Saint-Louis, mercredi 2 septembre 2020

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Une sourde inquiétude remplaça son euphorie. La dernière fois que le procureur l’avait appelée en direct ainsi, son équipe s’était vue confier une lourde enquête. Elle prit l’appareil.

— Oui, monsieur le procureur.

— Bonjour madame la commandante.

Elle reconnut immédiatement la voix du procureur Specklin.

— Voilà, c’est un peu délicat…

— Croyez-vous que j’en sois surprise, monsieur le procureur, l’interrompit Geneviève.

Il rit.

— Oui, je sais ce que vous pensez. Mais, avec votre équipe, vous faite du super boulot alors…

— Un coup de violon, bon la suite.

— Alors voilà, je viens de recevoir un coup de téléphone de ma nièce, enfin une de mes nièces, bref, elle est très inquiète au sujet d’une amie qui ne donne plus signe de vie depuis vingt-quatre heures. Cette amie était en séjour à Durlinsbach. Comme elle ne répondait plus à ses appels, ma nièce a été sur place. Avec l’adjointe de la mairie, ils ont appelé les gendarmes qui sont venus et ne semblent pas vouloir aller plus loin pour le moment.

— Mais oui, on sait bien comme c’est toujours délicat, ces histoires de disparition. Cette personne est majeure, je suppose.

— Tout à fait.

Elle sentit une hésitation, elle ne fit aucun effort pour l’aider.

— J’aimerais beaucoup…

— Ça veut dire : il faut que..

— … que vous preniez cela en main.

— Oui, donc une fois de plus, passer outre la gendarmerie qui est compétente sur le territoire concerné.

— C’est vrai, mais ça, j’en fais mon affaire. Je vous demande déjà d’étudier cette histoire de plus près. Je vous envoie tout de suite les documents dont je dispose. Merci madame la commandante.

Elle reposa lentement le combiné. De toute façon, elle avait tout de suite compris qu’elle n’aurait pas pu se défiler. Elle retourna vers Sébastien pour lui expliquer.

— Bon, alors, on y va maintenant ? lui demanda-t-il.

Elle haussa les épaules.

— On n’a pas le choix. Je prends les documents en passant, ils doivent être arrivés.

L’après-midi touchait à sa fin. Le soleil qui baissait sur l’horizon les éblouissait. La sortie de Saint-Louis s’effectua lentement, au gré des bouchons des frontaliers qui rentraient chez eux. L’été était bien terminé. La circulation resta dense jusque Folgensbourg.

— Au fait, tu ne m’as pas encore parlé de tes congés avec « ton Élodie ». C’était déjà un voyage de noces, finit-elle avec moquerie.

Bizarrement, Sébastien demeura silencieux. Geneviève se méprit sur son silence.

— Ah, je n’aurais peut-être pas dû. Ça s’est mal passé ?

Il rit.

— Mais non, pas du tout ! au contraire, on a parlé de… enfin.

— Non ! de mariage ?

Il répondit avec un faible sourire.

— C’est elle, elle y tient.

— Non ! si on m’avait dit ça, qu’un jour je verrai le lieutenant Sébastien Amiot, surnommé le bourreau des cœurs, se marier ! ironisa-telle. Et c’est pour quand ?

— Au printemps prochain, confirma-t-il.

Ils restèrent un instant silencieux. Sébastien lança la discussion sur leur affaire.

— Vous pouvez me dire ce que vous avez sur cette disparition.

Geneviève parcourut rapidement les deux ou trois pages qui résumaient le peu d’éléments dont ils disposaient.

— Peu de chose pour le moment. La disparue supposée s’appelle Léa Baysang. Sa fiche perso ne nous donne que très peu d’éléments sur elle. Son amie qui a donné l’alerte, s’appelle Aurélie Martin. Léa Baysang a loué le gîte du moulin de Durlinsbach depuis samedi dernier. On n’a plus de nouvelle depuis hier soir ou ce matin. Normalement elles se parlaient tous les soirs avec Aurélie. Voilà. On doit rejoindre l’adjointe Céline Kohler à la mairie.

— Et nous voilà encore en train de doubler les gendarmes. On va finir par avoir une sale réputation.

Geneviève haussa les épaules.

— On ne fait qu’obéir aux ordres. Et puis ça ne s’était pas si mal passé avec notre dernière affaire dans la vallée de Thann.

Ils entrèrent dans Durlinsbach alors que l’horloge sonnait dix-huit heures. Il se garèrent devant la mairie. Ils furent accueillis par le maire qui leur fit les présentations.

— Voici, Céline Kohler ma seconde adjointe et Julia Ruetsch qui gère les locations. C’est elle qui a accueilli la locataire et aurélie Martin l’amie de Léa Baysang. Vous savez, c’est une étrange affaire qui dépasse un peu le cadre de notre petite commune. Nous sommes impressionnés de voir que la police de Saint-Louis se déplace.

— Et bien disons que madame Martin, commença Geneviève en se tournant vers l’intéressée, semble avoir des relations. Nous sommes ici sur l’injonction du procureur. Je vous propose que nous allions sur place maintenant.

Les deux véhicules se retrouvèrent dans la cour du moulin. La jeune femme qui s’appelait Julia Ruetsch devança Geneviève.

— Je vous ouvre.

— Merci, pendant que je visite, je vous laisse avec mon lieutenant, Sébastien Amiot, qui va prendre les renseignements complémentaires.

Elle se tourna vers la massive porte de bois, solidement soutenue par des armatures en fer forgé. Un impressionnant heurtoir en occupait le centre. Un anneau épais traversait une tête de diable arborant une sinistre grimace. Elle enfila ses gants et l’ouvrit doucement, s’attardant sur le seuil. La clarté restait suffisante malgré le soleil déclinant. Un désordre banal régnait dans la pièce. L’ensemble respirait le calme. Son regard tomba sur la paire de baskets posée sagement à côté de la porte d’entrée. Elle s’agenouilla pour les examiner de plus près. Elles étaient relativement propres. Le téléphone abandonné en plein milieu de la grande table du salon la laissa un instant, songeuse.

— Bon, résumons, une accro du téléphone comme quasiment tous les jeunes de son âge, qui sort sans lui. Une paire de baskets qui ne demandent qu’à être enfilés, mais qui n’ont pas bougé. Mouais…

L’inspection de la cuisine ne lui apporta aucun élément intéressant. Elle monta à l’étage. Le lit présentait un léger désordre. Elle fouilla le sac qui contenait des vêtements basiques pour un petit séjour. Rien dans les habits ne laissait supposer que l’on avait affaire à une sportive ou une accro du jogging. Un grand carnet trainait sur le lit. Elle l’ouvrit, c’était un recueil de croquis. Elle le parcourut.

Joli coup de crayon !

Manifestement, il s’agissait de dessins fais ici, sans doute depuis son arrivée. Elle reconnut sans mal, l’adjointe Céline Kohler et d’autres personnages qui devaient être des habitants du village. Elle retourna à la porte d’entrée et s’attarda encore dans la contemplation de la paire de baskets. Elle ferma les yeux et réfléchit encore quelques secondes avant de prendre sa décision.

— Et merde !

Elle vit Sébastien qui terminait l’interrogatoire de l’amie de la disparue. Elle les rejoignit.

— Bonjour, madame, j’aurai quelque chose à vous montrer si vous voulez bien me suivre.

Elle entra et lui montra la paire de baskets.

— Ce sont bien les siennes ?

La jeune femme soupira.

— Oui, je les reconnais.

— Elle a une autre paire qu’elle aurait pu mettre pour sortir ?

Elle sembla hésiter.

Non, du moins moi, je ne lui en connais pas d’autre. Ce sont celles-ci qu’elle portait lorsqu’elle est venue chez moi. J’ai tout expliqué à votre collègue, dehors.

— Merci, on peut y aller.

Elle rejoignit Sébastien qui posa sur elle un regard interrogatif.

— Alors ?

— Alors, ça pue. Qu’est-ce que t’as ?

— Elle est venue ici pour fuir une relation toxique qu’elle entretenait avec un mec pas très clair. Et cette Aurélie confirme bien qu’elles étaient tout le temps, pendues au téléphone.

Geneviève prit une profonde inspiration. Elle ne savait que trop bien ce qu’allait déclencher sa décision.

— Bon, tu fais venir la cavalerie et tu appelles Jean, Éric et Bruno, qu’ils rappliquent. Et il va falloir organiser une battue demain. Je préviens le proc et le préfet. On va mettre les gendarmes dans le coup.

— On part tout de suite sur une disparition inquiétante ?

Elle hocha la tête.

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