Saint-Louis, mardi 22 septembre 2020 (suite)

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Geneviève laissa s’écouler la fin de la matinée. Elle pensait à Julia Ruetsch qui n’avait pas demandé d’avocat ni souhaité téléphoner à quelqu’un.

« Je suis sûre qu’elle cache quelque chose. Quelques heures de réflexion devraient débloquer la situation. »

Après un repas vite expédié, elle regagna son bureau. Le téléphone retentit, c’était l’adjudant-chef Bossert. Il la salua avec sa voix grave qu’elle reconnut.

— Nous avons interpellé un mineur, suite à une tentative de home-jacking ratée. Ils étaient deux et lui n’a pas réussi à échapper à notre intervention. Il semble que vous ayez eu des faits similaires chez vous ?

— C’est exact, deux agresseurs très jeunes d’après ce que confirment les témoins. Ils étaient cagoulés. Très bon travail, car nous cherchons le commanditaire.

— Justement, c’est pour ça que je vous appelle. Nous n’avons eu aucun mal à faire parler notre jeune homme et il désigne un certain Arlan Hoxha de Saint-Louis.

Elle jubila.

— Très bien ça, on s’en occupe et je vous tiens au courant, merci beaucoup.

— C’est normal et de votre côté, les enquêtes avancent ?

— Vraiment très lentement, trop lentement.

— Bon courage madame la commandante.

Elle se leva et informa immédiatement l’équipe.

— Sébastien je préfère que tu restes pour la suite de l’interrogatoire de Julia Ruetsch, Jean tu t’en occupes. Il faut trouver une adresse et aller le cueillir. Enfin, espérons. Bon, Thomas, tu peux nous amener Julia Ruetsch.

Elle constata que quelque chose avait changé dans l’attitude de Julia. Comme une détermination qui ne plut pas beaucoup à Geneviève. Elle échangea un regard avec Sébastien.

— Bien, mademoiselle Ruetsch, reprenons.

Elle marqua volontairement un silence. Julia se tenait droite, toujours sur la défensive.

— Vous n’avez vraiment rien à rajouter à ce que vous nous avez dit ?

Toujours le même mutisme. Geneviève décida de ne plus la ménager.

— Écoutez, nous sommes face à une affaire de meurtre et en l’état vous apparaissez comme la première suspecte.

Elle se redressa, les yeux brillants.

— Quoi ! mais je ne l’ai pas tuée, j’ai juste…

Elle se figea.

— Juste ?

Elle se recroquevilla sur elle-même.

— Je pense que maintenant vous devez aller au bout de cette histoire, dit Geneviève doucement.

Julia releva la tête, les yeux humides. Elle hocha la tête.

— C’est vrai que je lui en voulais toujours énormément. Tout est remonté d’un coup, et j’ai ressenti une grande colère. Alors j’ai voulu lui donner une leçon. Dans la journée, j’ai profité de son absence pour mettre des somnifères dans son thé, je savais qu’elle en buvait le soir.

— Des somnifères ! la coupa Geneviève.

— Oui, les miens, j’en prends et ils semblent assez puissants. Je devais en parler à mon médecin d’ailleurs.

— C’était quel jour, donc ?

— Le lundi.

— Ensuite ?

— Je suis revenu le soir doucement et je l’ai trouvée endormie dans le fauteuil. Alors…

Elle hésita.

— Je l’ai soulevée, elle était dans les vapes, mais marchait quand même un peu, je l’ai soutenue jusqu’à ma voiture et je l’ai emmenée chez moi. J’avais déjà préparé le cellier à côté pour l’enfermer. Il a été aménagé en studio.

Elle marqua une nouvelle pause. Geneviève resta silencieuse. Julia semblait enfin décidée à parler.

— Je l’ai couchée sur le lit et lui ai mis des provisions. Je voulais qu’elle se réveille dans une pièce enfermée, qu’elle ait peur. J’avais décidé de ne venir la voir que le lendemain en fin d’après-midi.

Elle secoua la tête.

— Quelle conne !

— Donc vous êtes revenue le lendemain, le mardi, c’est ça ? Vers quelle heure ?

Julia inspira profondément.

— Ce devait être vers dix-sept heures. J’avais trouvé une excuse pour m’absenter du travail. Je lui ai apporté des provisions. Lorsqu’elle m’a vue, elle a été très surprise.

Elle eut un rire nerveux.

— Alors, on a eu une longue discussion. Elle m’a vite reconnue finalement. Et puis… elle s’est excusée et a même pleuré.

Elle se redressa en inspirant.

— Mais bon, je gardais quand même du ressentiment, alors je lui aie dit que je la laissais mariner encore une nuit, mais que demain je reviendrai pour la laisser partir. Elle m’a supplié de de ne pas faire ça, m’a promis qu’elle ne dira rien, mais bon… je suis retournée travailler.

Elle se mit à pleurer.

— J’aurais dû…

— Vous êtes donc revenu le mercredi ? à quelle heure ?

Elle renifla.

— Le matin, vers neuf heures, je crois, et là…

— Tenez, lui dit Geneviève en lui tendant de nouveau des mouchoirs.

— La porte était fracturée et elle n’était plus là. Alors, je me suis dit qu’elle s’était libérée, mais elle était nulle part, ni au moulin ni ailleurs. Je n’ai rien compris.

Elle se prit la tête entre ses deux mains.

— Je n’sais pas ce qu’il s’est passé.

Elle les regarda les yeux implorants.

— Je vous jure !

Geneviève ferma les yeux et soupira.

— Quand j’ai vu les gendarmes puis vous ensuite, j’ai totalement paniqué.

Elle pleurait franchement

— Et quand on a trouvé son corps, alors là…

Elle fit non de la tête.

— Je ne voulais pas ça, non. C’est terrible… terrible.

Geneviève regarda Sébastien en tapotant son bureau.

— Vous étiez où dans la nuit de mardi à mercredi ?

Elle eut un regard étonné.

— Mais, chez moi.

— À côté donc ? demanda Geneviève.

Julia était de plus en plus étonnée

— Mais oui, je dormais, répondit-elle, comme une évidence.

— Et Léa Baysang, était donc dans le cellier ?

— Mais oui, je vous l’ai dit, sauf que le matin, elle n’y était plus. Je vous l’ai dit, je n’y comprends rien.

Geneviève soupira profondément. Elle se sentait comme un tueur d’abattoir prêt à mettre le marteau mortel entre les deux yeux d’un bœuf. Elle s’avança.

— Le problème, mademoiselle Ruetsch, c’est que Léa Baysang a été tuée justement cette nuit là.

Julia sembla manquer d’air, elle les fixa sans comprendre. Et puis petit à petit, une évidence s’imposa à elle.

— Quoi ? mais non… enfin, ce n’est pas possible.

Elle enfouit son visage dans ses mains.

— Mais c’est un cauchemar.

Geneviève la laissa prendre conscience de la situation dans laquelle elle était. Julia, entre deux pleurs, hocha la tête.

— Mais je ne l’ai pas tuée, ce n’est pas moi.

Elle les regarda avec des yeux suppliants.

— Je vous jure, il faut me croire.

Geneviève regarda Sébastien. Visiblement, il n’y avait pas que pour elle que cet interrogatoire était éprouvant.

— Non, je regrette, si vous saviez comme je regrette, murmura encore Julia.

— Bien, dans un premier temps, nous allons devoir perquisitionner chez vous. Vous devez nous accompagner, c’est la loi.

Elle les regarda, affolée.

— Mais tout le monde va savoir alors ?

— Je suis désolée, lui murmura Geneviève.

Elle devait lui annoncer la suite.

— Ensuite vous serez déférée devant le juge d’instruction.

Elle était au bord de l’épuisement.

— Mais pourquoi ?

— Pour le moment, vous allez être inculpée pour enlèvement et séquestration. De plus, vous êtes la dernière personne à l’avoir vue vivante et vous n’avez pas d’alibi.

Elle s’effondra en pleurs.

— Mais non, ce n’était que pour lui faire peur, je ne voulais pas…

— Je vous conseille fortement de trouver un avocat. Vous pourrez vous expliquer devant le juge.

On la raccompagna à sa cellule. En sortant du bureau, Geneviève vit Jean Wolff.

— Alors, notre homme ?

— Personne évidemment, quoi. On planque.

— Bien, bon en attendant je veux du monde pour une perquisition à Durlinsbach. Sébastien, tu appelles la scientifique.

— Vous la croyez ? la coupa-t-il.

Elle soupira.

— Je suis bien tentée, oui, et toi ?

— Elle semble sincère et franchement, vous la voyez étrangler cette pauvre fille et la bruler ensuite ?

Non, bien sûr, Geneviève ne pouvait imaginer une telle chose. Son instinct lui disait de la croire. Elle ressentit de la pitié pour cette jeune femme qui devait déjà avoir eu tellement de difficultés dans sa vie. Tout ça pour une bête vengeance… mais elle devait garder l’impartialité de l’enquêtrice. Elle haussa simplement les épaules. En la renvoyant devant le juge d’instruction, elle dut luter pour ne pas ressentir le « syndrome Ponce Pilat ».

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