Chapitre 4 - Moment de Flottement

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Durant toute la soirée, Tristan ne me pas lâche d’une semelle. Entre deux présentations officielles, il tente des approches, demandant à me parler seul à seul.

Heureusement, je trouve toujours le moyen de l’éviter en me réfugiant dans la présentation d’une nouvelle personne pour couper court à sa demande. Je ne souhaite absolument pas lui parler, encore moins pour écouter ses probables explications bidon qui me replongeraient irrémédiablement dans un passé dont j’aimerai tout oublier.

« - Je voudrais te parler » me chuchote-t-il encore une fois.

- Moi pas.

- Je t’en prie… C’est important… »

Cette fois-ci, c’est grâce à Esther que j’arrive à esquiver ce tête-à-tête.

« - Ah Esther, tu tombes bien ! je le coupe rapidement, interpelant ma collègue.

- Ah oui effectivement, toi aussi ! me lance-t-elle gaiement. Je te cherchais justement ! Je viens de finir la publication d’accueil pour Monsieur Petterfield (elle lui lance un petit sourire intimidé) à mettre sur notre site. Tu peux me relire s’il-te-plait ?

- Oui bien sûr, fais-moi voir ça » lui réponds-je en attrapant la tablette qu’elle me tend.

Pendant ma lecture, je sens une présence par-dessus de mon épaule. Son souffle chaud dans ma nuque, l’odeur de son parfum, la chaleur de son corps qui se rapproche dangereusement de mon dos… Tout mon corps se pétrifie, l’adrénaline me monte à la tête, mettant tous mes sens en émoi. Mes poils se hérissent et mon cœur s’emballe. Alors que jusqu’alors j’essayais de rester concentrée sur l’article, soudain je réalise : cette proximité ravive des sentiments que je pensais profondément enfouis. Et c’est la panique !

Je me sens subitement oppressée, et d’un geste brusque je relève la tête avant de m’éloigner au plus vite de lui, plaquant la tablette contre ma poitrine qui va exploser. Surpris par ma réaction, Tristan et Esther me regardent tous deux avec de grands yeux étonnés.

« - Pardon mais je… commencé-je à me justifier.

- Non mais c’est moi, pardon, me coupe aussitôt Tristan, aussi gêné que moi. C’est agaçant d’avoir quelqu’un qui lit dans son dos, je l’avoue… Excuses-moi.

- Ce n’est pas grave… »

Je ne sais plus où me mettre. Tout s’embrouille. Comment fait-il pour me faire encore perdre tous mes moyens à ce point ? Je me racle la gorge et me retourne vers ma chargée de communication, hébétée, pour lui redonner son bien, les mains tremblantes.

« - Tiens. C’est parfait, tu peux publier. Je… Aheum… Vous m’excusez un petit moment ? »

Puis je m’enfuie littéralement vers les toilettes, le sang commençant à me monter au visage.


#

Face au grand miroir des sanitaires, appuyée sur un des lavabos, j’ai le souffle court et le cœur qui bat à mille à l’heure. Je ne comprends pas : pourquoi sa proximité me fait-elle encore cet effet-là ? Comment est-ce possible ? Après tant d’années… Je pensais vraiment avoir réussi à passer à autre chose. Je ne peux pas ressentir à nouveau des sentiments pour lui après ce qu’il m’a fait, je ne VEUX plus ressentir quoi que ce soit pour lui. J’en ai trop souffert.

Il est hors de question que je replonge maintenant ! Pas après tous les efforts que j’ai déployés pour m’en sortir ! Je ne suis plus cette jeune fille niaise qui s’est laissée embobinée par les promesses d’un beau parleur. Je ne crois plus aux contes de fées désormais. J’ai appris à me méfier des hommes, surtout des romantiques dans son genre. J’ai appris à me blinder, à me protéger. Je ne veux plus souffrir pour les beaux yeux d’un homme, aussi charmant soit-il. Pas même lui.

Lorsque je relève la tête et aperçois mon reflet, je constate que mes yeux coulent tout seuls. Ce mélange de sentiments en moi est en train de fêler ma carapace, et voilà que je commence à craquer. Je ne me reconnais plus.

La porte s’ouvre brusquement sur une Esther presque en panique.

« - Ah, tu es là ! … Tout va bien ? Tu es partie si vite… »

Mon silence et la rapidité avec laquelle je lui tourne le dos pour essuyer mes larmes lui donne une bonne idée de ma réponse.

« - Lola ?? »

Cette fois, elle parait vraiment inquiète.

« - Oui, ça va, merci, je lui réponds en lui faisant face, ma voix se cassant malgré moi.

- Hey… Qu’est-ce qu’il se passe ? Ça ne va pas ? Il y a un problème ? me dit-elle en se rapprochant de moi doucement.

- Non, ce n’est rien, ne t’inquiètes pas, j’insiste, essayant de reprendre contenance.

- Bah si je m’inquiète… Je vois bien que quelque chose te tracasse. Dis-moi. C’est à cause de ta nouvelle mission, c’est ça ? Je te sens à fleur de peau avec lui, je me trompe ? Vous avez un contentieux tous les deux ? »

Pendant qu’elle m’assaille de questions, je sens mes dernières défenses s’effondrer. Je la coupe d’un signe de la main, puis j’inspire fortement pour reprendre mon calme, avant de me décider à lui révéler la vérité. Je n’y couperai pas de toute façon… Je suis prise au piège.

« - Oui !! Oui… C’est à cause de lui en effet…

- Je m’en doutais… Je l’ai bien vu à ta tête quand tu t’es rendu compte de qui il s’agissait… Alors ? C’est quoi l’histoire ? Raconte !

Je prends une profonde respiration, puis je lui déballe tout.

« - Tristan et moi… Enfin… On se connait depuis longtemps en fait. J’avais quinze ans quand je l’ai rencontré, et lui dix-sept. On habitait dans le même quartier. On trainait ensemble avec les copains du village, et on s’est très vite bien entendu. Et puis, avec le temps… Enfin… On s’est rapproché et…

- QUOI ?! Sans rire !! Vous êtes sorti ensemble ??

- Oui… Et c’était du sérieux, pas juste une amourette de jeunesse. On est resté deux ans ensemble. On avait des projets, c’était très fort. Il y avait une vraie connexion entre nous. Enfin… Je le croyais…

- Comment ça ?

- On s’était promis d’attendre nos dix-huit ans respectifs, pour ensuite faire notre vie à deux. Mais avant que j’ai eu moi-même mon BAC, ça ne s’est finalement pas passé comme prévu… Il m’a quitté un soir pour partir vivre tranquillement une nouvelle vie de luxe aux States, alors que je pensais qu’on devait vivre d’amour et d’eau fraiche. Il avait été admis à Harvard, alors tu comprends, il avait d’autres projets que de se trimballer une pauvre fille comme moi, sans argent et sans travail. Tu vois le genre ?

- Sans blague ? Il t’a largué comme ça ??

- Oui, du jour au lendemain. Je n’ai pas compris, et je me suis effondrée… je pensais vraiment qu’il y avait quelque chose de plus profond entre nous, et ça m’a littéralement brisée. Après son départ, j’ai fait une grosse dépression. C’est Nadine, la femme de Eric, qui m’a sorti de là, en me proposant de me former au métier de manager. Depuis, je me concentre essentiellement sur ma carrière et j’évite de trop m’attacher sentimentalement. (Je fais une pause, avant de reprendre) Voilà… Tu sais tout… Enfin, l’essentiel quoi… »

Elle reste plantée là, à me regarder la bouche grande ouverte et les yeux ronds. Je n’ose la regarder en face. Mes yeux ne coulent même plus. J’ai débité mon histoire comme ça. Et je me sens vide. Mon esprit est encore dans mes souvenirs.

Alors elle soupire un grand coup et s’approche de moi pour me serrer fort contre elle, dans un geste des plus attendrissant et naturel.

« - Ma pauvre… me souffle-t-elle. Je comprends mieux ta crispation, maintenant. Ça ne doit pas être facile à vivre, effectivement. Si je peux faire quoi que ce soit…

- Non ça ira, merci. Ne t’inquiète pas pour moi, c’est derrière moi tout ça maintenant. Je vais m’en accommoder, je n’ai pas le choix, de toute manière…

- Ah bon ?!

- Non. Eric m’a dit que c’est lui qui a demandé que je m’occupe personnellement de son dossier. Donc, voilà…

- Ah ouais ?? Mais… Dans quel but ?

- Bonne question ! Me tourmenter encore un peu, je suppose…

- Hum… Peut-être… Bon… En tout cas, je suis là si tu as besoin de souffler, hein. N’hésite pas, je ferais en sorte qu’il ne t’embête pas trop.

- C’est gentil. Ça va aller, ne t’inquiète pas. »

Je lui souris pour essayer de lui prouver que je maitrise la situation et que je vais bien. Alors qu’à l’intérieur de moi, c’est le désarroi le plus total. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi mal.

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