Saint-Louis, jeudi 8 octobre 2020
Julia ouvrit lentement la porte et resta sur le seuil. Gribouille se précipita pour se frotter à ses jambes. Céline avait promis de s’en occuper et il semblait en bonne santé. Elle se pencha pour le caresser.
— Comment tu vas toi.
Il renouvela ses allées et venues entre ses pieds.
— Je vais te donner des croquettes.
La prison avait mis un taxi à sa disposition. Elle voulait rentrer discrètement. Elle referma la porte, s’y adossa et ferma les yeux. Quel pouvait-être son avenir ici, désormais, à Durlinsbach ? Comment se présenter à l’auberge ? Tout le village devait être au courant de son histoire. Pourtant, vivre recluse ici n’était pas non plus une option, il lui faudrait bien sortir un jour. Elle remplit la petite gamelle métallique de croquettes, se déshabilla et mit ses vêtements dans la machine à laver ainsi que ceux reçus en prison. Finalement, elle se ravisa, les sortit du tambour, les jeta puis se dirigea vers la douche. Elle ressentait la nécessité impérieuse de se laver pour effacer cette mauvaise expérience. Alors que l'eau chaude s'écoulait sur son corps, le visage de Cathy lui revint en mémoire. Heureusement que cette femme l’avait soutenue et aidée à surmonter cette épreuve. Elle ne savait vraiment pas comment elle aurait pu faire face, seule à ces treize jours. Des frissons la saisirent en se remémorant le regard que certaines détenues lui lançaient ; elle était persuadée qu’elle n’aurait pas survécu. Elle sortit de la douche rapidement, se sécha et passa des vêtements de sport et se dirigea vers la cuisine. Elle mit la cafetière en route, resta le regard fixe et l’esprit vide. Elle se versa son café et alla se caler dans son fauteuil avec un paquet de petits gâteaux qu’elle gringotta sans gourmandise. Gribouille sauta sur ses genoux. Ses doigts errèrent dans la fourrure ronronnante. Une douce torpeur la gagnait lentement lorsqu’on frappa à la porte. Elle sursauta. On frappa encore. Elle se recroquevilla dans son siège.
— Julia ?
Sylvain ! elle se liquéfia. Elle se sentait totalement incapable de le voir. Il continuait à tambouriner à la porte.
— Julia, ouvre, je sais que tu es là.
Elle se leva doucement et se dirigea vers la porte. La main sur la poignée, elle resta un instant immobile, puis ouvrit. Il affichait un visage neutre et il la regarda sans prononcer un mot. Elle recula dans la pièce. Il resta encore un instant sur le seuil puis entra. Ils restèrent debout face à face sans un mot. Il ne laissait transparaitre aucune émotion.
— Tu veux t’asseoir, tu veux un café ?
— Non, répondit-il un sèchement.
De nouveau, un silence délétère s’installa entre eux. Elle devait lui parler.
— Sylvain, je…
Il leva la main et fit quelques pas en regardant le sol. Puis, il se tourna brusquement vers elle.
— Je voulais savoir si…
Elle retenait son souffle, n’osant prononcer aucune parole. Il refit quelques pas.
— Je voulais savoir si ce que l’on dit est vrai, que tu es…
Il ne la regardait toujours pas.
— Je suis quoi ?
— Si tu es un homme ? lâcha-t-il avec colère.
Elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Elle s’assit.
— Mais de quoi tu parles, c’est un homme que tu as vu devant toi lorsque nous étions…
Une fois encore, il l’interrompit en levant la main.
— Tu me comprends, maintenant avec les opérations…
Elle baissa la tête.
— C’est vrai que je suis né homme, mais je me suis toujours sentie femme et…
— Ne dis rien de plus. Tu te rends compte ce que je peux ressentir sachant que j’ai fait l’amour à un homme.
— Mais ce n’est pas vrai, tu le sais bien, Sylvain, je t’en prie ne dit pas ça.
— Je me sens sale, désolé.
Il se précipita dehors en laissant la porte ouverte. Elle resta un instant, sidérée et puis s’effondra en larmes. Son monde s’écroulait à nouveau. Les mêmes démons venaient la hanter. Elle fut envahie par le désespoir, persuadée qu’elle ne pourrait jamais vivre normalement. Elle se coucha sur le sol en pleurs. Une main lui toucha l’épaule.
— Julia.
C’était la voix de Céline.
— Relève-toi, viens, je t’en prie, ne reste pas comme ça.
Elle leva la tête vers elle. Céline se pencha et elle se précipita dans ses bras, incapable d’arrêter le torrent de larmes. les doigts de Céline caressant ses cheveux lui firent du bien.
— Là, doucement, ça va aller, aller viens, lève-toi.
Elle l’accompagna jusqu’au fauteuil et s’accroupit face à elle.
— Ne dis rien, je sais tout. Attends.
Elle alla chercher un essuie-tout dans la cuisine et lui tendit.
— Je pense que tu crois que tout le village va te guetter et te rejeter, mais ce n’est pas vraiment le cas. Quoiqu’il en soit, je pense que tu ne veux pas rester ici, non ?
Elle lui fit non de la tête.
— J’y ai réfléchi et tu peux aller chez ma sœur à Altkirch. Elle est prête à t’héberger. Elle est au courant.
Elle lui adressa un maigre sourire au milieu d’un visage encore ruisselant. Céline lui sécha les joues.
— Et puis tu sais pour Sylvain… après tout, ce n’était peut-être pas le bon. Tu aurais bien dû lui dire à un moment ou un autre. Et alors, crois-tu qu’il aurait réagi différemment ?
Une petite lueur s’alluma tout au fond de son esprit voilé par ses sombres pensées.
— Allez, prépare-toi, je t’emmène. J’ai déjà parlé à Gérard qui semble plus compréhensif que son fils. Une nouvelle vie commence, ça va aller.
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