Saint-Louis, lundi 21 septembre 2020 (suite)

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Le trajet fut largement occupé par le débordement d’enthousiasme de Kyara qui refaisait déjà l’histoire des deux portraits et se lançait même dans des hypothèses. Geneviève souriait face à ce zèle, se revoyant à cet âge. Kyara s’intégrait parfaitement dans l’équipe et Geneviève avait le sentiment qu’elle était exactement là où elle devait être. Le trajet parut court et Geneviève gara son véhicule sur le parking inondé de soleil. Un calme un peu surprenant régnait dans le vaste hall. Elles se firent indiquer le bureau du principal. La personne de l’accueil téléphona et les orienta vers le bureau de la secrétaire administrative. Un large escalier les mena à l’étage et elles furent immédiatement face à la bonne porte. Une voix leur demanda d’entrer après qu’elles eurent frappé. La pièce était vaste et très lumineuse. Une femme se leva pour les saluer. Elle les invita à prendre place.

— J’avoue avoir été surprise d’apprendre la visite de la police. Que puis-je faire pour vous ?

Geneviève lui tendit la photo.

— Nous aimerions connaître l’identité de cet enfant, finit-elle en montrant du doigt.

Elle retourna la photo.

— Classe de quatrième, 26 juin 2008, lut-elle. Je vais regarder les archives, je n’étais pas encore ici à l’époque.

Elle se leva et après une brève recherche, extirpa un large classeur qu’elle posa sur le bureau. Elle trouva assez vite ce qu’elle cherchait.

— Alors, j’ai là la liste des élèves, il y en avait vingt-quatre dans cette classe.

Elle tourna quelques pages et parcourut une liste.

— Oui d’accord, attendez.

Elle se leva à nouveau et ouvrit une vaste armoire métallique. Chaque rayon contenait une impressionnante collection de dossiers, mais tout devait être impeccablement classé, car elle sortit rapidement une boîte cartonnée.

— Ce sont les dossiers scolaires qui sont systématiquement archivés dans les établissements.

Elle sortit le contenu en bloc et feuilleta le tout.

— Voilà, il s’agit de Thomas Ruetsch. D’ailleurs, il n’a pas fait sa troisième chez nous, apparemment.

Geneviève remarqua, à la réaction de Kyara qu’elle avait eu la même décharge électrique qu’elle. Elles se regardèrent. Il lui fallut quelques secondes pour reprendre ses esprits.

— Mais, avait-il une sœur ?

La secrétaire se pencha sur le document.

— Attendez… non visiblement enfant unique. Les parents habitaient à Mœrnach.

Nouvel échange de regards.

— Pourrions-nous avoir une copie de ce dossier ?

L’intéressée sembla hésiter.

— D’accord. Je suppose que ça ne pose pas de problème dans le cadre d’une demande de la police.

— Ne vous inquiétez pas, ce sera régularisé. Y a-t-il encore un enseignant ou quelqu’un d’autre qui aurait connu cette classe et ses élèves ?

Elle réfléchit un moment.

— Voyez mademoiselle Lallemand. Elle a une très bonne mémoire. Elle termine son cours dans…

Elle regarda sa montre

— Huit minutes environ. Rez-de-chaussée, salle quatre. Et moi je vous prépare ça, je le dépose à l’accueil.

Elles la remercièrent et regagnèrent le hall. Un long couloir le prolongeait. Elles s’arrêtèrent devant la salle quatre. On percevait une voix forte à l’intérieur, mais nul autre bruit.

— Ça me rappelle des souvenirs murmura Kyara.

— Moi aussi, même si c’est plus lointain.

— J’étais très dissipée et pas une très bonne élève et vous ?

Geneviève sourit à l’évocation de ces années de bonheur.

— Moi si, ça allait.

— Pourquoi ça ne me surprend pas, pouffa Kyara.

Geneviève allait répondre alors que retentit une sonnerie. Assez vite les classes autour laissèrent se déverser leur lot d’écoliers tapageurs. Seule leur salle restait fermée. Elles entendirent une voix derrière la porte.

— Et vous sortez calmement.

La porte s’ouvrit et en sortit une colonne de gamins et gamines étrangement disciplinés. Mademoiselle Lallemand s’encadra devant eux. La cinquantaine bien établie, le buste haut et le regard distant, elle les toisa.

— Mada… mademoiselle Lallemand, nous sommes envoyées par la secrétaire administrative, balbutia Geneviève qui ne savait vraiment pas comment nouer le contact, tant elle avait l’impression d’être face à un coffre-fort.

— Oui ?

— Nous voudrions des renseignements sur l’un de vos anciens élèves.

— À quel titre ?

Geneviève dut lui montrer sa carte. L’enseignante les invita à entrer sans plus de chaleur.

— Il s’agit de Thomas Ruetsch qui était en quatrième en 2008.

Elle baissa la tête, semblant réfléchir.

— Thomas Ruetsch, voyons…

Elle se redressa brusquement métamorphosée. Son visage affichait un sourire, ce qui était totalement incongru.

— Le petit Thomas, bien sûr… pauvre gamin.

— Pourquoi ?

Le regard droit, elle paraissait se raconter l’histoire à elle-même.

— Eh bien, je pense que tout s’est bien passé en cinquième, mais une fois en quatrième, il a commencé par être harcelé. Je n’ai vraiment jamais su pourquoi. Comme tous les enfants dans ce cas, il avait du mal à se confier. De plus, à cette époque, cela restait encore tabou et le pauvre n’a pas eu beaucoup de soutien de l’administration. J’ai réussi à obtenir du principal qu’il convoque les parents des deux parties.

Elle s’interrompit comme perdue dans ses souvenirs. Geneviève n’osa pas intervenir, mais le silence se prolongeait, elle s’aventura à lui demander la suite.

— Oui, excusez-moi. Oh, eh bien ça n’a rien donné bien sûr. Il s’agissait de trois gamines qui avaient une scolarité normale par ailleurs. Il y avait surtout une meneuse, les deux autres suivaient comme c’est souvent le cas.

Elle soupira.

— Et donc, ça ne s’est pas arrangé et finalement, Thomas a quitté l’établissement, je ne sais pas ce qu’il est devenu.

Elle eut un regard triste, plein de compassion, bien loin du personnage qu’elle affichait au début. Geneviève regarda Kyara. Elles avaient bien avancé. Elle s’apprêtait à remercier l’enseignante, mais une question lui vint.

— Une dernière chose si vous le permettez. Vous souvenez-vous du nom de ces harceleuses ?

— Voyons, oui… la meneuse s’appelait Élodie Renaud ; une grande gamine assez délurée, trop… et puis les deux autres… il y avait Marion Leseure. Très effacée finalement, je n’ai jamais compris pourquoi elle se retrouvait là-dedans et la dernière, très vindicative au final, s’appelait…

Son visage se figea.

— Mais ce ne serait pas…

Geneviève comprit immédiatement.

— Léa Baysang ?

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