Mulhouse, lundi 28 septembre 2020
La circulation avenue Aristide Briand était calme en ce lundi matin.
— Il n’y a pas de marché aujourd’hui, c’est tranquille, dit Éric à Bruno.
Il s’engagea dans la rue Schwilgué.
— La rue des cailles c’est juste là-bas au coin, mais…
Ils distinguèrent les lumières bleues des véhicules de police.
— Merde, c’est la PJ.
— Putain tu crois ce que je crois, demanda Bruno.
La rue des cailles était barrée par les rubalises. Deux voitures de la PJ étaient stationnées devant le domicile du détective privé. Ils s’approchèrent des fonctionnaires et se firent connaître. On les laissa passer. Au moment où ils arrivaient devant la porte d’entrée du petit l’immeuble où habitait Roland Laventin, ils reconnurent l’inspecteur Calvet qui en sortait tel un bulldozer, toute moustache en avant. Il stoppa devant eux.
— Z’êtes qui vous ?
— Commissariat de Saint-Louis.
Il les dévisagea de la tête au pied avec un regard où Éric décela nettement de la condescendance.
— Et qu’est-ce Saint-Louis vient foutre ici ?
— On vient interroger Roland Laventin, le privé.
Il eut un ricanement.
— Mes avis qu’il n’est plus en état de répondre à quoi que ce soit, votre client. Il y a visiblement quelqu’un qui est venu lui poser des questions avant vous.
Ils échangèrent un regard.
— On peut monter ? Ça concerne peut-être une de nos enquêtes.
Calvet soupira, se frotta le menton.
— Mouais, mais faite gaffe à ne pas me polluer la scène, mettez les chaussons. Et puis faudra qu’on cause si vous savez quelque chose.
Ils montèrent sans échanger un mot. Le mépris de Calvet ne les surprit pas. Il ne se faisait aucune illusion sur la manière dont la PJ de Mulhouse considérait le « petit » commissariat de Saint-Louis. Ils eurent du mal à se frayer un passage dans l’étroit escalier de bois qui empestait l’urine. Cet immeuble était à l’image du locataire. Ils arrivèrent enfin au petit appartement mansardé du troisième étage. Ils restèrent sur le perron, car les trois gars de la scientifique qui faisaient leurs relevés suffisaient à en occuper totalement l’espace. Ils virent Roland Laventin au sol, le visage affreusement défiguré. Tout le logement était en désordre. Le tueur cherchait manifestement quelque chose.
— Trop tard, dit laconiquement Bruno.
— Mouais, soupira Éric.
Il pensa à la commandante qui allait être très déçue. D’autant plus qu’il ne fallait pas compter sur Calvet, qu’il connaissait de réputation, pour coopérer.
— Tu penses que c’est lié à notre affaire, demanda-t-il à Bruno.
Ce dernier haussa les épaules.
— Dans ce cas, ça prend une autre dimension. On en serait à deux meurtres.
— Bon, je pense que Calvet a des questions à nous poser.
— Il faut le renvoyer vers la commandante.
— Ce sera mieux, oui.
Ils le retrouvèrent dans la rue. Il les regarda avec un sourire moqueur.
— Alors Saint-Louis, qu’est-ce que vous avez à m’apprendre ?
Éric n’avait qu’une envie, lui foutre son poing dans la gueule. Il se contenta d’évoquer le soupçon de chantage et le renvoya vers la commandante. Ils regagnèrent leur véhicule.
— Quel connard, putain ! fulmina Éric
— Tout à fait d’accord, compléta Bruno. Bon j’appelle la commandante.
— Merde, fait chier ! jeta Geneviève en lâchant son portable.
Elle expliqua la situation au reste de l’équipe. Sébastien siffla.
— Là, si c’est lié, on est face à quelqu’un de déterminé.
— Oui et on ne l’a pas vu venir. Merde, quelle conne, je me suis laissée embobinée par ce crétin.
Depuis l’interrogatoire, elle s’en voulait. Et le pire pour elle était d’avoir un doute sur son discernement.
— Moi aussi, je me suis fait avoir, ajouta Sébastien compatissant.
— J’appelle le procureur, mais je ne me fais aucune illusion.
En effet, le procureur lui confirma que l’enquête sur le meurtre de Laventin était confiée à la PJ de Mulhouse. Elle posa le combiné et réfléchit.
— Bon, dès que l’on connaît l’heure du meurtre, il faut interroger Wasser pour savoir où il était à ce moment-là.
— Normalement, c’est la PJ de Mulhouse qui devrait lui demander, glissa Sébastien.
— Normalement, oui, répondit Geneviève avec un sourire.
Son portable sonna. C’était l’avocat Blenner.
— Bonjour maître.
— Bonjour madame la commandante. Je venais vous informer de deux choses. Tout d’abord, Julia Ruetsch a été placée en préventive.
— C’est exagéré, non ?
— Tout à fait, le juge des libertés ne s’est fié qu’au strict respect des textes, mais j’ai bon espoir de casser ça et de la sortir de là rapidement.
— Tant mieux, car elle n’a rien à y faire.
— L’autre affaire vous concerne, car, suite au coup de pouce du procureur que vous semblez bien connaître (petit rire). J’ai pu obtenir une permission de sortie pour Cathy. Normalement d’ici quinze jours, ce serait pour le samedi 17 et le dimanche 18. Elle doit résider chez vous, bien sûr. Il faut dire que vous apportez une garantie sérieuse (nouveau petit rire).
Geneviève fut submergée par une onde de bonheur qui la surprit elle-même. Elle se rendit compte à ce moment combien elle tenait à sa « petite famille ».
— Merci beaucoup.
— Il y a un autre facteur qui a aidé. Les cas de COVID sont de nouveau à la hausse et des rumeurs courent sur un prochain nouveau confinement. Donc à situation exceptionnelle, décision exceptionnelle.
— Oui, on commence à en entendre parler, merci encore maître.
Elle informa Sébastien.
Il grimaça.
— Pauvre fille !
— Oui, ça m’étonne quand même.
— C’est qui le juge des libertés ?
— Marchand.
— C’est pas le plus rigoureux pourtant.
— Non, je pense que c’est une question de principe, parce que le meurtre n’est pas résolu et qu’elle est en première ligne. Mais j’ai confiance, Blenner devrait la faire sortir rapidement.
Il hocha la tête et rajouta.
— C’est chouette pour vous, vous allez pouvoir enfin vous retrouver en famille.
Geneviève était sur un petit nuage « oui, très chouette ». Elle ne pouvait plus tarder ; elle appela Julien puis Bernard. En raccrochant, elle sourit intérieurement. « Il doit déjà réfléchir au menu ».
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