Saint-Louis, lundi 19 octobre 2020

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En arrivant au commissariat, Geneviève gardait toujours en tête les propos de Cathy. Il y avait visiblement quelque chose qui clochait dans le comportement de Serge Ketterlé. Elle appela Bruno et lui expliqua.

— Qu’en penses-tu ?

Il haussa les épaules en soupirant.

— Si c’est vrai, il a bien caché son jeu. Dans ce cas, on peut se demander pourquoi. En tout cas, c’est vrai que la documentaliste du musée sundgauvien m’a dit qu’il s’intéressait particulièrement à l’histoire du moulin.

— Je vais appeler Durmenach pour avoir les détails sur l’accident de sa femme.

Elle eut rapidement le brigadier-chef Bossert. Il semblait content de l’entendre.

— Je vous appelle aujourd’hui au sujet d’une affaire qui remonterait à 2015. Il s’agit de l’accident survenu au moulin de Durlinsbach qui a coûté la vie à la femme de Serge Ketterlé.

— Oui, je m’en souviens. À l’époque c’était encore la brigade de Ferrette qui intervenait. Nous avons récupéré le dossier, je vais vous l’envoyer. Il est assez succinct. Si vous voulez plus de détails, vous pouvez contacter le brigadier Maxime Sengelin. Je vous donne son téléphone personnel.

— Votre aide est toujours aussi précieuse, merci beaucoup.

Comme promis, le rapport leur parvint dans le quart d’heure suivant. Geneviève le feuilleta, mais effectivement, il était surtout technique. L’hypothèse de l’accident était évidente. Elle le donna à Bruno qui le parcourut rapidement.

— Ça ne nous en apprend pas plus.

— Je vais téléphoner à ce brigadier pour le rencontrer. Tu viendras avec moi.

Elle n’eut aucun mal à avoir le gendarme au téléphone. Le rendez-vous fut donné à Ferrette. Elle raccrocha en regardant Bruno.

— Au bar « à l’ombre du château » pour seize heures.

Elle fut surprise de voir un tout jeune brigadier à l’allure sportive et le regard rieur. Il se leva en les voyant arriver pour les saluer chaleureusement.

— Buvez-vous quelque chose ?

Elle regarda Bruno.

— Deux cafés, merci.

Elle remarqua qu’il ne la quittait pas des yeux. Il se pencha vers elle.

— Vous savez madame la commandante, je suis honoré de faire votre connaissance. Vous commencez à avoir une solide réputation dans le coin.

Elle resta sans voix, ne s’attendant pas du tout à ce genre d’entrée en matière.

— Vraiment ?

— Oui et nous apprécions particulièrement l’attitude de votre équipe envers la gendarmerie. Ce n’est pas toujours le cas vous savez.

Elle ressentit un mélange de gène et de satisfaction. Bruno restait silencieux avec un sourire au coin des lèvres.

— Je vous remercie. Je crois à la coopération entre nous. Nous avons un territoire très particulier. Le tissu urbain reste très dense, même en milieu rural.

Le serveur apporta les deux cafés. Le jeune brigadier se redressa.

— Alors que puis-je pour vous ?

Elle lui expliqua leur intérêt pour l’accident de Durlinsbach.

— Oui, je me souviens très bien. Je venais de prendre mes fonctions à Ferrette et c’était ma première affaire sérieuse. Dramatique, vraiment, oui.

Il resta le regard vague avec, sans doute, les images du passé qui lui revenaient.

— Je revois tout très nettement. Ce tas de pierres avec juste le bras de cette femme qui en sortait et le mari effondré qui lui tenait la main et lui parlait. Les secours, ont eu du mal à le relever. On avait déjà compris qu’il n’y avait plus rien à faire.

Il inspira profondément.

— Nous avons dû faire appel à une petite pelleteuse pour dégager les premières pierres. Puis nous sommes arrivés à elle, le visage était intact et paisible. Je m’en souviens très bien, ça m’a marqué. Je garde l’image de ce visage en tête.

À son regard, Geneviève devina presque la phrase qu’il gardait pour lui « elle était belle ».

— Nous voudrions en savoir plus sur le comportement du mari, Serge Ketterlé.

Il se ressaisit.

— Oh ! conforme à un homme qui vient de perdre brutalement sa femme. L’accident était évident. Nous avons tout de suite écarté la thèse de l’homicide si c’est ce que vous voulez savoir.

— Non, disons que nous voudrions en savoir plus sur ses réactions, ce qu’il a dit.

Il baissa les yeux, rassemblant ses souvenirs.

— C’était la réaction d’un homme extrêmement choqué. Il tenait des propos incohérents. Il a parlé de diable et…

Geneviève le coupa.

— De diable ?

Il écarta les bras.

— Oui, comme quoi, il l’aurait vu alors qu’il était à l’intérieur de la bâtisse. Avec un visage horrible qui souriait. Et il a entendu le mur s’effondrer au même moment. Il était sûr que c’était le diable qui l’avait fait tomber. Il a parlé de malédiction et je ne sais quoi d’autre. C’était au point que les secours lui ont administré un calmant et il a été emmené à Altkirch, à l’hosto.

Elle échangea un regard avec Bruno qui hocha la tête. Le reste de l’entretien tourna autour de la dernière affaire du brigadier Colin qui avait clairement jeté un grand trouble dans toutes les brigades du Sundgau et même plus loin. Ils prient congé. Le jeune homme se leva et salua encore Geneviève avec enthousiasme. Ils regagnèrent leur véhicule.

— Et bien dites donc, voilà un vrai aficionado, lui dit Bruno avec un grand sourire.

— Je ne m’attendais pas à celle-là, lui répondit-elle en démarrant.

— Mais à part ça qu’en penses-tu de ce comportement de Ketterlé ?

— Un tel choc peut facilement pousser quelqu’un à croire en des forces occultes. J’ai déjà vu ce genre de réaction. Mais il est probable qu’il soit déjà sensible à ces croyances. Cela ne veut pas dire qu’il est profondément religieux. Je dirais qu’il s’intéresse plus à l’ésotérisme, peut-être même à la sorcellerie.

— Assez dérangé pour tuer ?

Il la regarda en haussant les épaules.

— C’est quand même un pas supplémentaire, honnêtement… je ne sais pas.

— Mouais.

Malgré tout, pour elle, on avait franchi une étape. Une gamme de possible qui s’ouvrait à eux. Une porte qu’ils n’avaient pas ouverte, car des plus improbables, sauf pour son brigadier, Bruno Zimmermann, qu’elle regarda un peu différemment.

De retour au commissariat, elle appela Sébastien et ils lui firent part de leur entretien avec le gendarme. Il resta silencieux, perdu dans ses pensées.

— Crois-tu que l’on puisse tenter la garde à vue ? lui demanda Geneviève.

Il ouvrit grand les yeux en écartant les bras.

— Franchement ? ça me paraît casse-gueule. Et puis d’accord, cette histoire de diable, mais pourquoi aller tuer cette pauvre fille ?

— Son raisonnement peut nous échapper, intervint Bruno. Rite expiatoire, conjuration de sors, ou bien tout simplement vengeance par un raisonnement qui nous dépasse.

— Le lien entre les deux ?

— Il a été son professeur au collège d’Altkirch, compléta Geneviève.

Sébastien se frotta le menton.

— Oui au fait, donc là où était également Julia Ruetsch. Il ne nous en a rien dit à ce sujet.

— On ne lui en a pas parlé non plus, rajouta Bruno.

— OK, mais il a sans doute reconnu Léa. Pour Julia c’est moins évident, admettons, quoique.

— Et ça nous mène où ? interrompit Geneviève.

Sébastien soupira

— Pas bien loin, franchement je ne sais pas. En tout cas, si on le convoque, il ne faut pas se louper. Il faudra du solide pour justifier la garde à vue.

Bruno se redressa et se tourna vers Geneviève.

— Laissez-le-moi. Je peux peut-être arriver à quelque chose.

Elle le regarda et comprit que Bruno représentait sans aucun doute, la personne la mieux qualifiée pour mener cet interrogatoire.

— D’accord, vous le convoquez pour demain matin. Dites-lui que c’est pour un complément d’information pour boucler le dossier Léa Baysang. C’est important qu’il ne se doute de rien. Bruno, tu resteras seul avec lui, ça le mettra en confiance.

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