Saint-Louis, mardi 20 octobre 2020 (suite)

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Geneviève décida de reprendre l’interrogatoire vers le milieu de l’après-midi. L’équipe était revenue avec les résultats de la perquisition. Les cartons étaient empilés sur la grande table, mais un sachet en particulier attira immédiatement son attention : une lanière de cuir épaisse, avec un anneau. En la voyant, tous les détails évoqués par le légiste lui revinrent. Ce morceau de cuir était ancien, peut-être même très ancien. Elle le montra à Sébastien et Bruno.

— Je prends le relais. Tu viens avec moi, dit-elle à Bruno.

Ils retournèrent dans la salle d’interrogatoire, où Serge Ketterlé, visiblement épuisé, les attendait. Il les fixa avec une méfiance accrue. Bruno enclencha l’enregistrement.

— Vous allez m’expliquer, enfin, commença-t-il.

Geneviève posa lentement la lanière de cuir devant lui. Ketterlé blêmit, le regard figé sur l’objet.

— Vous la reconnaissez, n’est-ce pas ?

Un murmure à peine audible s’échappa de ses lèvres.

— Oui.

— Alors, expliquez-moi ce que c’est.

Ketterlé semblait lutter contre lui-même. Sa voix était rauque lorsqu’il répondit :

— C’est un garrot. Celui qu’on utilisait… pour étrangler les sorcières avant de les brûler.

— Celui de la sorcière qui a maudit Durlinsbach ? demanda Geneviève en insistant sur chaque mot.

Il haussa les épaules, comme s’il cherchait à minimiser l’importance de l’objet.

— Rien n’est sûr. J’ai mis des années à le trouver. Je l’ai acheté chez un antiquaire spécialisé à Paris. Mais il vient bien d’Alsace, ça, c’est certain.

— Continuez, je vous écoute.

Ketterlé poussa un soupir, puis plongea dans un silence lourd. Geneviève se pencha légèrement vers lui, sa voix prenant un ton plus ferme :

— Monsieur Ketterlé, nous allons envoyer ce garrot au laboratoire. Qu’est-ce que vous pensez qu’on y trouvera ?

Il resta silencieux, le regard toujours rivé sur la lanière. Mais sa respiration s’accélérait, trahissant une angoisse croissante.

— Je pense que nous y trouverons l’ADN de Léa Baysang. Vous en dites quoi ?

À ces mots, Ketterlé baissa la tête, incapable de formuler une réponse. Son souffle devenait erratique, comme s’il luttait contre une vérité trop lourde à porter.

— Monsieur Ketterlé, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’en finir ?

Soudain, il releva la tête, les yeux brillants d’une étrange exaltation.

— C’est la malédiction ! Vous comprenez ? C’est elle qui a tué ma femme, dit-il, la voix tremblante, les larmes au bord de ses yeux. Il fallait que ça s’arrête !

Geneviève sentit qu’elle était sur le point de franchir un cap. Elle baissa d’un ton, rendant son approche plus douce, presque maternelle.

— Comment ? Comment mettre fin à cette malédiction ? demanda-t-elle doucement.

Il renifla, pris entre sanglots et révolte.

— Je l’ai lu… dans des documents du musée d’Altkirch. J’ai recoupé les informations à Strasbourg, dans des archives peu consultées.

— Et qu’ont-ils dit ?

Il inspira profondément, comme pour s’armer de courage avant de dévoiler ce qu’il gardait enfoui.

— La malédiction s’éteindra avec la mort du dernier descendant de celle qui a jeté le sort.

Geneviève échangea un rapide regard avec Bruno. Tout devenait plus clair.

— Et Léa Baysang était cette descendante, n’est-ce pas ?

Ketterlé hocha lentement la tête, le regard perdu dans ses pensées.

— Oui. J’ai vérifié à Colmar, dans les archives. Le nom Baysang est extrêmement rare. J’ai remonté sa lignée… elle est la dernière descendante d’Anne Weiss. Éloignée, certes, mais elle vient de cette famille.

Geneviève laissa échapper un soupir. Enfin, ils touchaient au but.

— Racontez-moi ce qui s’est passé, demanda-t-elle calmement.

Ketterlé sembla se détendre légèrement, comme si cette question marquait la fin d’un lourd fardeau.

— Après lui avoir parlé ce dimanche à l’auberge des Deux Clefs, j’ai voulu en avoir le cœur net. Je suis allé vérifier les archives à Colmar. Ce que j’ai découvert… m’a perturbé. La nuit suivante a été un enfer. J’ai revu ma femme, lce visage hideux du Diable… Il fallait que tout s’arrête. Que ça cesse, vous comprenez ?

Geneviève hocha doucement la tête, l’encourageant à poursuivre.

— Et c’est là que vous avez pris votre décision.

— Oui, murmura-t-il.

— Racontez-moi ce que vous avez fait.

— J’ai décidé d’agir le lundi soir. J’avais l’intention de la retrouver au moulin. Je me serais arrangé pour l’attirer, pour lui montrer… quelque chose d’important. Et j’avais le garrot, au cas où.

— Mais elle n’était déjà plus là, c’est ça ? Julia Ruetsch l’avait enlevée, n’est-ce pas ?

Ketterlé hocha de nouveau la tête.

— En fait, j’ai vu Julia la faire monter dans sa voiture. Léa semblait… à moitié inconsciente. Je les ai suivies et j’ai vu Julia l’enfermer chez elle. Je savais qu’elles avaient un passé commun.

— Donc vous aviez reconnu Julia Ruetsch dès son arrivée à Durlinsbach ?

— Oui, j’ai compris rapidement. Et l’affaire de harcèlement au collège prenait un autre sens. Mais je n’ai rien dit, après tout c’était leur histoire. J’ai compris en les suivant que Julia voulait lui faire payer ce passé.

Geneviève échangea un regard avec Bruno, tous deux captivés par les détails qui se mettaient enfin en place.

— Et ensuite ? Que s’est-il passé après ça ?

— Je suis revenu le lendemain soir, espérant que Léa serait toujours enfermée. C’était le cas. J’ai forcé la porte et je n’ai eu aucun mal à lui faire croire que je venais la délivrer. Je l’ai laissée marcher devant moi… et là, je l’ai étranglée.

— Vous l’avez étranglée sur place, comme ça, dans la cour de la ferme ? Au risque d’être entendu par Julia Ruetsch.

— Non, nous étions déjà derrière, dans un endroit isolé. Je l’ai mise dans le coffre de ma voiture et je suis parti.

Geneviève prit une profonde inspiration, sentant la gravité du moment. Bruno intervint.

— Après l’avoir étranglée, vous saviez qu’il fallait la brûler pour accomplir le rite, n’est-ce pas ?

Ketterlé écarta les bras, le regard presque résigné.

— Oui. Il fallait aller jusqu’au bout du rituel. Mais ça a été compliqué. Les recherches pour la retrouver avaient commencé, il y avait du monde partout. J’ai repéré un endroit avec suffisamment de bois pour préparer un… bûcher. Je suis revenu le samedi matin, avant l’aube. Il n’y avait plus personne. J’ai allumé le feu… et voilà…

Le silence dans la pièce devint étouffant. Geneviève échangea un regard avec Bruno, une question muette passant entre eux.

— Tout ça pour ça… murmura-t-elle.

— Bien ! monsieur Ketterlé, je vous laisse avec mon brigadier pour que vous finalisiez votre déposition.

Elle rejoignit la pièce principale et elle informa les membres de son équipe présents.

— Il a tout avoué, finit Geneviève, marquée malgré tout par la confession. Une malédiction de plusieurs siècles… terminée de la façon tragique.

— Putain, je l’crois pas, maugréa Kyara entre ses dents.

— Une satanée enquête, pour sûr, glissa Sébastien.

— Oh, ça c’est mauvais, lança Laura en levant les yeux au ciel.

— Bon, allez. On a encore du boulot, conclut Geneviève en se dirigeant vers son bureau.

Elle s’assit lourdement dans son fauteuil, ouvrit son tiroir et en sortit deux carrés de chocolat qu’elle savoura lentement.

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