Réunion de service
Toulouse, Hôtel de Police
Le commissaire Ange Ségafredi était arrivé de bonne heure à son bureau ce lundi matin. Il avait déposé à l’aéroport de Blagnac sa compagne Julie Delmas qui partait pour une semaine de reportage en Roumanie et en Moldavie, à la frontière de l’Ukraine. La pluie froide qui tombait sur le canal du Midi donnait un avant-gout de la météo que les réfugiés avaient à affronter aux marches de l’Europe. Ange restait admiratif de la motivation qui poussait la journaliste à repartir régulièrement pour les régions où il y avait encore des voiles à lever, des causes à défendre. Certes, Julie avait renoncé aux séjours dans les points les plus chauds où la vie des reporters était sans cesse mise en danger par des belligérants ou des régimes ne tolérant pas l’information libre, mais elle continuait à se passionner pour les femmes victimes de ces conflits, migrantes, exilées ou esclaves modernes.
Le commandant Kevin N’Guyen, qui dirigeait le groupe trois de la PJ toulousaine et qui, à l’occasion, assurait l’intérim du commissaire, passa la tête dans le bureau.
« Ange, on n’attend plus que toi. »
Le commissaire regarda sa montre. Neuf heures cinq, l’heure du briefing général hebdomadaire.
« J’arrive, répondit-il. »
Dans la grande salle de réunion, une quinzaine d’hommes et de femmes bavardaient dans un joyeux brouhaha. Des gobelets de café passaient de main en main. On commentait les exploits des Bleus dans le tournoi des six nations, on parlait des activités du week-end, du dernier film. Une réunion de service normale en quelque sorte. À l’arrivée du commissaire, le ton diminua et chacun prit une place.
« Bonjour à tous, j’espère que vous avez passé un bon week-end. Le mien a été très agréable, mais je vous informe que cette semaine je suis célibataire, vous savez tous ce que ça veut dire ! »
Depuis qu’il avait pris la direction de l’unité de police judiciaire, trois ans plus tôt, tous les membres de l’équipe avaient appris à connaître le rythme de vie particulier de leur chef. Sa compagne venait de partir en voyage pour plusieurs jours, ce qui signifiait qu’il n’y aurait plus d’horaires pour leur patron.
« Je vous propose de commencer comme chaque lundi par un petit point sur les événements du week-end. Juliette, je te laisse la parole.
— Je vous fait grâce des petites affaires habituelles de chaque fin de semaine. Nous avons par contre un gros morceau. Un homicide au marché Cristal hier matin. Il ne s’agit visiblement pas d’une altercation qui a mal tourné, mais d’une véritable exécution. La victime, un certain Khaled Belkacem travaillait pour un commerçant forain. Elle a été retrouvée égorgée dans un camion de primeurs. Nous n’avons que peu d’indices, des témoins décrivent un homme d’allure sportive, habillé comme un vigile, qui a tranquillement pris la fuite vers le centre ville. J’ai demandé les enregistrements de vidéo-surveillance, nous devrions les recevoir dans la journée.
— La victime est liée à Aboubaker Belkacem ? demanda la capitaine Saada.
— C’est son fils, répondit sa collègue.
— Sauf étrange coïncidence, ce n’est pas le client lambda.
— Khaled Belkacem n’a pas de dossier chez nous, compléta Delhuine, mais son père est bien connu en effet.
— J’ai eu quelques contacts avec lui sur différentes affaires de deal, compléta Samira, mais elles ont rapidement été classées par nos collègues des stups. On n’a jamais réussi à trouver de preuves suffisantes contre lui. Depuis il s’imagine que parce qu’on vient du même bled, je devrais lui accorder un traitement particulier. Je ne serais pas surprise d’avoir de ses nouvelles aujourd’hui.
— Très bien, intervint le commissaire. Juliette, d’autres éléments à nous communiquer avant de passer à la suite ?
— Pour ce que j’ai pu voir et d’après les premières constations du légiste, non officielles, l’assassin a agi en professionnel. Du travail de commando, a commenté le docteur Doumeng. Pour info, c’est le substitut Madur qui est sur l’affaire pour le Parquet.
— Merci Juliette, puisque c’est toi qui a été la première sur le coup, je propose que tu te charges des premières investigations avec ton groupe. Sam, tu donneras un coup de main à Juliette si nécessaire. Tout le monde est d’accord ? »
Ange regarda les flics assemblés devant lui. Personne n’avait rien à redire.
— Parfait, je vous propose de continuer avec la synthèse des affaires en cours. Qui veut commencer ? »
Une heure plus tard, le commissaire était de retour dans son bureau, son troisième expresso à la main. Après quelques minutes passées à parcourir les différentes notes et instructions reçues durant le week-end, le téléphone du bureau se fit entendre.
« Commissaire, le procureur de Mazière souhaite vous parler, annonça le standardiste.
— Très bien, passez le moi. »
Après quelques instants, la voix du magistrat se fit entendre dans l’appareil.
« Commissaire, je suppose que vous avez eu l’occasion de parler avec vos troupes ce matin. Vous êtes donc au courant du meurtre du jeune Belkacem.
— En effet, monsieur le Procureur, la capitaine Delhuine m’a fait part de ses premières constatations.
— Je suppose que vous n’ignorez pas qui est la victime. Belkacem père est quelqu’un qui a une grosse influence sur la communauté des Izards. C’est un quartier où nous avons beaucoup trop de troubles et de morts violentes. Le maire ne souhaiterait pas que ce regrettable événement soit le prétexte à un nouvel embrasement du secteur.
— C’est aussi quelqu’un qui est soupçonné de contrôler des réseaux de revente de stupéfiants sur la ville.
— À ce jour, son implication n’a pas pu être démontrée. Je vous demande de traiter cette affaire avec discernement. Je crois savoir que c’est la capitaine Delhuine qui a recueilli les premiers éléments hier. Pensez-vous qu’elle a la maturité et l’expérience nécessaires dans ce contexte ?
— Monsieur le Procureur, tous mes chefs de groupe ont fait leurs preuves sur le terrain et aucun n’a été mis en défaut. Notre taux d’élucidation est l’un des meilleurs de France depuis plusieurs années.
— Je vous entends bien Commissaire, vous êtes responsable de vos hommes et femmes. Je vous demanderai néanmoins de superviser personnellement cette enquête et de me rendre compte régulièrement.
— Bien, Monsieur le Procureur, nous procéderons ainsi. »
Ange raccrocha rageusement après une dernière politesse protocolaire. Il avait l’habitude de ces appels provenant des autorités judiciaires, qui ne faisaient que répercuter la pression politique des élus locaux ou régionaux. Il comprenait l’effet désastreux sur l’image d’une métropole que pouvaient avoir les articles et reportages à sensation rapportant les règlements de comptes entre bandes, les voitures brulées ou les pompiers caillassés, mais l’émotionnel ne devait pas prendre le pas sur la rigueur des investigations ou le respect dû aux fonctionnaires en charge des dossiers. Il appela Juliette Delhuine.
« Je viens d’avoir un appel du Procureur de Mazière, himself. Est-ce que tu as eu par le passé des problèmes avec Madur ou un autre des ses substituts ?
— Absolument pas, c’est juste que Madur déteste travailler avec des femmes, surtout si elles sont en charge d’une enquête.
— Mazière aurait sans doute aimé que je confie le dossier Belkacem à N’Guyen.
— Il peut le prendre, ça ne me dérange pas.
— Non, pas du tout. Il n’y a aucune raison de céder à ce genre de pressions. Tu restes sur l’affaire, mais je te demanderai de me rendre des comptes très fréquemment, car je ne doute pas que je serai régulièrement l’objet de ses appels.
— Merci de ta confiance. L’autopsie de Belkacem est prévue à onze heures trente. Je file à Rangueil, je te raconterai à mon retour. »
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