Saint-Louis, dimanche 4 octobre 2020 (2)

6 minutes de lecture

Pierre Wasser se tenait droit sur sa chaise, les deux mains fermées sur la table devant lui. Jean Wolff ouvrit le dossier qu’il avait apporté, en tira une feuille qu’il posa face à lui.

— Monsieur Wasser, voici une plainte déposée contre vous pour agression sexuelle qui a eu lieu le 16 juin sur la personne de Lucie Ferrand, 17 ans. Confirmez-vous ?

Il se pencha sur la feuille. Geneviève le vit crisper la mâchoire. Il se recula avec un profond soupir. Elle crut déceler un éclair de résignation dans son regard.

— Oui, soupira-t-ill. Mais j’l’ai à peine touchée cette gamine ! Elle en a rajouté.

— Et donc d’après vous ça valait deux cent mille francs suisses ?

Il leva le bras comme pour chasser un insecte et resta silencieux.

— Les parents de Lucie Ferrand nous ont confirmé avoir reçu cette somme de votre main. Alors ?

Il se passa une main sur le visage.

— Oui, je sais bien ce que ce genre de geste peut avoir comme conséquences dramatiques de nos jours. J’ai une entreprise, je suis responsable de mes salariés et je me devais de protéger tout le monde.

« Le bon samaritain ! » sourit Geneviève intérieurement.

Le brigadier Bruno Zimmermann prit la relève.

— Connaissez-vous Roland Laventin ?

Geneviève n’eut aucun mal à deviner que cette question le déstabilisait.

— Qui ? non, ce nom ne me dit rien.

— Il est détective privé à Mulhouse.

— Non.

Bruno tourna son portable vers lui et lança l’enregistrement téléphonique. Cette fois Geneviève n’eut aucun mal à voir un début de panique chez Pierre Wasser.

— Alors ? insista Bruno.

Pierre Wasser baissa la tête.

— Oui j’avais oublié. Je ne sais pas ce que voulait ce type.

— Nous, on a une idée, car on l’a convoqué. Il vous l’a dit pourtant. C’est votre femme qui l’a contacté pour savoir ce qu’il s’est passé avec cette sortie d’argent. Et Roland Laventin a trouvé ainsi que la preuve de votre tentative de viol.

Il leva la voix.

— Mais non tout ça est exagéré. Ce type n’avait rien, en fait. Et puis, je ne vois pas Charlotte faire ça.

— Et pourtant, on a toutes les preuves. Le problème, voyez-vous, monsieur Wasser, c’est que Roland Laventin a été assassiné chez lui, il y a une semaine.

Il sauta presque de son siège.

— Quoi ? mais je n’y suis pour rien.

Il soupira.

— Je veux un avocat, je ne dirai plus rien.

Geneviève sortit pour rejoindre la salle de Colin. Elle perçut des éclats de voix. En ouvrant la porte, elle vit Sébastien penché vers l’ex-gendarme. Celui-ci le regardait avec un sourire à peine esquissé sur les lèvres. Elle fit signe à Sébastien de la rejoindre dehors.

— Alors ?

— Rien, il est coriace. Il ne peut rien dire sur ce qu’il faisait au moment de la mort de Charlotte Wasser, mais bien sûr, il était très loin. Pierre Wasser ? Connait à peine. Ils n’ont échangé que quelques mots au club de boxe. Voilà où on en est.

— Bon, on va faire une pause. Wasser veut un avocat, donc on est obligé d’attendre. On les met tous les deux en cellule, mais attention, veille à ce qu’ils ignorent la présence de l’autre. On va espérer avoir des éléments nouveaux au plus vite. Allez café pour tout le monde !

La matinée s’avançait doucement vers la fin lorsque tout le monde reprit sa place. Geneviève avait reçu, entre-temps, le rapport de leur technicien sur le portable trouvé chez Pierre Wasser. Un prépayé comme il se devait. Elle avait également confié une petite enquête à Laura accompagnée de Kyara. Pierre Wasser s’était entretenu une demi-heure avec un avocat, maître Balduf, une de ses connaissances. Celui-ci l’assisterait lors de l’interrogatoire. Elle prit la place de Bruno.

— Bien, reprenons. Monsieur Wasser, laissons le contact avec Roland Laventin de côté, pour le moment. Je voudrais vous parler de l’adjudant Colin.

Il se raidit nettement et regarda son avocat.

— Vous le connaissez ?

Il souffla.

— Je le connais, je le connais, oui et non. Il donne des cours de boxe à saint Louis auxquelles je suis inscrit. C’est tout, je ne le connais pas plus que ça.

— Vous lui parlez régulièrement ?

— Mais non, nous n’avons échangé que quelques mots lors des cours.

— Ah ! pourtant il se trouve que l’adjudant Colin qui est en garde à vue à côté possédait un téléphone prépayé.

Il devint blanc.

— Et nous avons trouvé, dans la liste des numéros appelés, le vôtre, du moins celui-ci, qui est un prépayé également saisi lors de la perquisition chez vous.

Elle déposa l’appareil sur la table.

— Qu’est-ce qui prouve que c’est celui de mon client ? coupa maître Balduf.

Geneviève fusilla l’avocat du regard.

— Maître, je ne vais quand même pas vous apprendre la procédure et vous rappeler que vous ne pouvez pas intervenir pendant l’interrogatoire.

Elle se tourna de nouveau vers Pierre Wasser.

— Est-ce le vôtre ?

Il se recula.

— Je ne sais pas moi, peut-être était-il à ma femme, rétorqua-t-il en se précipitant sur la perche que venait de lui servir son avocat.

— Nous sommes en train de vérifier les empreintes. On va voir. Mais en attendant, il se trouve que vous avez échangé avec l’adjudant Colin de très nombreuses fois. Et les appels sont assez nombreux juste avant et juste après la mort de votre femme. On est très loin des quelques mots soi-disant échangés lors des cours de boxes, non ?

Pierre Wasser ne répondit pas.

— Maître, vous pouvez noter le silence de votre client sur cette question.

Ce dernier lui lança un regard noir. Geneviève demanda à Bruno de prendre le relais et elle rejoignit la salle d’interrogatoire à côté. Elle arriva juste pour entendre Colin dire qu’il n’avait rien à rajouter. Elle prit place à côté de Sébastien. Le gendarme la regarda avec défiance.

— Monsieur Colin ne peut nous expliquer pourquoi, sur son téléphone prépayé, le numéro de Pierre Wasser apparaît à de nombreuses reprises, lui expliqua Sébastien.

— Comme vous voulez, Monsieur Colin, commença Geneviève. Autre chose, j’ai là des relevés de votre compte bancaire. Je vois, le 14 septembre, un dépôt de cinquante mille euros en espèces. D’où provient cet argent ?

— Un remboursement de dette.

— Bien ! de qui ?

— Je ne peux pas le dire.

— C’est embêtant ça. Ce ne serait pas de la part de Pierre Wasser ?

Il sursauta.

— Qui ? Mais non !

— Ah ! pourtant Pierre Wasser qui est en garde à vue à côté, n’est pas loin d’être de mon avis.

Geneviève garda son visage de « poker face ». Parfois il fallait tenter le diable. Mais les coups de bluffs restaient toujours très aléatoires et elle répugnait à utiliser ce genre d’expédients. Elle vit que l’annonce de la garde à vue de Pierre Wasser l’avait fait tiquer. Il resta momentanément silencieux puis afficha un rictus.

— Vous bluffez, vous n’avez rien.

— On attend les relevés de ses comptes bancaires. Ça ne va pas tarder.

— Et bien attendons, alors, conclut-il avec un regard provocateur.

« Oui, dur à cuire, effectivement. Pour le moment, on tourne en rond. ». Les deux interrogatoires continuèrent encore une bonne heure sans apporter de progrès notables. Geneviève décida d’en rester là, pour aujourd’hui. Les deux hommes furent reconduits en cellule.

— Pas la peine de perdre notre temps. Il faut espérer que nous allons recevoir des éléments nouveaux, expliqua-t-elle à l’équipe réunie.

Laura et Kyara arrivèrent à ce moment-là. Laura fit un signe à Geneviève.

— Bon on a faim, déclara Sébastien. Kyara tu vas descendre avec Thomas, chercher des sandwichs « garde à vue », en bas. Ils savent ce que c’est.

Geneviève sourit en repensant à la première fois où on lui avait amené de tels sandwichs. Elle rejoignit Laura.

— C’est bon, on a interrogé le patron et le serveur de l’auberge des deux clefs et ils confirment, lui souffla-t-elle.

— Bien, gardons ça sous le coude, mais on n’en est pas encore là.

Vingt minutes plus tard. Kyara et Thomas arrivèrent avec les sandwichs et de la bière.

— D’accord, les sandwichs « garde à vue », dit Kyara avec un sourire. J’aurais dû y penser : poulet, avocat.

Sébastien haussa les épaules. L’après-midi s’étira lentement et, finalement, Geneviève décida de renvoyer tout le monde chez soi. Ils n’avanceraient pas plus aujourd’hui de toute façon. « Et une nuit en cellule ça dégourdit les esprits » se dit Geneviève, bien qu’elle doutât que ce soit le cas pour l’adjudant Colin. Elle resta encore une heure en attente de résultats qui n’arrivèrent pas. Elle rejoignit Village-Neuf, alors que le soleil abandonnait la partie, lui aussi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bufo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0