L'Arrivée partie 1
Douze heures de vol dans les talons, la mine aussi fraîche qu’une huître laissée quinze jours sur le ponton d’un navire et mon passeport bien serré entre mes doigts, je pénétrai dans le vaste hall de l’aéroport Dalian-Zhousuizi, dont la structure de béton offrait une certaine chaleur au milieu du climat sibérien.
Dalian, « le Grand Lien » en chinois. Ville moyenne du nord-est de la Chine, coincée entre la Corée du Nord et la Russie, qui compte pourtant presque sept millions d’habitants. Située sur la pointe d’une péninsule, la voie des airs vous épargne d’éprouvantes croisières, sur l’eau ou sur les rails, pour rejoindre les autres métropoles du pays.
Personne ne connait Dalian. Un jour, ma grand-mère, au téléphone, m’avait demandé :
— Tu étudies où déjà ?
— Dalian.
— C’est où ? C’est près de quelle ville qu’on connait ?
— Pékin ? avais-je répondu après une profonde réflexion.
Je réponds Pékin à chaque fois, car Shenyang (capitale de la province du Liaoning, où se situe Dalian) est inconnue au bataillon. En réalité, Dalian et Pékin sont séparées par une distance de 850 kilomètres, environ un trajet Lyon-Saint-Malo.
Pour être honnête, je n’ai découvert ce nom que lorsque mon université en France nous a proposé les différents établissements d’accueils dans le cadre de notre échange culturel. Pour valider la licence de Langues Étrangères Appliquées Anglais-Chinois, nous devions partir un an là-bas. Seules cinq villes étaient disponibles : Pékin, Shanghai, Chengdu, Taipei et Dalian. À travers un simple procédé d’élimination (Pékin et Shanghai sont trop polluées, Chengdu, aux antipodes, se situe au milieu de nulle part et l’accent taïwanais de Taipei couplé à leur utilisation des caractères traditionnels terminèrent de m’achever), l’heureuse élue du nord-est ne croulait pas sous les demandes, une aubaine pour moi qui pouvais ainsi profiter d’une immersion totale.
De plus, je participais à un programme tandem avec une étudiante de ma future maison qui me présenta sous leur meilleur jour les bâtiments de la faculté. Ces clichés ne se révélèrent pas si fidèles que cela, lorsqu’on creusait un peu dans les ruelles sombres du campus.
Sorti tout droit d’un séjour linguistique d’un mois en Corée du Sud, mon mandarin rouillait au fond de ma gorge depuis plusieurs mois. Au moment où la meute de professeurs m’extirpait de la file des bagages, mes balbutiements confirmèrent les progrès qu’il me restait à accomplir.
Pleine de bienveillance, l’équipe administrative de l’université m’indiqua une zone de repos, où me poser en attendant le reste des arrivants. Toutefois, je n’osai dormir malgré la fatigue ; ma méfiance d’occidental m’empêchait de fermer l’œil, de peur qu’on me subtilise ma douzaine de caleçons coincée sous des pulls. Seulement, je ne contemplais autour de moi rien d’autre que des Chinois qui patientaient, bien installés sur des banquettes.
Le cerveau dans le pâté, on me héla pour le départ. Nous grimpâmes dans un bus, après une séance photo derrière la banderole de la fac. J’étais encore plus terrifié que lors de ma première colonie de vacances au fin fond de la campagne anglaise. Tous ces visages étrangers me scrutaient comme si je débarquais d’une autre planète.
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