Durlinsbach, dimanche 30 aout 2020 (2)

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Léa somnolait béatement, s'abandonnant au soleil. Son bikini, réduit à sa plus simple expression, ne laisserait pas beaucoup de chance à son épiderme d’échapper à un coup de soleil si elle prolongeait la séance. Au moment où elle se levait, elle perçut le bruit d’un véhicule. Elle se dépêcha de rentrer pour se jeter un paréo sur les épaules. Il était vrai que, ma foi, rien n’empêchait qui que ce soit de venir. C’était un peu contrariant, mais il faudrait y penser. Elle s’avança sur le pas de la porte pour constater qu’il s’agissait de Julia. Elle l’aimait bien, cette fille. Elle détectait chez elle une fragilité qui la touchait. Elle restait persuadée qu’elles auraient des tas d’histoires à échanger. Elle la salua. Julia afficha un faible sourire et vint vers elle.

— Comment ça se passe ? Je suis venue, car on vérifie toujours que tout va bien, une fois le locataire installé. Je ne te dérange pas ?

— Toujours réservée, comme sur la défensive. Non, pas du tout, je faisais bronzette. J’ai été vite mettre ce paréo, j’avais pas prévu que quelqu’un pouvait venir.

— Normalement, tu devrais être tranquille, mais il y a un chemin de rando qui passe pas loin. Alors si tu veux faire de la bronzette intégrale, cache-toi, finit-elle en souriant.

— Non, c’est pas prévu, bon, et bien rentre.

Une fois la porte franchie, elle vit le regard de Julia se porter sur le reste de son sandwich.

— J’ai encore rien prévu pour manger. Il faudrait que je fasse un minimum de course. L’organisation, c’est pas mon fort.

— Il y a une petite supérette au centre, ça devrait te dépanner. Et puis il y a l’auberge des deux clés. J’aide le patron, pour le service, si tu veux passer.

— Je t’offre quelque chose à boire ? J’ai quand même apporté du coca. Ou un thé, ou de l’eau.

— Non, merci je ne reste pas.

Décidément, ça ne fonctionnait pas ou alors cette fille avait un vrai problème, mais lequel ? Elle la raccompagna jusqu’à sa voiture. En la regardant s’éloigner, elle se dit qu’elle allait descendre au village maintenant.

Aucune difficulté pour repérer le petit magasin juste en face de l’église. Une grande affiche sur la vitrine promettait des produits bio et de proximité. De toute façon, avec son appétit d’oiseau, Léa se dit qu’elle trouvera toujours son bonheur. De plus, elle n’avait pas l’intention de faire la cuisine. La sonnette l’accompagna alors qu’elle rentrait. Elle ne vit pas âme qui vive.

— Bigre, sont pas surmenés dans le pays !

Elle se saisit d'un panier et s’engagea entre les rayons. Elle commença par le petit déjeuner. Elle prit un thé noir, le thé vert de la location ne lui convenait pas trop. Elle compléta avec des brioches et des paquets de petits gâteaux.

— Pas bon pour la ligne, m’enfin pour quelques jours ça ira.

Elle repéra quelques plats cuisinés à réchauffer au micro-ondes. Elle eut l’agréable surprise de trouver des pommes bon marché. Quelques bananes finirent ses courses expresses.

Elle se dirigea vers la caisse sans n’avoir encore vu personne. Lorsqu’elle se présenta au comptoir, elle vit surgir la tête d’un gamin qui la salua.

— Je suis contre le travail des enfants. Tu aides tes parents ?

— Ouais, ma tante.

— Ah !

Avec une certaine dextérité qui confirmait son habitude des lieux, il scanna tous les articles.

— Voilà, ça fait cinquante-huit soixante.

— Merde, j’aurais dû penser qu’ici ce serait plus cher, cinquante balles et j’ai rien acheté putain.

Elle se rendit compte qu’ici non plus, on ne donnait plus de sachet. Le gamin lui dégota un carton. Elle rejoignit son véhicule sous le regard appuyé d’une grand-mère qui ne la quitta pas des yeux, le temps qu’elle ouvre son coffre et y dépose son carton. Léa marqua un temps d’arrêt en la toisant.

— Hé bé mémé, t’as pas vu de jeunes depuis longtemps.

La vieille continua son chemin. Léa s’affala dans son siège.

— Bienvenu à la campagne, merde alors, quand Aurélie parlait d’exotisme dans le Sundgau… À croire qu’elle avait raison. Quand je vais lui raconter…

Elle rit intérieurement et décida d’aller boire quelque chose à l’auberge des deux clés dont lui avait parlé Julia. Simple curiosité.

Trois personnes seulement s’attardaient à la terrasse ombragée. Elle préféra s’y installer, elle n’avait pas vraiment envie de pénétrer à l’intérieur du bar d’où lui parvenaient de forts éclats de voix.

— Ça ira pour aujourd’hui, pour « l’exotisme », j’ai donné.

Elle ne put empêcher les regards de converger vers elle lorsqu’elle s’assit pourtant à l’écart. Il ne lui restait plus qu’à espérer que quelqu’un vienne la servir. Ce fut rapide pour sa plus grande satisfaction. Un jeune homme se présenta devant elle.

— Qu’est-ce que je vous sers, mademoiselle ?

— Putain, celui-là, il a de l’aplomb !

Le gamin la dévisageait sans pudeur.

— La demoiselle prendra un thé glacé.

— J’peux vous appeler par votre prénom si vous préférez.

— Oh la drague pourrie !

Tout jeunot, mais pourtant séduisant.

— Merde j’veux pas être poursuivie pour détournement de mineur.

— T’as quel âge ?

La question le décontenança totalement pour sa plus grande satisfaction.

— Ben heu, dix-neuf, bientôt vingt, finit-il en se redressant.

— Bon, moi c’est Léa et toi ?

Il n’eut pas le temps de répondre. Le patron se montra sur le pas de la porte.

— Bon Jimmy qu’est-ce que tu fous ?

— Ah ! y’a papa qui t’appelle.

Il courut tout en lui lançant.

— C’est pas mon père.

— Jimmy ? pas mal. Bon allez, quand même pas !

Elle s’activa à fouiller dans son sac pour se donner une contenance. Un homme d’un certain âge n’arrêtait pas de la dévisager, s’en était pesant. Elle n’était pas du genre à laisser faire.

— S’il continue c’ui-là, j’vais lui dire deux mots.

Jimmy revint avec le verre de thé glacé.

— C’est toi qu’est au moulin, hein, c’est ça ?

— On ne peut pas être incognito dans ce bled, hein ?

Il haussa les épaules.

— Tu sais, il ne se passe pas grand-chose ici. Encore moins depuis ce COVID.

— Julia n’est pas là ?

— Non pas encore, elle prend son service dans plus d’une heure.

Il retourna vers l’intérieur. Léa sirota son thé du bout des lèvres. L’homme, repéré depuis le début, se leva et vint vers elle.

— Merde alors qu’est-c’qu’im’veut ?

Il s’arrêta devant sa table.

— Je m’excuse, je ne veux pas vous importuner, mais je crois que je vous connais, du moins, je vous reconnais.

En le regardant de plus près, oui sa tête lui disait quelque chose.

— Vous étiez élève à Hautval, non ?

Elle se contenta de hocher la tête.

— Je suis Serge Ketterlé, j’ai été votre prof d’histoire-géo.

— Mais oui, pardon, je ne vous avais pas reconnu, je ne suis pas physionomiste pour un sou.

— Je peux ? demanda-t-il en désignant une chaise.

— Oui, bien sûr.

— Alors qu’êtes-vous devenue ? J’aime bien savoir la vie de mes élèves après. Attendez, déjà votre nom, il devrait me revenir.

Il se plongea manifestement dans ses souvenirs, mais sans succès.

— Léa Baysang.

— Mais oui, Léa Baysang, ça me revient maintenant. Un nom de famille bien ancré dans le terroir. Votre famille est originaire du coin, forcément.

— Nous habitions Werentzhouse, mais mes parents sont originaires de Koetslach, du moins, mon père, sûr. C’est d’ailleurs la seule chose dont je suis sûre, car ce salopard a abandonné ma mère quelques mois après ma naissance.

Elle s’arrêta, trouvant quand même ces questions étranges. Il sembla s’en apercevoir.

— Oui, je m’excuse, en fait, je suis passionné de généalogie. J’aime bien reconstituer les histoires des familles de la région. L’histoire des familles c’est de l’histoire tout court, alors c’est logique. Voilà pourquoi. Maintenant que je suis retraité…

Oui finalement, on pouvait trouver ça logique, mais cela passait largement au-dessus de la tête de Léa qui aurait bien voulu finir son thé, peinarde. À son grand soulagement, il se leva.

— Je ne veux pas vous importuner plus. Bonne journée.

Elle sourit pour elle-même.

Ouf et bien dis donc, que d’aventures ! Allez ! je vais raconter tout ça à Aurélie.

Elle sortit son portable.

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