Durlinsbach, mardi 22 septembre 2020
Julia ne ressentait plus rien. Elle avait l’esprit vide, anéantie par le désespoir. Elle fixait ses deux poignets entravés par les menottes, se laissant ballotter par les chaos de la fourgonnette. Le jeune policier à côté d’elle semblait sur le point de somnoler. Petit à petit, elle chercha à rassembler ses souvenirs, à se remémorer chaque instant de cet interrogatoire où elle avait fini par craquer.
Lorsqu'elle avait reçu l'appel, la veille au soir, une inquiétude sourde l'avait envahie. Son instinct ne l'avait pas trompée. Quand l'enquêtrice avait mentionné le lycée, elle avait immédiatement compris que son identité était dévoilée. C'était logique, car, comme beaucoup de personnes transgenres, elle souhaitait vivre au grand jour et ne rien cacher de son passé. Elle pensa à Sylvain avec une tristesse soudaine. Elle ne savait pas encore comment lui révéler sa véritable identité. C'était trop tôt. Pourtant, tous ces événements risquaient de précipiter les choses. Comment allait-il réagir ? Leur dernière rencontre avait été tellement splendide ! Lorsqu'il lui avait dit qu'elle était belle en voyant son corps nu, elle s'était sentie revivre. Sa vraie vie pouvait commencer. Finis les doutes, les peurs. Enfin, elle allait pouvoir assumer pleinement sa vie de femme.
"Mon Dieu, quelle idiote je suis ! " Elle ne comprenait toujours pas comment son désir de vengeance avait pu lui faire perdre suffisamment de discernement pour ne pas se rendre compte qu'elle commettait une énorme erreur. Et le village où elle se sentait enfin acceptée ? Elle allait y revenir menottée. Elle cacha son visage dans ses mains et pleura.
Le véhicule stoppa, elle avait vu défiler le village de Durlinsbach jusque chez elle. La porte s’ouvrit. Il y avait déjà deux autres véhicules stationnés dans la cour de la ferme. Elle se retrouva accompagnée par le lieutenant et la femme, qu'elle comprit être commandante.
— On va commencer par votre logement, vous pouvez ouvrir ? lui demanda-t-elle.
Elle s’exécuta, ouvrit la porte et s’effaça pour les laisser entrer. Elle ressentit un mélange de peine et de frustration de les voir, ainsi, bousculer son intimité. On lui avait expliqué qu’il y allait avoir une perquisition. Elle détourna les yeux, elle ne pouvait les regarder fouiller ainsi son lieu de vie.
— Maintenant, menez-nous au cellier, lui intima le lieutenant.
Elle traversa la cour et contourna le bâtiment, suivie par trois policiers. On la fit stopper devant la porte. Un policier l’ouvrit avec des gants et se contenta de rester sur le seuil.
— La scientifique ne devrait pas tarder, dit la commandante.
Elle jeta un coup d’œil circulaire sur les bâtiments et la regarda.
— Une question, vous l’avez enfermée ici le lundi soir, c’est bien ça ?
— Oui, murmura-t-elle.
— Et le lendemain matin vous ne venez même pas voir si tout va bien ? même pas écouter à la porte ?
Elle se contenta de secouer la tête se rendant compte combien ce comportement aggravait sa position. La commandante ne manifesta aucune émotion.
— Et donc vous êtes revenue le mercredi matin pour constater que la porte était fracturée, c’est ça.
Nouveau hochement de tête. La policière regarda encore la cour.
— De votre logement, vous ne pouviez pas entendre ce qu’il se passait ici, pendant la nuit par exemple ?
— Non, confirma Julia qui trouva enfin le courage de la regarder.
— Je vous jure que c’est vrai, l’implora-t-elle.
Il lui sembla détecter de la bienveillance dans le regard de la commandante.
— Mais je ne demande que ça, de vous croire, mademoiselle Ruetsch. Bien ! retournons là-bas.
Julia défaillit en arrivant vers son logement. L’entrée de la cour de la ferme était barrée par une rubalise et quelques personnes s‘étaient attroupées devant. Elle reconnut rapidement des habitants du village qui la découvraient menottée. Elle comprit qu’elle entrait maintenant en plein cauchemar. On la fit regagner la fourgonnette. Elle s’y précipita pour se dissimuler. Elle lutta pour refouler ses larmes. Au bout d’une demi-heure, la porte s’ouvrit à nouveau.
— Il nous faut juste vérifier deux ou trois choses chez vous, lui dit le policier.
Au moment où elle sortit du véhicule, elle entendit la voix de Sylvain qui l’appelait. Elle se tourna vers le groupe de badauds qui avait grossi et elle le vit tout devant. Elle lui fit non avec la bouche en hochant la tête, les yeux brouillés par les larmes. Son désespoir était total.
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