Saint-Louis, jeudi 1er octobre 2020 (suite)

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Les époux Ferrand se tenaient droits sur leur siège, l’air légèrement inquiet. Geneviève prit le temps de les observer. La quarantaine passée pour elle et lui qui approchait sans doute de la cinquantaine. Des gens quelconques, sans signe particulier. Elle les laissa dans le doute au sujet de la convocation. Ces parents ont quand même décidé de zapper un viol ou du moins une tentative de viol sur leur fille pour deux cent mille francs suisses. Elle n’était pas encline à les trouver sympathiques. Elle toussa.

— Bien, madame et monsieur Ferrand, je vous ai fait venir pour que nous parlions de votre fille et de Pierre Wasser.

Elle laissa cette information faire son effet. Ils se regardèrent. La mère devint pâle et baissa les yeux. Geneviève n’avait pas l’intention de prendre des gants.

— Est-il vrai que Pierre Wasser vous a offert deux cent mille francs suisses pour acheter votre silence au sujet d’une agression sexuelle contre votre fille ?

À côté d’elle, Laura frappait consciencieusement sur son clavier. Elles se regardèrent. Le mari avait également baissé les yeux. Chacun s’agitait sur sa chaise. Ce fut lui qui prit la parole, hésitant.

— Oui, euh en fait…

— Déjà pouvez-vous me préciser la date et les circonstances des faits, le coupa Geneviève.

Cette interruption le déstabilisa. Il regarda sa femme et bafouilla.

— Ça c’est passé le samedi 13 juin. Ma fille participait à Bâle à une visite d’entreprises organisée par son lycée. Cet après-midi-là, c’était la visite du laboratoire de l’entreprise de Pierre Wasser. Je…

Il resta silencieux.

— Continuez, je vous prie.

Nouveau regard vers sa femme.

— Je n’en sais que ce qu’elle a bien voulu nous dire. Nous avons bien vu lorsqu’elle est rentrée que quelque chose n’allait pas. Nous l’avons questionné et elle a fini par nous dire que cet homme avait essayé de la… violer… quoi.

— Vous a-t-elle donné des détails sur ce qu’il s’est passé.

— Pas beaucoup, elle pleurait et était effondrée. Nous avons dû attendre le lendemain pour pouvoir de nouveau lui demander des explications. Elle a avoué avoir senti une attirance pour cet homme. Alors, sous prétexte de lui faire voir une partie isolée de l’entreprise, il l’a entraînée dans une pièce où il a commencé à… essayé de l’embrasser et lui mettre les mains sous ses vêtements. Elle a pris peur et a réussi à sortir. Elle a préféré rejoindre tout de suite le car.

Il resta silencieux à fixer Geneviève les mains serrées entre ses genoux.

— Et ensuite ?

— On a pensé à porter plainte bien sûr, dit-il rapidement. Mais nous avons eu un appel téléphonique de Pierre Wasser le dimanche. Il a reconnu s’être mal comporté avec notre fille, s’excusait et nous a proposé… de l’argent.

Il baissa la tête comme en attente d’une sanction. Geneviève se recula et soupira en regardant Laura. Elle les regarda à nouveau, sans rien dire. La mère prit, enfin, la parole.

— On regrette. Je n’étais pas très d’accord pour ça.

Le mari s’agita et leva les yeux au plafond.

Vous savez, reprit-elle. Depuis, notre fille n’est pas bien. Et ça ne s’arrange pas. On a eu tort.

« Tu m’étonnes ».

— Maintenant, racontez-moi ce qu’il s’est passé ensuite. Avez-vous eu la visite de Charlotte Wasser ?

— Oui, il y a un mois environ. Je ne sais pas comment elle a été au courant. Elle est venue nous voir sans prévenir et nous lui avons raconté l’histoire. En fait, elle était déjà plus ou moins au courant.

— Et alors ?

— Elle nous a fait la morale, nous a dit que nous ne pouvions en rester là pour notre fille et qu’il faudra porter plainte…

Elle eut des sanglots.

— Et elle avait raison, ajouta-t-elle.

Geneviève lui tendit des mouchoirs.

— Mais maintenant, elle est morte, finit-elle en la regardant éplorée.

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Eh bien déjà, vous signez votre déposition ici et ensuite vous revenez avec votre fille, pour porter plainte contre Pierre Wasser. C’est indispensable pour que votre fille puisse avancer.

Ils se levèrent, accompagnés par Laura. Geneviève poussa un profond soupir et avala trois carrés de chocolat coup sur coup. Et puis, elle sortit, elle avait besoin d’air. Sébastien la rejoignit.

— Ça va ?

— Oui, j’avoue qu’il y a des situations auxquelles je ne me ferai jamais. Mais enfin quels parents accepteraient de l’argent pour taire le viol de leur fille ?

— Beaucoup plus qu’on ne le croit.

Elle soupira.

— Peut-être, oui. Je vieillis, je crois, finit-elle avec un petit rire.

— On peut convoquer Pierre Wasser maintenant ?

— Il faut attendre leur dépôt de plainte. Ensuite, on a de plus en plus de pistes qui conduisent à lui pour le meurtre de sa femme et c’est ça surtout qu’il faut viser.

— Portant, il a un alibi en béton.

— C’est vrai, un complice ?

— J’y pense aussi, admit Sébastien.

— Un complice qu’il achète, rajouta Geneviève. Puisque c’est sa méthode, visiblement.

Une piste commença à se matérialiser au fond de son esprit. Des éléments dispersés qu’il suffisait de rapprocher.

— On a peut-être la solution sous les yeux, en fait.

Sébastien la regarda avec interrogation.

— Où est Kyara ?

— Euh… aux archives le crois.

Elle le planta là sans explication. Elle descendit rapidement et retrouva la stagiaire se grattant la tête en contemplant deux piles de dossiers.

— Bonjour, madame.

— Dis-moi ! tu m’as bien dit qu’un gendarme de Durmenach donne des cours de boxe au club où tu vas ?

— Oui, « boxe et action ».

— C’est lequel ?

— Un grand costaud, avec qui vous avez parlé là où on a trouvé le corps de Charlotte Wasser.

— Oui, je vois qui c’est. Comment il s’appelle déjà… ha oui Colin, l’adjudant Colin. Parfait, merci, Kyara.

Cette dernière n’eut pas le temps de lui répondre qu’elle était déjà repartie. Elle remonta rapidement à son bureau et appela directement l’adjudant-chef Bossert.

— Oui, madame la commandante.

— Dites-moi, je vais être directe. Les soupçons que vous avez au sujet d’un de vos hommes ne concerne-t-il pas l’adjudant Colin ?

Elle reçut un long silence pour toute réponse. Silence qui répondait en partie à sa question. Elle l’entendit prendre sa respiration.

— Oui, effectivement, mais comment…

— Je ne peux rien vous dire pour le moment, car nous n‘en sommes qu’aux soupçons comme vous.

— En fait, nous avons prévu un piège pour le confondre ce soir.

— Parfait, tenez-moi au courant au plus vite, merci.

Elle retrouva Sébastien qui essayait de suivre les événements. Elle lui expliqua.

— Ça se tient. Il faut croire qu’ils se sont liés d’amitié au club de boxe. Une amitié toxique quand même pour en arriver à lui proposer de tuer sa femme contre de l’argent.

— Ce genre de personnage a toujours des problèmes d’argent. Si l’on en fait un être dénué de scrupules, on comprend très vite.

— Ouais, sans doute. Pierre Wasser vaque tranquillement à ses affaires et se construit des alibis en béton. Pendant ce temps-là, Colin devient l’exécuteur des basses œuvres. On peut donc en déduire que c’est lui qui a tué le privé. Bigre ! un tueur redoutable finalement, très dangereux.

— Oui. Il se pourrait que même ses collègues soient en danger s’ils le serrent. Il n’a pas d’état d’âme et dans ce cas, la camaraderie ne pèsera pas lourd.

Elle regarda sa montre.

— Bon, on ne peut rien faire de plus. On devrait en savoir plus demain. Je rentre.

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