
La mariée, déjà consommée, aussi bien au sens littéral que figuré du terme, eut l’abdomen transpercé par la lame scintillante de son époux. Davantage de ce liquide pourpre tacha le sol. La robe lactée commençait à se teinter de la couleur de la passion. Glenn retira son épée et la brandit vers les invités avec triomphe. Des acclamations s’élevèrent de part et d’autre de la salle « Vive le nouveau Roi ! Vive le nouveau Roi ! ».
La foule se souleva. Certains sortirent les armes pour aller égorger leur voisin de rangée. L’on entendait les victimes hurler, leurs crânes se briser sous un choc violent. Dans cette folie meutrière, la famille de Cordelia avait été prise en traître et abattue durant la cérémonie. Le plan se déroulait comme prévu. Le pacte détruit pour de bon.
Cordelia hurla de désespoir face au bain de sang qui se déroulait face à elle, retenue par Glenn qui l’empêchait de se jeter pour sauver les siens. Le Prince projeta les chaînes derrière lui, fit basculer la femme ensanglantée et embrassa son épouse sous les agonies et rires de son nouveau peuple.
« Vous pouvez embrasser la mariée. ».
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