Ferrette, mercredi 2 septembre 2020
modification du profil de l'adjudant Colin
L’adjudant-chef Olivier Bossert appuya avec satisfaction sur la touche « entrée ». Ce PV était enfin terminé. Il vérifia le bon enregistrement des documents. Le serveur de la gendarmerie de Durmenach semblait un peu capricieux ces temps-ci. Le capitaine avait bien demandé un spécialiste pour contrôler, mais rien n’avait encore été fait. À cet instant, Antoine Lajoie, simple gendarme, s’encadra à sa porte. Tout fraîchement arrivé « à peine sorti du moule », il avait été affecté à l’accueil. Son enthousiasme de débutant lui rappelait d’anciens souvenirs.
— Mon adjudant-chef, j’ai un appel de Durlinsbach pour une disparition, soi-disant, termina-t-il en haussant les épaules.
L’adjudant Bossert poussa un profond soupir. Il n’aimait pas du tout ces histoires de disparition. La plupart du temps on trouvait des explications, mais on devait gérer l’inquiétude des proches. Finalement on se retrouvait à surtout perdre du temps à rassurer et faire comprendre que si la personne était majeure, les moyens d’interventions étaient très limités. Les deux seuls cas qu’il avait eu à traiter s’étaient résolus spontanément. Il soupira à nouveau.
— Bon, passe-le-moi.
Il décrocha le téléphone et marqua un temps d’arrêt avant d’enfoncer le bouton clignotant.
— Oui ?
Une voix de femme.
— Bonjour, je suis Céline Kohler, conseillère municipale à Durlinsbach. Nous louons le moulin historique. Nous avons une nouvelle locataire depuis samedi, mais il n’y a plus de nouvelle depuis hier soir.
Sa crainte se confirmait donc. Il allait falloir faire preuve de tact.
— Écoutez, madame, nous sommes en début d’après-midi, il n’y a peut-être là rien d’inquiétant.
Il entendit le souffle d’un soupir.
— J’ai à côté de moi, son amie, qui est venue exprès de Saint-Louis, car elles se téléphonent plusieurs fois par jour. Comme elle n’arrivait plus à la joindre depuis hier soir, elle est venue voir.
— Le logement est vraiment vide, vous avez vérifié ?
— Oui, nous avons un double des clés. Il y a toutes ses affaires, même son téléphone.
— Vous avez regardé dans les environs également ?
— Oui, nous l’avons appelée, rien.
Il arrivait au bout des questions basiques. Après tout ce n’était pas à lui de prendre une décision, mais au capitaine Thierry Husser.
— Bien, je vous fais patienter.
Il se dirigea vers le bureau du capitaine et frappa à la porte. La voix forte lui dit d’entrer. Le gradé était plongé dans la lecture d’un long rapport. Il affichait une mine soucieuse. Il se considérait avoir été placé à la brigade de proximité de Durmenach dans une « voie de garage », sans jamais leur avoir expliqué la raison éventuelle. Il salua.
— Mon capitaine, j’ai au téléphone deux personnes de Durlinsbach qui s’inquiètent, car une locataire de leur moulin aurait disparu depuis hier ou ce matin.
Le capitaine releva la tête et le regarda comme absent. Puis il sembla réagir.
— Expliquez-moi ça.
Il lui retranscrit l’appel mot pour mot. Le capitaine se recula dans son siège et mit son stylo entre les dents. Il se redressa.
— De toute façon, de nos jours, on ne peut pas laisser ce genre d’appel sans réponse. Depuis les affaires récentes comme celle de l’ado disparu dans le Bas-Rhin, les instructions sont claires. Il faut répondre aux inquiétudes. C’est plus de la communication que de l’enquête, mais bon. C’est calme aujourd’hui, alors vous y allez avec Colin.
Il salua. Il était vrai que, une fois n’est pas coutume, ils n’étaient pas débordés. Ça leur ferait une sortie et cette histoire s’annonçait assez simple. Il reprit son combiné pour confirmer à l’interlocutrice qu’ils allaient venir. Il reçut un chaleureux merci.
Il rejoignit l’adjudant Colin sur le parking. Ils montèrent en voiture après une brève explication. Son collègue se contenta d’un simple grognement pour toute réponse. Bossert soupira. Colin devenait de plus en plus distant, difficile à gérer, on ne savait plus comment l’aborder. De plus, avec son mètre quatre-vingt-cinq et quatre-vingt-dix kilos, on hésitait à le contrarier.
— Ça va ? demanda Bossert pour entamer la discussion.
Colin soupira.
— Ouais, ouais, des embrouilles avec mon ex au sujet de ma fille. Elle veut aller voir le juge pour avoir la garde à temps plein.
— Ah, je croyais que c’était déjà le cas.
— Non, c’était un accord entre nous. Je pouvais l’avoir de temps en temps selon ma dispo.
Il resta silencieux un moment avant de reprendre.
— C’est sûr qu’entre le boulot et mes cours de boxe le soir, ça laisse peu de temps.
— Elle a quel âge déjà ?
— Dix-sept.
— Dans peu de temps, c’est elle qui décidera.
— Je compte là-dessus. Tu vois, j’aimerais me rapprocher d’elle. J’ai été trop con ces dernières années. Il faut que je cesse de boire. J’ai envie de faire une cure de désintox.
Visiblement, Colin avait besoin de parler aujourd'hui, ce qui surprit Bossert. Toutefois, il était probablement celui, au sein de la brigade, qui était le plus proche de lui, sans que cela ne soit dû à une volonté personnelle de rapprochement. Leur lien amical, bien que distant, résultait davantage de la nécessité de solidarité imposée par leur travail que d'une réelle affinité.
Le reste du trajet fut vite avalé et ils s’arrêtèrent devant la mairie. Deux femmes les attendaient sur le perron. L’adjudant-chef paria sur celle de droite pour être l’adjointe. C’est elle qui vint effectivement le saluer.
— Merci d’être venus. Je sais que c’est toujours délicat pour vous, mais cette jeune personne qui est l’amie de la personne disparue… enfin oui quoi, disparue, s’inquiète vraiment, elle semble bien la connaître.
Il lui fit un salut militaire et sortit son carnet.
— Mais nous sommes là pour ça, madame. Pouvez-vous me donner le nom de cette personne qui a loué le moulin.
— Léa Baysang.
Il se tourna vers Robert et lui fit un petit signe. Il s’agissait de faire une recherche. L’adjudant appela la brigade.
— Elle est arrivée quand ?
— Samedi en début d’après-midi.
— Vous n’avez rien remarqué de particulier ?
— Non, mais à vrai dire, ce n’est pas moi qui gère les locations, c’est Julia Ruetsch qui l’a accueilli. Elle n’est pas là cet après-midi.
— Et cette personne ne vous a rien signalé de particulier.
— Non, et moi-même, j’ai eu l’occasion de discuter avec elle le lundi et elle ne semblait avoir aucun souci. C’était une jeune femme joyeuse et très contente de son séjour.
Il se tourna vers l’adjudant qui lui fit un signe négatif de la tête.
— Bien, allons sur place.
Le chemin du moulin ne leur prit que quelques minutes. Ils stationnèrent devant l’entrée. Olivier Bossert ne remarqua rien de particulier à la vue de l’extérieur du bâtiment. La bâtisse marquait son âge et du lierre commençait à manger une partie de la façade. Ils se réunir face au perron. Il demanda à l’adjointe, quels étaient les chemins le plus courants pour partir à pied. Il y en avait trois. Le véhicule de la locataire était garé à l’écart et fermé. Il fit signe à Colin de faire le tour de la maison. Il pria l’adjointe de lui ouvrir.
— Vous restez à l’extérieur s’il vous plaît.
Il pénétra dans une pièce lumineuse et correctement rangée. Quelques restes de repas traînaient sur la table. Le téléphone y était posé comme abandonné. Un peu de vaisselle s’accumulait dans l’évier de la cuisine. Il ne détecta aucune odeur particulière. Il revint vers l’entrée. Son regard tomba sur une paire de basquets laissés en évidence à côté de la porte.
— Elle a peut-être d’autres chaussures pour sortir.
Il monta à l’étage. On devinait, sans mal, la chambre occupée. Le lit n’était pas fait. Il se dirigea vers la fenêtre qui était fermée. Il ne toucha rien. Il poussa un soupir et posa un regard circulaire. Il n’y avait vraiment aucun signe de lutte, ni même d’une visite quelconque. Seule la locataire avait laissé sa marque. Il redescendit avec une petite contrariété en prévision de sa discussion avec les femmes à l’extérieur. Elles se tenaient serrées sur le seuil, l’air anxieux. Il inspira fortement.
— Bien, écoutez, on ne voit rien de particulier dans cette maison. Aucun signe de lutte ou quoi que ce soit.
Il se tourna vers la jeune femme qui se disait l’amie de la locataire. Elle était grande, sportive et l’inquiétude se lisait sur son visage encadré par une généreuse chevelure brune.
— Quel est votre nom, s’il vous plaît ?
— Aurélie Martin.
— Donc vous dites que vous l’appeliez plusieurs fois par jour.
Elle serra ses bras autour d’elle. Les paroles semblaient se présenter toute en même temps dans sa bouche.
— Oui, c’est ma meilleure amie et… nous sommes toujours en contact. Elle m’a appelé plusieurs fois depuis qu’elle est ici. Elle aimait me raconter sa journée… alors le soir, on se téléphonait toujours… et hier soir elle n’a pas appelé, alors j’ai appelé, mais rien… et vous savez son téléphone ici c’est pas normal, je vous assure…
Il leva la main.
— Je comprends bien votre inquiétude, croyez-moi. Mais c’est encore un peu tôt pour lancer une alerte. De plus elle est majeure alors…
L’amie de la disparue voulut parler, mais il l’interrompit.
— Ce que je vous propose, c’est d’attendre demain matin. Si elle n’a pas réapparu, nous ferons un signalement.
— On dit bien que ce sont les premières heures les plus importantes dans une disparition, non ? L’interrompit la jeune Aurélie.
— Je le répète, je comprends votre inquiétude, mais je ne peux rien faire de plus. L’adjudant Colin va prendre vos coordonnées et nous retournons à Durmenach. Je vais en référer à mon capitaine et nous restons à votre disposition. En attendant, cette maison reste fermée.
— Mais je veux rester ici à l’attendre.
— Non ce n’est pas possible, pour le moment personne ne doit rentrer.
L’adjointe lui mit la main sur le bras.
— Je vais trouver où vous loger et ce soir nous viendrons voir.
— Mais vous restez à l’extérieur !
— C’est compris.
Il les salua.
— Mesdames.
Il s’affala dans son siège avec un soupir.
— Je n’ai vraiment rien vu du tout, dehors, il n’y a aucune trace, lui confirma Colin.
— Ouais, pour le moment il n’y a pas vraiment d’inquiétude, allez on y va.
Tout au fond de son cerveau persistait l’image d’une paire de basquets soigneusement rangée à côté de la porte d’entrée.
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