Toulouse, Quartier Arnaud Bernard

« Bon sang, Kamel, pourquoi est-ce que tu as choisi cet endroit ? demanda Selima en arabe.

— J’aime bien, répondit l’homme, ça me rappelle le pays.

— Putain, dit la jeune femme agacée, tu n’y as jamais vécu dans ce que t’appelle le pays. Moi, je sais ce que j’ai quitté, et pour rien au monde je ne voudrais y retourner. Pourquoi pas sur la place du Capitole ?

— Ici, personne ne prête attention à nous !

— Parle pour toi, tous les mecs me regardent en se demandant pourquoi je ne porte pas le hijab.

— Ta petite sortie avec Meriem t’est montée à la tête ma belle. Redescend sur terre ! Tu es une combattante, pas une bourgeoise, ne l’oublie pas.

— Bon, d’accord. Alors dans ce cas, quels sont les prochaines actions ? On a buté des Russes, ça ce n’est pas pour me déplaire, mais on fait quoi ensuite ? Tu veux prendre la villa de Leonorov d’assaut ? Je peux t’assurer qu’on n’a pas les moyens de le faire. Ces types sont protégés par des anciens militaires ou des mercenaires.

— Non, on ne va pas attaquer de front, ça c’est sûr. L’idée c’est plutôt de voir si on peut atteindre sa compagne. Une très belle femme, ancien mannequin, elle ne doit pas passer sa vie cloitrée dans sa propriété.

— Vous avez perdu les pédales, les mecs. C’est un concours à qui pissera le plus loin ? Si j’ai bien suivi, ce Russe a fait liquider Khaled, je comprends la peine et la colère d’Abou, mais on a déjà éliminé un de ses hommes et une femme, une troisième est à l’hôpital pour un moment. Si on tue sa blonde, vous croyez qu’il va rentrer à Moscou la queue entre les jambes ?

— Calme-toi Selima, je suis d’accord, on ne va pas éliminer tous les Russes de Toulouse. Je crois que le patron veut remettre les compteurs à zéro. Pour lui une pute et un dealer, ça ne vaut pas un fils. Je crois que quand il se sentira vengé, on pourra négocier.

— Bon, de toute façon, on ne sait rien de cette femme. »

Kamel poussa vers elle une feuille pliée en quatre. L’ancienne amazone prit le temps de regarder la photo et de lire le texte de l’article.

« C’est elle ? Olga Pavlova, tu as demandé à Meriem de faire des recherches ? Si c’est un ancien mannequin, on doit pouvoir retrouver des articles ou des photos datant de la période où elle travaillait encore. Et aujourd’hui, elle a sans doute des comptes sur Facebook ou Instagram. Ça nous aiderait de savoir si elle a des amies dans la ville et de localiser les endroits qu’elle fréquente.

— Je n’y connais rien, moi. Vois ça avec Meriem directement.

— D’accord, je vais le faire. Est-ce que ça peut attendre lundi ?

— Je suppose que oui, tu as quelque chose de prévu ?

— Ça, ce n’est pas ton affaire. Même les soldats ont droit à des permissions et Meriem aussi a le droit de mener sa vie.

— Bon, OK pour lundi, mais pas plus tard.

— Si tu es pressé, tu peux envoyer un drone prendre des images de la propriété.

— Un quoi ?

— Un drone, tu sais, c’est une sorte de petit hélicoptère télécommandé qui peut prendre des photos ou des vidéos. Je suis sûr qu’Abou a un petit-fils qui en a un ! Si vous ne savez pas quoi faire de votre journée de dimanche…

— Ne me parle pas sur ce ton !

— Tu me payes pour faire un boulot, je le fais et plutôt bien. Le reste de mon temps, je l’utilise comme je veux. Et si vous voulez rester dans le business, il va falloir apprendre à utiliser les outils du XXIe siècle. »

La jeune femme se leva brusquement, prit son sac et sortit.

« Merci pour le thé, à lundi ! »

Dans le café, quelques hommes se mirent à rire.

« Il faudrait peut-être un peu lui apprendre les bonnes manières à ta moukère ! lança un client goguenard. »