Quelques jours avec eux - 08

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Il fit tellement chaud ce jour-là que ce fut impossible pour nous de sortir l’après-midi. Nous avions pensé retourner à la plage mais alors que nous étions assis sur nos chaises, juste après le repas, rien ne nous parut plus beau que de profiter de la fraicheur de la maison. Seul Thomas grogna. Gabriel et Damien trouvèrent une activité calme à réfléchir ensemble à une nouvelle histoire à raconter. Jean-Philippe s’allongea sur son lit de camp. Je montai dans ma chambre en prévenant tout le monde que j’avais besoin d’une petite sieste.

Je fus réveillé une heure plus tard par les cris des garçons. Et la voix de Jean-Philippe que je ne reconnus pas immédiatement. Elle était plus aiguë, pas naturelle, comme si elle était contenue dans une boite et voulait exploser.

Je descendis les escaliers. J’essayais de comprendre quel pouvait être le problème. Thomas était au centre de l’histoire et avait bien agacé tout le monde pendant que je dormais à l’étage. Le visage de Jean-Philippe était dur, serré et fermé. Il n’était pas nerveux et pourtant, je sentais dans sa mâchoire et dans son souffle que quelque chose l’avait froissé. Il avait la même réaction quand nous étions petits, après que je l’aie bien emmerdé ou balancé aux parents à ma place.

Gabriel prit la parole dès qu’il me vit pour m’expliquer à quel point son petit frère avait été chiant, n’avait laissé personne tranquille, ni eux, ni leur oncle, malgré les demandes très gentilles de chacun. Damien ne dit rien. Il évitait toujours de prendre partie, persuadé que tout n’était pas tout noir ou tout blanc, qu’il y avait des contrastes, des circonstances, qu’il fallait connaitre parfaitement le sujet pour juger. C’était honorable de sa part mais le plus souvent, c’était embarrassant. Quand on a besoin du soutien de quelqu’un, qu’une décision importante ou un choix décisif soit validé, on voulait que ça se fasse vite, mais pas qu’on tourne autour du pot pour voir l’avis le plus juste. Thomas parlait en même temps que Gabriel pour se justifier et répondait aux accusations avec un air coupable mais fier.

- Même tonton a fini par s’énerver ! ajouta enfin Gabriel, comme un argument ultime.

Damien hocha la tête et leva les yeux au ciel pour confirmer. Thomas s’enfonça un peu plus dans sa chaise. Jean-Philippe ouvrit la porte-fenêtre et fit quelques pas sur la terrasse avant de s’immobiliser pour contempler le paysage et, sûrement, retrouver la sérénité et le bien-être.

Il me fallut un certain temps pour que la situation redevienne normale, que Thomas fasse des excuses à ses frères et à son oncle. Mon petit garçon avait été frustré à l’idée de ne pas retourner à la plage, avait vu que tout le monde trouvait une activité ou voulait se reposer, il s’était senti tout seul et, du coup, en colère et frustré. Jean-Philippe lui avait demandé à plusieurs reprises et très poliment de bien vouloir le laisser tranquille. Thomas n’avait pas écouté. Mon petit frère s’était levé et avait secoué son neveu, avant de lui parler très près du visage, les dents serrées par l’énervement et lui avait dit de bien vouloir se taire pour le laisser se reposer. Les garçons avaient été très surpris par ce geste. Thomas le premier. Par le passé, quand je vivais encore avec Gabriel et Thomas, j’avais eu très souvent ce genre de réactions. Depuis le divorce, depuis que nous passions si peu de temps ensemble, je ne criais plus, je ne levais plus la main sur eux.

Je retrouvai plus tard Jean-Philippe sur la terrasse.

- Alors, il t’a raconté ? me demanda-t-il tout de suite.

- Oui, oui. Je le connais tu sais. Il peut-être chiant quand il s’y met, je te l’accorde. Mais, franchement, dans l’ensemble, c’est un bon garçon.

- Peut-être… Je ne sais pas. Je ne les connais pas ces enfants en fait. Je suis parti depuis si longtemps. Thomas n’était encore qu’un bébé à l’époque.

- Oui, et là, c’est un petit garçon avec son caractère bien trempé. Parfois, je me reconnais un peu en lui, le gamin qui foutait un peu le bordel. Un timide, mal à l’aise avec la vie, qui n’a rien trouvé d’autre que de faire son intéressant.

- Sûrement. Je ne sais pas. Je suis désolé en tout cas. Je ne voulais pas m’énerver, murmura-t-il.

Mon frère avait l’air gêné. Il était parti si longtemps, si loin, si seul, pour trouver un moyen de se contrôler, que craquer face à ce petit garçon de 6 ans lui avait miné le moral. Il avait l’impression d’avoir perdu un concours, d’avoir raté un examen, et, pire que tout, que tout cela n’avait servi à rien.

- Ce n’est pas grave. Thomas a déjà dû oublier. Et moi, ça m’apprendra à me laisser aller, à dormir en pleine après-midi, ajoutai-je en riant.

- Je ne suis peut-être pas encore prêt pour un retour dans le monde…, pensa-t-il à voix haute, le regard au loin, par-delà la mer, vers l’Afrique.

- Ah ? Et pourquoi ? Quatre ans, c’est pas mal quand même pour préparer son retour ?

- Non, mais je ne déconne pas Pierre, me dit-il en me fixant droit dans les yeux. J’ai été tellement seul pendant cette période. J’ai appris à tout faire par moi-même, en ma seule compagnie. Et reparler à des gens, toi, papa, les enfants, c’est plus compliqué que prévu…

- Il te faut encore un peu de temps pour t’acclimater, avançai-je avec un argument facile.

- Oui, tu as raison.

L’homme que j’avais en face de moi à cet instant était un personnage indéfinissable. Il était à la fois mon frère et quelqu’un d’autre. Mon frère parce que je le reconnaissais physiquement, parce que le son de sa voix me disait quelque chose, parce que nous partagions ensemble les mêmes grandes lignes de souvenirs d’enfance et que nous nous étions construits l’un et l’autre sur les mêmes racines. Et quelqu’un d’autre parce que nous avions pris des chemins totalement opposés, depuis toujours et d’autant plus depuis le suicide de notre mère. Nous étions si différents, moi avec mes trois enfants et mes deux femmes, mes deux divorces, mes trois pensions alimentaires, et ma vie désormais rythmée par la présence ou l’absence de mes garçons. Lui, avec sa solitude, son mysticisme, son régime alimentaire épuré, son incapacité à être comme tout le monde, dans l’existence réelle et quotidienne. Il vivait dans les marges, à la lisière, silencieux, délicat et discret.

Nous fîmes en fin de journée une promenade le long du port du Lavandou. Je regardais les femmes. Le désir commençait à revenir. Seulement l’envie physique pas l’amour, pas le sentiment. Je n’en voulais plus. Plus jamais. C’était trop douloureux pour moi d’aimer et de ne plus aimer, d’être aimé et de ne plus l’être, d’avoir des enfants et soudain, de ne plus les avoir.

Damien emmena ses frères dans une boutique. Mon anniversaire tombait le lendemain, ils essayaient de me trouver un cadeau. Je ne m’attendais à rien de précis, surtout pas à ce qu’ils dépensent de l’argent pour moi. C’était à moi de leur offrir des cadeaux, pas l’inverse. Ils étaient ce que j’avais de plus beau.

- Tu as de la chance, non ? me demanda Jean-Philippe alors que nous attendions le retour des enfants.

Je surveillais de loin qu’ils ne cassent rien, se tiennent bien et ne fassent pas n’importe quoi.

- De la chance ? demandai-je étonné.

- Bah oui, de les avoir, qu’ils pensent à toi. D’être aimé. Ça se voit qu’ils t’aiment. Ils t’admirent tellement !

- De les avoir… plus pour très longtemps malheureusement, ajoutai-je, déjà en train d’entrevoir la fin.

- Compter vraiment pour quelqu’un, sentir qu’une personne a besoin de nous, comme tes enfants ont besoin de toi, ça, ça me manque. Je voudrais qu’il y ait quelqu’un, quelque part, qui pense à moi et qui espère mon retour, qui aurait besoin de mon retour.

- Mais tu as papa et moi, non ?

- Tu vois bien ce que je veux dire ! Une femme. Je te parle d’une femme… Depuis la mort de maman, il n’y a plus aucune femme dans ma vie. La solitude ça pèse lourd. Je laisserai bien de la place pour un peu d’amour.

Les enfants sortirent de la boutique à ce moment-là. Ils avaient des airs de cachotiers, surtout Thomas qui mourrait d’envie de me dire ce qu’ils avaient acheté et que ses frères empêchaient de parler. Je jetais des coups d’œil à Jean-Philippe. Le faire venir ici pour son retour n’avait pas été une très bonne idée. La plage, le soleil, les femmes dénudées, mes enfants sauvages, moi qui ne respirait pas la joie de vivre, la promiscuité, la vie en communauté, ça faisait peut-être trop à encaisser.

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