Durlinsbach, mercredi 2 septembre 2020 (suite)
Le couchant s’étirait dans des couleurs pastel lorsque l’équipe complémentaire arriva. Le brigadier Bruno Zimmermann ne pouvait chasser une légère contrariété, il avait un tout autre projet pour sa soirée.
— Une disparition ! tu parles, il n’y a rien de pire comme emmerde, confia-t-il à son collègue Éric.
Ce dernier lui envoya une bourrade.
— Allez, qu’est-ce t’avais au programme ? Une bonne bière devant ton feuilleton préféré ? le railla-t-il.
Il bougonna. Le pire c’est qu’il n’était pas loin de la vérité et ça l’agaçait profondément.
— Il va falloir que j’me s’coue, bordel. Si non je vais finir comment ? J’ai passé les cinquante, ça pue, merde !
Il était temps de tourner la page de son divorce.
Ils découvrirent la commandante dans la salle du conseil municipal, engagée dans une discussion avec trois personnes. Sébastien vint vers eux.
— Bon, les gars. Au boulot, faut s’y coller. Donc porte à porte sur cette jeune femme, je vous ai envoyé sa photo. Elle aurait disparu entre la soirée d’hier et ce matin.
— Si ça s’est passé dans la nuit, il ne va pas y avoir beaucoup de témoignages, rajouta Jean Wolff.
Sébastien haussa les épaules.
— Sans doute, mais il faut le faire de toute façon. On se répartit le village. Chacun un quart.
Ils se penchèrent sur le plan.
— Bon, je prends tout ce qui est entre la rue de Dannemarie et la rue du moulin, proposa Bruno.
Il sortit, s’arrêta sur le haut de l’escalier, inspira fortement et s’engagea dans la rue principale. Elle commençait par deux ou trois boutiques fermées. Vint ensuite un petit immeuble. Il sonna au premier nom. Avec le mot magique « police », il n’eut aucune difficulté à se faire ouvrir les portes. Trois appartements étaient occupés sur les quatre. Il déboulait en plein milieu du souper et trouvait des gens quelque peu contrariés. Il eut beaucoup de difficultés à se faire entendre dans le dernier où la télé et les mômes faisaient visiblement un concours à ceux qui gueuleraient le plus fort. Il sortit avec soulagement.
— Finalement, mon appart à Saint-Louis n’est pas terrible, mais je n’ai pas ce genre de voisins.
Il continua en remontant la rue de Dannemarie sans avoir plus de succès dans ses réponses. Non décidément, personne n’avait rien vu et ils ne connaissaient pas du tout cette jeune femme.
— Ah bon, tiens, ils avaient loué le moulin ?
Le crépuscule étalait ses ombres lorsqu’il pénétra dans une cour étroite devant une modeste maison à colombage avec des géraniums aux fenêtres. Avec la couleur jaune vif de la façade, il ne manquait plus rien à la carte postale. Pas de sonnette, il frappa à la porte. Il n’obtint aucune réponse, pourtant la pièce était éclairée. Il recommença plus fort. Enfin, il perçut un bruit de pas traînant.
— wär esch's ?
— C’est la police, madame, j’ai juste un renseignement à vous demander.
— Is schpoot..
— Je sais, mais c’est important.
Encore quelques secondes de flottement et enfin la clé qui tourne. Le visage fané d’une vieille femme s’encadra dans la porte entrouverte. Bruno s’empressa de lui montrer sa carte.
— Je m’excuse, vous permettez.
Elle ouvrit grand la porte et lui fit signe.
— heri. Allez tout droit.
Il pénétra dans un petit salon meublé rustique avec une table ronde au centre. Un large fauteuil avec un repose-pied trônait à côté. Le tissu semblait élimé, mais il était recouvert de grands napperons. Elle lui désigna une chaise pendant qu’elle s’affalait dans son siège profond.
— Je m’excuse encore de vous déranger, mais une jeune femme a disparu.
Il lui montra la photo. La grand-mère s’approcha, cligna des yeux et finit par mettre une paire de lunettes.
— Oui je la connais, je l’ai vue, l’autre jour, elle sortait de la supérette. Elle a loué le moulin, c’est ça ?
— C’est ça, l’autre jour c’était quand ?
— Dimanche, dans l’après-midi.
— Et depuis, vous l’avez revue, avec quelqu’un par exemple ?
— Non
Elle resta un moment, silencieuse, puis se pencha vers Bruno.
— Elle a disparu, vous dites ?
— Oui, sans laisser aucune trace.
Elle souffla et eut un rictus.
— Comme volatilisée.
— Oui, en quelque sorte.
Elle s’approcha encore plus de Bruno jusqu’à quelques centimètres de son visage.
— Vous ne la retrouverez pas ! lui souffla-t-elle.
Bruno se recula un peu.
— Pourquoi dites-vous ça ?
Elle eut un ricanement. Ses yeux brillaient. Elle leva le doigt.
— d'r Däifel, Parce que c’est le diable qui l’a emportée.
Bruno s’attendait à n’importe quelle réponse, mais là !
Un ange passa.
— Qu’est-ce que le diable vient faire là-dedans ?
Elle s’accrocha aux accoudoirs et se leva.
— Un petit schluck ?
— Non, merci, je suis en service.
Elle revint cependant avec la bouteille et deux petits verres. Elle posa le tout devant Bruno et servit.
— Avec ce que je vais vous raconter, ce sera utile, dit-elle en se rasseyant.
Elle se pencha de nouveau en avant, le regard vif.
— Voyez-vous ce moulin est maudit. Le diable l’habite. Et c’est une longue histoire qui remonte au temps où on a brûlé la sorcière qui y vivait.
Bruno ne trouvait aucun argument à lui opposer. Elle narra l’histoire de cette sorcière et de la succession des malheurs survenus dans ce moulin. La nuit étendait ses ombres dans la pièce. Le visage de la vieille, simplement éclairé par la lampe sur pied, devenait aigu avec un nez taillé à la serpe. Ses yeux brillaient dans l’obscurité. Bruno se demandait s’il n’était pas face à une vraie sorcière, finalement. Une sourde angoisse l’envahissait. Il décida de se secouer. Il interrompit le récit.
— Je vous remercie beaucoup madame, mais je dois continuer.
Il se leva, la vieille le suivit jusqu’à la porte.
— Bonne nuit inspecteur, lui murmura-t-elle.
L’air frais de la nuit lui fit un bien fou, il inspira profondément et regarda sa montre.
— Merde !
Il ne lui restait plus beaucoup de temps et il commençait à se faire tard pour frapper aux portes. Il décida de rejoindre la mairie. Il hâta le pas, il ne pouvait chasser des images de diable et de sorcière de son esprit. Il dut se raisonner pour ne pas se retourner. Il retrouva l’équipe au complet dans la salle du conseil. Geneviève l’interpella.
— Alors Bruno, tu as quelque chose de ton côté ?
Il resta un moment sans voix, désarçonné.
— Euh… non pas grand-chose… enfin…
— Oui, quoi ?
Il souffla.
— J’ai vu une vieille femme qui m’a raconté une histoire à dormir debout de sorcière, comme quoi ce moulin est maudit et… que ce serait le diable qui l’a enlevée, voilà.
Il avait jeté ça, comme pour s’en débarrasser. Son regard balaya les visages de ses collègues qui le dévisageaient. La situation s’éternisait à en devenir gênante. Sébastien rompit le silence avec un éclat de rire.
— Le diable, rien que ça ? Ben merde alors, celle-là on ne nous l’a jamais faite !
— C’est tout ? les coupa Geneviève, en regardant Bruno.
Il haussa les épaules.
— Bon, on lève le camp.
Elle contrôla sa montre.
— La nuit va être courte. Ici, demain à 7 heures pour la battue.
Éric vint le rejoindre. Il lui tapa dans le dos.
— Ça va ?
Il n’en était pas bien sûr. Ils regagnèrent la voiture. Il n’échangea que quelques mots le long du retour.
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