Mulhouse, lundi 15 octobre 1883

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Joseph s’assoit là où lui montre le gendarme. Il est impressionné par la grande salle pleine de monde qui bourdonne d’un brouhaha étouffé. Un silence brutal accueille son entrée et tous les regards se braquent sur lui. Il se ratatine sur son siège en malaxant son béret qu’on lui a demandé d’enlever. Il ne sait pas trop ce qu’il va se passer aujourd’hui ni vraiment quel est l’enjeu. Depuis ce soir dont il a très peu de souvenirs précis, sa vie a totalement basculé. Les cris, le sang, il regarde ses mains avec le couteau, il ne se souvient de rien. Il sort, marche automatiquement, les gens qui crient. Il s’arrête dans le chemin. Quelqu’un lui prend le bras puis d’autres personnes. Il est ceinturé. Les gendarmes, les questions auxquelles il est incapable de répondre, la cellule…

L’entrée du juge et de ses assesseurs le tire de ses pensées confuses. Le gendarme, lui fait signe de se lever. Il reste figé en triturant son béret.

Le personnage principal, le juge, lui a expliqué son avocat, prend un papier qu’il lit à haute voix. Joseph ne comprend pas tout ce qu’il dit. Il n’en saisit que quelques brides : Joseph Bochlin… meurtre de quatre membres de la famille Wittig … couteau… arrêté sur place… gendarmes…

Il n’écoute plus, tout cela le dépasse. Il n’a qu’une envie retrouver sa cellule où il est tranquille et, surtout, qu’on ne lui pose plus de questions auxquelles il ne comprend rien.

On le laisse se rasseoir. Plusieurs personnes viennent parler devant le juge et puis ce dernier se tourne vers lui. Le gendarme lui donne une tape pour lui signifier de se lever. Toujours sans lâcher son béret, Joseph regarde ce personnage avec son gros ventre et ses lunettes. Le regard sévère lui coupe tous ses moyens. Il reste muet alors que le juge lui demande de s’expliquer. Un silence gênant s’empare de la salle puis un murmure court dans le public. Le juge lève la main et interpelle Joseph.

— Monsieur Bochlin, est-ce que vous me comprenez ?

Il hésite, il doit répondre sans doute.

— Oui, murmure-t-il

— Je vous entends mal, lui répond le juge. Parler plus fort s’il vous plaît.

— Oui, répète Joseph plus distinctement.

— Bien, pouvez-vous expliquer ce qu’il s’est passé le soir du vendredi 9 mars de cette année.

Tout se bouscule dans la tête de Joseph. Le vendredi 9 mars ne lui dit rien du tout. Il reste silencieux.

— Monsieur Bochlin, le rappelle le juge, pouvez-vous répondre.

— J’sais pas. J’sais plus.

Un brouhaha s’empare de la salle. Le juge doit ramener le calme. Il se tourne de nouveau vers Joseph.

— Vous ne vous souvenez pas d’être allé voir la famille Wittig au moulin de Durlinsbach ?

Quelques souvenirs épars lui reviennent.

— Je crois, oui.

— Vous croyez ou vous êtes sûr.

— J’me souviens plus bien, vous savez… j’sais plus…

De nouveau la rumeur couvre ses derniers mots. La personne qui est son avocat, lui a-t-on dit, mais il ne sait pas ce qu’est un avocat, lève la main.

— Je me permets d’intervenir, monsieur le juge.

— Oui, maître.

— Je pense que tout le monde ici a bien compris que monsieur Joseph Bochlin n’a pas toute sa tête et qu’il ne pourra pas expliquer son geste.

Suit tout un monologue dont Joseph ne perçoit que de quelques passages.

— Campagne… superstition… diable…

Joseph n’écoute plus. Il fatigue de rester debout comme cela. Enfin on lui dit de se rasseoir. La journée s’écoulera sans qu’il ne s’y intéresse vraiment. Ses capacités de concentration sont déjà largement dépassées. Il émerge du brouillard alors que le soir a envahi la salle. On lui demande de se lever à nouveau. Le juge s’adresse à lui. La fatigue ne lui permet de ne saisir que quelques mots de ce qu’il lui dit.

— Monsieur Joseph Bochlin… reconnu coupable… meurtre… pendu…

Enfin tout s’arrête. Le gendarme le rattache et lui fait signe de le suivre. Il va pouvoir aller se reposer dans sa cellule et il espère que maintenant, on va le laisser tranquille.

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