Assise à table, Rosalie fit la moue lorsque sa maman lui tendit une assiette remplie d’épinards, et d’une voix fluette, elle proclama :

— J’aime pas les pinards, j’veux des frites.

Agacé, sa mère la fixa sévèrement, et cria :

— Écoute, c'est ça ou rien !

Puis d’un ton sec, elle continua :

— Regarde ton grand frère, il fait pas le difficile ! Et si tu veux être aussi grande que lui, il faut en bouffer ! Compris ?

La gamine observa son frangin, puis elle plongea sa cuillère dans la bouillie verdâtre, et résignée, elle mangea. Après une alternance de déglutitions et de grimaces, timidement, elle demanda :

— Dis maman, tu es encore fâchée contre papa ?

— Oui, il a fait une grosse bêtise, et je ne peux pas lui pardonner. Je t’ai déjà expliqué, papa et maman vont divorcer.

— Et il mange pas avec nous ce soir ?

— Je lui ai proposé de venir, mais il n’a pas donné de réponse. Il a sûrement d’autres trucs plus urgents à faire.

Tristounette, la petite fille baissa les yeux sur son assiette, puis en entendant le « DING-DONG » familier de la porte d’entrée, elle retrouva le sourire.

— Je reviens ! beugla la mère en sortant de la salle à manger.

Concentrée, Rosalie écoutait les cliquetis du trousseau de clés. « Clac-clac », la serrure se déverrouilla, et quand la poignée bascula, il y eu un long silence, puis un homme à la voix grave se mit à parler. Il utilisait des mots étranges : condoléances, homicide, autopsie. Qu’est-ce que ça signifiait ? Curieuse Rosalie, se leva pour épier, et elle distingua des hommes en uniforme, c’était des gendarmes comme dans les histoires.

Au bout d’un moment, ils s’en allèrent, la porte se referma et la petite fille retourna vite s’asseoir pour manger ses épinards. Sa maman arriva lentement, et avec les larmes aux yeux, elle lâcha :

— Rosalie, Lucas, écoutez-moi attentivement.

Et quand les bambins la fixèrent, elle respira profondément avant d’annoncer :

— Votre père est mort.