XVI
Un endroit. Un endroit qui réunissait de nouveaux les époux maudits. Mon fabuleux lecteur, je dois te dire que je ne peux pas faire gagner Cordelia, même si je sais que tu l’adores, moi aussi, au passage. Je lui ai donné une autre mission, vois-tu. J’ai de grands projets pour elle, et Glenn peut au moins vaincre, face à sa femme. Petite guerre, je te permets de commencer sans plus tarder.
Les troupes de la Reine brandissaient de grands drapeaux de sang parés de dorures merveilleuses : des fleurs indiscrètes aux pétales fournis. La Reine au front de son armée, montant un étalon musclé à la robe blanche immaculée. Avec son imposante chevelure qui lui donnait une aura brûlante, son sourire rouge et ses yeux satisfaits, elle était prête.
Glenn, du côté adverse, n’affichait aucune émotion. Ses gens derrière lui se tenaient en alerte, munis de drapeaux noirs aux parures d’argents qui rappelaient les cheveux du Roi dont les yeux noirs, éteints, contemplaient le ventre rond de sa femme. Hors de question de perdre l’enfant. Hors de question de la perdre, elle.
Funeste moment où Cordelia leva le bras pour sonner l’assaut principal. Les trompettes tonnèrent en une longue note accompagnée par le bruit des sabots foulant le sol. La Reine envoyait ses pantins au combat : elle, elle attendait la venue de son mari.
Les hommes du Roi s’étaient jetés à corps perdu sur l’ennemi furieux. Des grognements de rage ou d’agonie s’élevaient purement. Le fer frappait, les flèches plantaient, les armes entonnaient leur besogne, les corps tombaient.
Nous ne savions pas encore qui prenait l’ascendant du combat. Le saisissant bazar continuait tandis que Glenn s’approchait. Cordelia n’avait pas encore avancé vers lui. Une tête roula devant elle, aux pieds de sa monture. Elle baissa les yeux.
Le sabot fendit le crâne avec nonchalance, allant à la rencontre du Roi.
Enfin, ils se firent face. Le chaos les entourait de ses bras sanglants, suspendant le temps pour l’ultime rencontre. Ils étaient seuls, l’un pour l’autre, l’un contre l’autre. Cordelia apposa ses mains sur son ventre avec tendresse, tandis que des cris de douleur résonnaient.
« Voici notre enfant. »
Glenn la regardait avec fascination, cette déesse majestueuse qui portait leur enfant avec tant d’amour dans les traits. Jamais il ne l’avait connue ainsi. Son cœur ressentit cet amour profond qu’il ressentait pour cette femme.
Mais, non.
Cordelia, avec son doux sourire, les yeux baissés vers son ventre, ne bougeait plus ses mains maternelles. Glenn ne comprenait pas. Il y avait un flottement dans l’air, quelque chose se tramait. Ses hommes faiblissaient-ils ?
Dans cette seconde d’inattention, il ne put empêcher ce qui se produisit sous ses yeux.
Elle planta ses mains crochues dans son ventre, creusant la chair d’où jaillit une fontaine de sang, pour en dénicher le fruit du vice. Cordelia arracha le bébé de son ventre et le brandit avec force.
Un garçon.
Ses yeux injectés de rage fixèrent ceux de Glenn. Elle jeta leur fils dans le champ de bataille.
Glenn lança sa garde rapprochée sur Cordelia, fou de colère.
« Attrapez cette femme ! » il hurla ses trois mots dans un profond désespoir. Les gardes de la Reine furent tués. Cordelia se laissa faire quand ils la prirent pour la seconde fois depuis le mariage, trop affaiblie pas son ventre encore ouvert. Elle fut attachée. Le combat prit fin. Glenn sortait vainqueur, il avait capturé la chef ennemie.
Le clan du Roi avait finalement gagné et régnait donc sur le monde de la nuit. Les pertes furent grandes pour les deux armées et beaucoup de vampires à peine nés, étaient dès lors livrés à eux-mêmes sans Reine pour les guider. Mais Cordelia avait mieux à faire : son mari allait la séquestrer.
***
Ainsi donc après avoir sacrifié sa mère, notre désenfantée Reine Cordelia avait achevé son propre fils pour offrir une sublime douleur à son mari. Cruelle femme, mais cela valait bien un peu de sang versé, c’était encore une victoire immorale, mais délicieuse.
Glenn avait terrassé l’ennemi et régnait en paix sur le royaume des vampires. Un petit conte de fée pour le Roi. Tous l’acclamait, les femmes se pressaient à sa porte pour obtenir ses faveurs, le pouvoir absolu était sien – aidé grandement par le conseil des Anciens, n’est-ce pas petit Roi ? – mais tout ce paradis idyllique possédait une ombre. Le bon Roi était amoureux fou de l’ennemie : sa femme. La Reine ! Malgré toutes les horreurs qu’ils s’offraient dans leur jeu mutuel, l’amour primait.
Mais cet amour n’était en rien réciproque, bien évidemment, c’est Cordelia tout de même ! Car en effet il l’avait engrossée suite à deux viols ensanglantés. Donc elle avait jeté le bébé à la tête de son mari, comme n’importe quelle femme sadique l’aurait fait.
Le Roi était dévasté, par un sentiment qui brûlait son cœur à petit feu, à cause de la perte de son fils qu’il n’avait connu que quelques secondes. Le royaume se portait très bien, tandis que le souverain se portait trop mal.
Une chose le rendait heureux en ce monde : savoir qu’il possédait sa femme et que personne d’autre ne l’avait. Sa femme maintenant gardée enfermée dans une cave.
***
Cordelia, ce nom reste gravé dans mon esprit. J’ai vaincu, mais aucune récompense pour mon dur labeur. Mon fils est mort arraché au ventre de ma sublime femme qui moisit sous mes pieds. Comment ma vie a-t-elle pu basculer de la sorte ? Je suis maître des décisions que j’ai prises tout au long de cette histoire, mes mauvais choix. Tomber amoureux d’une perle que j’ai brisée de mes mains, l’ironie du sort s’abat sur mes épaules affaissées.
Je l’aime.
Elle et aucune autre.
Je la veux. Je l’ai.
J’arrive mon amour, rejoindre ta prison.
Elle était là, demeurant seule dans l’obscurité de sa cage. Sa posture nonchalante me témoignait l’irrespect et le dédain. Sa tête posée contre le mur, son corps étendu le long du sol sale, sa jambe gauche ramenée vers elle dévoilant sa belle cuisse blanche. On ne voyait nulle part la Reine en elle.
Pourtant, malgré sa pitoyable apparence, elle m’attirait. Ses yeux perçants me foudroyaient, mais elle ne disait mot. Jamais elle n’aurait cédé face à moi, même pas pour sa liberté. Sa fierté demeurait intacte, son charme fou, sa détermination.
Comme je voulais qu’elle me regarde avec les mêmes yeux que moi, qu’elle me sourit, qu’elle puisse avoir une once de désir pour moi. Je fantasmais sur le souvenir de sa peau. Elle était là, face à moi, accablée par ma présence silencieuse. Elle me fixait non pas amoureusement, mais aux aguets, comme un animal apeuré attendant l’assaut du chasseur, retenant son souffle.
Je m’avançais alors, doucement pour ne pas la faire réagir. Un pas, un pas. Arrivé devant elle, je fléchis le genou pour que nos yeux soient à la même hauteur. Enfin elle me voyait, moi. Nous.
Je déposai un baiser tendre sur ses lèvres.
Je l’aime.
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