Saint-Louis, lundi 14 septembre 2020 (suite)

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L’équipe était presque au complet autour de la table. Seul le brigadier Lefebvre avait dû s’absenter en urgence à cause d’un problème à l’école avec les jumelles.

— Bien, commença Geneviève, je voudrais d’abord que l’on voie avec Laura, ce que vous avez trouvé sur les mouvements sataniques.

Laura préféra se lever.

— On va commencer par le mouvement gothique que, finalement, on attribue à tort au satanisme. C’est né dans les années soixante-dix en Angleterre et c’est directement associé à des groupes rock et le mouvement punk, « no futur », ça vous dit quelque chose ?

Elle regarda l’assemblée.

— Moi oui, dit Geneviève, une question de génération tout ça.

— Bref, reprit Laura. Ce premier mouvement s’est éteint en Angleterre pour renaître dans ses années deux mille en Allemagne, mais très modifié. Il accompagne de plus ou moins loin, les raves parties.

— Ouais, c’est vrai que j’ai participé à une, l’année dernière, la coupa Kyara et j’ai vu quelques jeunes avec ce look, mais très peu. C’était plutôt planant.

Un silence suivit son intervention. Elle haussa les épaules.

— Ben oui quoi, c’est une expérience.

Amusée, Geneviève relança Laura.

— Donc, pour conclure, ce mouvement n’a rien à voir avec les religions, le diable ou je ne sais quelle connerie. Ils sont même souvent athées.

Le brigadier Zimmermann s’agita un peu sur sa chaise.

— Décidément dès que l’on évoque le diable, ça le concerne, se dit Geneviève.

— Au sujet des vrais mouvements sataniques, reprit Laura. C’est très marginal en France. D’après la Miviludes (*), cela ne concernerait qu’une centaine de personnes. Et ces mouvements ne sont pas impliqués dans les profanations de tombes qui relèvent plus de mouvements politiques comme l’extrême droite ou d’extrémistes religieux.

— Donc pas grand-chose à voir dans notre affaire, avança Geneviève. Et chez nous, en Alsace.

— Et bien nous avons justement, comme pour me démentir, un des rares cas de crime commis par un jeune homme qui a assassiné le curé Jean Uhl en 1996. Il prétendait être adepte du satanisme, mais, visiblement, il n’avait pas toute sa raison.

— C’est exact, je connais cette affaire, intervint Sébastien.

— Plus loin, il faut remonter à la fameuse histoire des possédés d’Illfurth au XIXe siècle qui a fait couler beaucoup d’encre. Un cas de possession… enfin… supposé. Voilà, c’est tout.

Geneviève soupira.

— Bon, il fallait refermer cette porte, c’est fait. On n’a rien trouvé de près ou de loin qui pourrait rapprocher Léa Baysang de ce type de dérive.

Elle arrangea les papiers sur la table.

— Maintenant, voyons le deuxième meurtre. Jean as-tu trouvé quelque chose ?

— Je n’ai pas encore fini mes investigations, mais déjà un point commun, enfin distant quand même, quoi. Charlotte Wasser a également fréquenté le collège Adelaïde Hautval de Ferrette, mais bien sûr cinq ans avant Léa Baysang, vu la différence d’âge. Elles ne peuvent s’y être croisées, quoi. J’ai toujours trouvé une photo de classe que je j’ai mise dans le dossier.

— Un tout petit point commun, rajouta Geneviève.

Elle fit le compte-rendu de l’autopsie. Un brouhaha circula le long de la table.

— Ça exclut un imitateur, vu qu’il lui était impossible de connaître ce détail sur la ceinture, constata Jean Wolff.

— Oui de toute façon, comme je l’ai dit, c’est trop rapproché, rajouta Geneviève.

— Alors, le même meurtrier ? demanda Laura.

Geneviève soupira en haussant les épaules.

— On reçoit, d’ici une heure, le mari. On va essayer d’avancer. Allez, on arrête pour le moment.

Laura leva la main.

— Juste un mot rapide au sujet des appels téléphoniques des homejackings il y a bien un numéro qui revient, mais c’est un prépayé.

— On pouvait s’en douter marmonna Geneviève. Bien on lève la séance.

Pierre Wasser arborait un visage inexpressif. Son regard se perdait sur le mur derrière Geneviève. Elle dû le rappeler à la réalité.

— Monsieur Wasser, je vous ai fait venir pour que nous puissions bien détailler le jour où votre femme a disparu. Pouvez-vous déjà me rappeler le détail de cet après-midi.

Il s’était redressé sur sa chaise.

— Oui, bien sûr. Jeudi je suis rentré plus tôt.

— Excusez-moi de vous couper. Vous travaillez à Bâle ?

— Oui, avec ma femme, nous avons créé une start-up de biotechnologie. On travaille avec Novartis

— Et ce fameux jour de la disparition de votre femme.

— Je suis sorti à treize heures.

— Vous êtes arrivé chez vous à quelle heure ?

— Oh c’était le début d’après-midi, vers 14 h, j’avais pris ma demi-journée.

— Votre femme était à l’école de Vieux-Ferrette.

— Oui, elle finit vers 16 h et prend les enfants.

— Et vous ?

— J’en ai profité pour aller à mon club de boxe à Saint-Louis.

Geneviève regarda ses notes.

— Le club « boxe et action », c’est ça ? Vers quelle heure ?

Il souffla et réfléchit.

— Je suis parti vers 15 h et j’y suis arrivé vers 15 h 45, ça roulait mal.

— Et ensuite ?

— Eh bien j’ai commencé l’entraînement, finit-il en haussant les épaules.

— Votre femme vous a appelé, avez-vous dit.

— Oui, c’est vrai vers 16 h 30, pour me dire qu’elle sortait courir.

— Vous êtes rentré à quelle heure ?

— Oh, vers 18 h.

— Et puis ?

Il inspira.

— Elle n’était pas là. Il y avait Isabelle, la voisine. Ma femme lui avait confié les enfants le temps du jogging. C’est l’habitude. Comme elle ne l’a pas vu revenir, elle est venue voir à la maison et a décidé de nous attendre. Elle a les clés de toute façon.

— Et alors ?

— Eh bien, je me suis inquiété tout de suite, ça ne lui ressemblait pas de laisser comme ça Isabelle sans la prévenir. Elle devait revenir pour 17 h 30 au plus tard, elle lui a dit. Je l’ai appelée sur son portable, mais ça ne répondait pas.

Il marqua une pause et se pencha vers le bureau.

— Vous savez, on parlait beaucoup de cette jeune femme de Durlinsbach qu’on venait de retrouver…

Il se croisa les doigts.

— J’sais pas, mais ça m’a tout de suite inquiété, vraiment. Alors j’ai fini par appeler la gendarmerie.

Il baissa la tête.

— Voilà.

Il resta silencieux. Geneviève finit de taper ses dernières paroles. Elle n’avait pas l’intention de prolonger trop longtemps cet entretien. Elle lui demanda encore si sa femme avait eu récemment des conflits avec certaines personnes ou s’il avait remarqué des changements dans son comportement. Il n’avait rien vu de tel. Pour lui, rien ne permettait d’expliquer cette disparition. Elle le remercia et le fit raccompagner. Sébastien vint la voir.

— Alors ?

— Rien de plus, soupira-t-elle. Et de ton côté ?

— Les rapports de voisinage rendu par les gendarmes ne signalent rien de particulier. Bon on relève quelques disputes, mais de là à dire que le couple n’allait pas bien, c’est un peu rapide.

— Ce que tu pourrais faire, c’est d’aller interroger cette voisine qui semble être assez proche. Et il me semble que je n’ai rien vu dans les retours de terrain. Attends…

Elle chercha dans ses papiers.

— Voilà ! madame Isabelle Roth. Elle a été interrogée sur les événements de l’après-midi et c’est tout.

Elle se recula dans son fauteuil.

— Je dois y aller, j’ai rendez-vous avec le procureur.

— Vous voulez faire le point.

Elle soupira.

— Non, c’est pour tout autre chose

Il hocha la tête et sortit. Juste le temps de prendre deux carrés de chocolat et elle s’éclipsa.

— Bonjour, madame Hillmeyer, je vous en prie, asseyez-vous.

Le procureur Specklin affichait toujours un sourire de circonstance en toute occasion, mais aujourd’hui, il semblait sincère. Geneviève s’installa du bout des fesses sur le large fauteuil en face de son bureau. Sa démarche la mettait mal à l’aise. Il parut s’en rendre compte. Il avança les deux bras bien à plat.

— Pour tout vous avouer, je pensais vous voir plus tôt pour cette… « affaire » et c’est tout à votre honneur.

Toujours aussi perspicace ! Finalement, cela ne la surprit guère. Elle ne lui avait pas vraiment révélé le motif de sa visite, mais bien sûr, il l’avait deviné. Elle se cala plus profondément dans son siège.

— Oui, vous savez que ce n’est pas une démarche qui m’est coutumière. Je crois même que c’est la première fois que…

— Vous n’avez aucun scrupule à avoir, la coupa-t-il. Si vous saviez toutes les demandes et autres sollicitations que je reçois à longueur de temps, vous pourriez passer pour un modèle d’intégrité, finit-il avec un large sourire.

Elle leva la main.

— Non, je n’en demande pas tant.

— Bien ! venons-en au fait. C’est au sujet de Cathy Metzger, votre belle-fille, je pense.

Elle inspira profondément.

— Oui, bien sûr, vous connaissez sa situation familiale. Victor, mon petit-fils, a bientôt un an et les liens familiaux deviennent très importants maintenant.

Elle se pencha sur le bureau.

— Si elle pouvait bénéficier d’une autorisation de sortie, ce serait important pour nous.

Elle se dépêcha de rajouter.

— Je sais que, normalement, ce n’est pas accordé dans le cadre d’une provisoire, mais nous sommes dans une situation exceptionnelle. À cause de la pandémie, son procès a été repoussé plusieurs fois. Alors j’ai pensé qu’à situation exceptionnelle…

Il se recula dans son siège et croisa les jambes.

— Je comprends, et ce côté exceptionnel est recevable.

Il marqua un temps de réflexion et se pencha en avant.

— Écoutez, je ne peux rien vous promettre, mais je vais essayer. Je vous dois bien ça. Bien sûr ce genre de décision ne relève pas du tout de mes compétences, vous le savez bien, mais disons que je connais quand même beaucoup de monde.

Geneviève inspira profondément ; finalement soulagée de voir que tout cela avait été bien plus facile que ce qu’elle craignait. Et son amour propre n’en avait pas souffert. Elle se leva et remercia le procureur. Elle se réjouissait d’annoncer la bonne nouvelle à la famille

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