Mœrnach, mercredi 16 septembre 2020

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La scène de la matinée repassait sans cesse dans la tête de Sébastien. Le petit-déjeuner, d’abord paisible, avait rapidement viré à la dispute avec Élodie. En fait, les tensions s’accumulaient depuis plusieurs semaines à cause de leurs conceptions différentes sur le mariage. En plus, tout cela ne concernait que des détails de cérémonie et c’était totalement ridicule d’en arriver là. Il se sentait triste, inquiet et en colère à la fois. Il tenait tellement à elle que ce premier conflit le déstabilisait bien plus qu’il ne voulait l’admettre. Agacé, ses doigts blanchirent sur le volant. Il dut faire un effort pour se reconcentrer sur le boulot. Il entra dans Mœrnach et se gara à l’adresse d’Isabelle Roth.

Une maison à deux étages surplombait une cour pavée. Il s’approcha du perron pour constater qu’il y avait deux logements distincts. Isabelle Roth occupait le rez-de-chaussée. Elle lui ouvrit avec un sourire mitigé. Il restait toujours un fond d’inquiétude lorsqu’un fonctionnaire de police venait vous interroger. Les salutations d’usages effectuées, elle l’invita à la suivre dans le salon. Le regard professionnel de Sébastien lui fit comprendre qu’elle vivait seule. Toutefois, des jouets traînaient dans un coin, sans doute ceux des enfants Wasser, preuve de l’importance qu’ils prenaient dans la vie de cette femme, peut-être la compensation d’une maternité manquée. Elle lui désigna une chaise devant une table, elle s’assit en face. Après avoir décliné sa demande de lui faire un café, il entra dans le vif du sujet.

— Je viens vous voir, car nous voudrions mieux cerner le couple Wasser.

Elle ne put cacher une gêne dans son regard. Il fallait la mettre en confiance.

— Je tiens à vous dire que cette conversation restera entre nous. Nous devons juste mieux cerner la personnalité de la victime pour faire avancer l’enquête.

Elle inspira.

— Que voulez-vous savoir ?

— Déjà, qu’elles étaient les relations entre les deux époux. Est-ce qu’ils s’entendaient bien ?

Elle se remua sur sa chaise, il était clair que la question la mettait mal à l’aise.

— Je vous le répète, je ne compte pas faire apparaître votre déposition. Je comprends que ce soit délicat, car vous semblez proche de cette famille.

— Oui, des enfants et de… Charlotte.

Sa voix se cassa sur un sanglot. Elle se ressaisit.

— Lorsqu’ils sont arrivés ici à Mœrnach, c’était le couple parfait. C’était… voyons… il y a neuf ans, oui c’est ça puisque c’est l’année où est né Timéo, l’aîné. Ils ont fait construire cette superbe maison. On a compris qu’il y avait de l’argent. Et puis petit à petit, lui a changé.

— Vous voulez parler de Pierre Wasser ?

— Oui. Il s’est acheté une belle voiture et il a commencé à étaler son argent. J’ai vite compris que cela ne plaisait pas du tout à Charlotte. Leur relation a commencé à en souffrir. Il semble bien qu’il y avait quelques disputes.

Elle marqua une pause en inspirant profondément.

— Et puis…

— Et puis ?

— Tout s’est nettement dégradé voici quelques mois. Un jour, elle m’a amené les deux enfants à garder comme d’habitude pour son jogging, mais elle est arrivée perturbée. Je lui ai demandé si tout allait bien. Sur le coup, elle n’a pas répondu et puis elle m’a dit qu’elle venait d’apprendre une mauvaise nouvelle, mais que ça allait. Lorsqu’elle est revenue récupérer les gosses, elle semblait aller mieux. Sur le coup, j’ai pensé à un décès dans la famille, ça me paraissait le plus plausible.

Sébastien comprit que l’histoire n’en restait pas là.

— Mais vous avez changé d’avis, je me trompe ?

Elle triturait nerveusement une serviette posée devant elle.

— C’est surtout qu’ensuite leur relation s’est encore plus détériorée. Certains jours, elle semblait même ne plus pouvoir le supporter… alors je me suis dit que ce problème devait être plus profond qu’un simple décès dans la famille, vous voyez, finit-elle en regardant Sébastien.

Elle tourna machinalement la tête vers les jouets.

— J’avais surtout beaucoup de peine pour les enfants, car c’était clair qu’ils souffraient de la situation. Plusieurs fois, les échos de leurs disputes s’entendaient dans la rue.

— Et elle ne vous a jamais expliqué la raison de leurs disputes ?

— Non, jamais. Elle tenait toujours à afficher un sourire quand elle venait. Nous étions proches, c’est vrai, mais peut-être pas assez pour des confidences de cette nature. Quoi qu’il en soit, il y a quelques jours, il y a eu une dispute plus forte que d’habitude, au point qu’elle m’a laissé les enfants ici pour la nuit. Elle a semblé vouloir me dire quelque chose puis s’est ravisée. J’ai vraiment eu l’impression que le couple était au bord de la rupture.

Elle baissa la tête, réprimant un sanglot.

— Et toujours aucune explication sur l’origine de cette brouille ?

— Non, aucune, mais ça semblait très sérieux cette fois.

— Une petite dernière chose encore, quand vous dites, il y a quelques mois. Pourriez-vous être plus précise.

— Oh…

Elle chercha dans ses souvenirs.

— Donc, à peu près il y a deux ou trois mois, voyons… je dirais début juin.

Sébastien se leva et la remercia. Intuitivement, il sentait qu’il avait peut-être un élément sérieux à approfondir.

Geneviève n’arriva au bureau qu’en fin d’après-midi. Sébastien la rejoignit. Elle s’effondra dans son siège et le regarda d’un air las. Elle enleva ses chaussures avec une grimace.

— Ces réunions à la préfecture sont vraiment exténuantes et frustrantes. Mais bon, au moins tu échappes à ça. Alors, dis-moi.

Il lui fit le compte-rendu complet de son entretien avec Isabelle Roth. Geneviève marqua un silence. Elle inspira profondément et posa ses deux mains sur le bureau.

— Bref, nous sommes loin du couple idéal qu’il nous brossait.

— Tout à fait et il y a clairement une affaire sérieuse. Assez pour les entraîner au bord de la rupture.

— Oui et c’est là qu’il nous faut chercher.

— On le convoque à nouveau ?

Elle réfléchit un instant.

— Non ça ne servirait à rien sauf à le mettre sur ses gardes et prendre le risque qu’il dissimule des preuves. On va le mettre sur écoute. Je vais demander au procureur. Tu mets une équipe de surveillance en place. Jour et nuit. Vous ne le lâchez pas, finit-elle avec un doigt inquisiteur.

Il se leva.

— Je m’en occupe.

Il sortit pendant que Geneviève entreprit de se masser les pieds et d’avaler coup sur coup trois carrés de chocolat. Sa journée le méritait amplement. C’est dans cette position que Bruno la surprit.

— Heu bonjour madame, je pourrais vous parler ?

Elle se rassit correctement

— Mais bien sûr Bruno, installe-toi.

Une lueur d’excitation brillait dans ses yeux. Il se pencha en avant.

— Voilà ! suite à notre conversation avec le prof d’histoire, je voudrais aller voir ce musée sundgauvien à Altkirch pour demander si je peux consulter les documents dont il parle.

Geneviève comprit que son brigadier suivait toujours sa piste diabolique. Elle sourit intérieurement.

— Aucun problème, ça peut être intéressant.

Il se leva avec un soulagement évident. Elle le regarda sortir.

— Laissons-le aller au bout de son raisonnement. J’espère ensuite le ramener plus près de l’enquête. Surtout que l’on va avoir besoin de tout le monde. On est sur deux fronts et je ne vois toujours pas de lien entre. Bon, allez ! à la maison !

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