Chapitre 6 - Mauvais Départ

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Le lendemain s’avère tout aussi pénible que la veille.

Encore à moitié endormie, comme chaque matin, j’arrive au bureau pour la première réunion d’information avec mon client. Dans le hall, je croise Esther, qui me tend mon café d’un air suspicieux.

« - Ça va ? Me demande-t-elle doucement.

- Hum ? Oui pourquoi ?

- Je n’sais pas... Hier... ‘Fin... J’ai vu Monsieur Petterfield repartir un peu contrarié... Voir déçu...

- Grand bien lui fasse ! C’est son problème, je m’en fiche... »

Voilà qui met déjà dans l’ambiance. Super... Je sens que la journée va être longue. D’autant que je n’ai pas très bien dormi, avec tout ça.

Je passe la porte de la salle de réunion, et sursaute en m’apercevant qu’elle est occupée. Tristan est déjà là, assis sur une des chaises, appuyé sur le dossier d’un air totalement décontracté, les mains croisées derrière la tête. Il porte toujours un pantalon de costard et une chemisette, bleue ciel cette fois-ci, qui n’est pas boutonnée jusqu’en haut. Fait ch*er, il est encore plus sexy comme ça...

Lorsqu’il s’aperçoit de ma présence, il me salue d’une voix douce. Après la surprise, je me reprends très vite, grogne une réponse de façon nonchalante et viens m’installer à l'autre bout de la table. Je pose mes affaires sans un mot et sans un regard pour mon invité. Fais comme d’habitude, Lola. C’est un client comme un autre.

Esther s’installe à ma droite, après avoir salué aimablement Tristan avec un sourire intimidé mais enjôleur. Pendant qu’elle lui débite les sempiternelles questions de politesse, j’attrape la télécommande d’un geste brusque et allume la Smart TV qui nous sert de projecteur. Je fais les quelques paramétrages pour connecter nos tablettes à l’écran, la mâchoire toujours crispée, tout en finissant mon café.

Alors que tout se met doucement en place, une tête passe par l’encadrement de la porte.

« - Ah ! Ça va, vous n’avez pas encore démarré, s’empresse de marmonner Nassim, presque pour lui-même, avant d’entrer définitivement dans la pièce. Excusez-moi pour le retard, c’est que je me suis tellement bien amusé hier soir, que ce matin le réveil était difficile ! Ha ha ! »

Je lui souris en retour et l’invite à s’assoir. Du coin de l’œil, j’aperçois Tristan qui continue de discuter avec Esther, avec un sourire charmeur. Je crois furtivement le regard d’Esther, qui se raidit soudain, mal à l’aise, alors qu’elle paraissait pourtant flattée par les compliments de mon ex baratineur.

« - BIEN, je m’exclame bien fort, pour mettre fin aux roucoulades de Tristan avec ma collègue. Puisque nous sommes tous là, nous allons pouvoir commencer. Après une soirée certes haute en couleurs, parlons sérieusement. Voici les évènements importants qu’il va falloir planifier ensemble. »

J’expose alors les différents rendez-vous indiqués, en ajoutant les détails à haute voix. Mais Tristan ne semble pas très attentif. A peine a-t-il jeter un œil à l’écran, que son attention se reporte aussitôt sur moi. Son regard insistant me met mal à l’aise, mais il ne faut pas que j’en perde mes moyens. Je dois rester professionnelle. Ne te laisse pas déconcentrer, reste professionnelle.

Cela dit, je sais d’avance qu’il va essayer de relancer le débat de ses improbables explications dès que j’en aurais fini avec cette réunion. Je m’attèle donc à faire durer le plaisir, laissant fuser les bavardages inutiles autour de l’organisation, et je laisse finalement Nassim s’exprimer plus qu’il n’en faut, étonnamment.

A la fin de l’assemblée, je me dépêche de ranger mes dossiers, souhaitant m’éclipser au plus vite. C’est alors que Nassim me vient sans le savoir en aide, passant rapidement devant Tristan qui s’était levé pour me rejoindre.

« - Lola, me lance-t-il pour m’interpeler. Je voulais te dire... »

Je fais signe à Esther et Tristan que je les rejoindrai plus tard, même si intérieurement j’espère de tout cœur qu’elle soit seule quand ce sera le cas.

« - Oui ? Qu’y a-t-il Nassim ?

- Je voulais déjà te remercier de m’avoir écouté pendant la réunion. D’habitude, tu n’es pas aussi... Enfin, je n’ai pas forcément l’impression que ce que je dis t’intéresse beaucoup, tu vois ? »

Je ne peux m’empêcher de rire à son propos, car je ne peux que lui donner raison.

« - Bien sûr que si, je t’écoute toujours, enfin ! Je feinte de m’offusquer.

- Arrêtes… Toi et moi, on sait que c’est faux. Bref ! C’est gentil quand même ! Je ne sais pas si c’est par rapport à hier soir, le fait qu’on se soit rapproché et tout... Enfin moi ça me va ! » Me dit-il avec un sourire en coin équivoque.

Je crains de comprendre ce qu’il insinue. Furtivement, mon regard est attiré dans le couloir, où j’aperçois Tristan qui, visiblement, m’attend de pied ferme de l’autre côté de la paroi vitrée. Peut-être que Nassim et notre potentielle histoire qu’il s’invente vont pouvoir m’aider finalement.

« - J’avoue que je me suis follement amusée, moi aussi ! lui réponds-je, un peu trop enthousiaste, en lui rendant son sourire. Et c’est grâce à toi ! Franchement merci, Nassim ! Tu avais raison, j’avais vraiment besoin de me détendre. »

Je pose ma main sur son épaule tendrement, et la laisse glisser le long de son bras. L’effet est immédiat : Nassim se redresse de toute sa hauteur, bombant le torse, et son sourire s’élargit. Il me fixe alors d’un air de baratineur, fier comme un paon. Et dans le couloir, je perçois une tête qui se penche afin de mieux voir l’intérieur de la salle.

« - Et je ne te savais pas d’aussi bonne compagnie… » je lui susurre en me rapprochant de lui pour minauder à mon tour, avec mon plus beau sourire.

Il rougit légèrement, surpris par mes avances. Lui qui semble ne réclamer que ça, parait se sentir subitement mal à l’aise. Mais cela ne dure qu’un instant, et il reprend très vite son rôle de Don Juan.

« - Et j’ai d’autres talents cachés, tu sais... » me glisse-t-il, langoureux.

Je comprends parfaitement où il veut en venir, mais je rentre dans son jeu quand même. Je ne veux pas lui donner de faux espoirs, mais la tentation est trop forte de faire enrager Tristan. Je lui rends donc son regard équivoque, avec un sourire exagérément pincé et aguicheur.

C’est à ce moment que Tristan se décide à passer la tête par la porte, et nous coupe avec un air contrarié en toussotant.

« - Hum, hum... Excusez-moi de vous interrompre, mais... Lola, n’a-t-on pas un rendez-vous bientôt ? J’aimerai bien que tu m’envoies mon planning à ce propos.

- Ah, oui, euh... Je vais te l’envoyer. Désolé Nassim. On se voit plus tard, d’accord ? »

Et je balance mon sourire le plus affriolant possible, lui faisant un signe de la main comme une midinette.

Puis je me retourne vers Tristan d’un air satisfait, un petit sourire en coin malicieux. Il me jette un œil mauvais, les sourcils légèrement froncés. Je fais mine d’être surprise en pleine drague, lève un sourcil d’un air interrogateur, avant de passer devant lui la tête haute pour me diriger vers la sortie.

#

Dans la voiture qui nous mène à son prochain rendez-vous, le silence est religieux. Pas un seul de nous deux ne parle. Igor nous lance des regards furtifs par le biais du rétroviseur, légèrement tendu lui aussi. On peut dire qu'il y a de l’électricité dans l’air.

« - Hum, hum... Tu... commence soudain Tristan en se raclant la gorge, me faisant sursauter. Tu me réserves ce traitement jusqu'à la fin de mon séjour, ou est-ce juste temporaire ?

- Pardon ?! Je m’offusque, levant alors la tête de mon smartphone. Tu oses me demander ?? Tu sais très bien pourquoi je te traite de la sorte. Tu n’as que ce que tu mérites...

- OK, ça va, j’ai compris : Tu es en colère contre moi, OK...

- Non pas “OK” ! Tu n’as pas compris au contraire, puisque tu insistes !

- Si, j’ai très bien compris que tu m’en veux, et je te comprends ! Mais laisses-moi au moins m’expliquer !

- Je te le répète, je n’ai rien à te dire. Et je me fiche éperdument de tes explications bidon !

- Bien ! Très bien, même !! S'énerve-t-il finalement, en croisant les bras. OK, alors on va se faire la gueule comme ça pendant toute la durée de mon séjour ? Super... Ça va être hyper agréable, tiens !!

- C’est ta faute, je te signale ! Commencé-je à m’emporter. C’est toi qui l’as voulu, cette situation !! C’est bien toi qui as absolument voulu que je m’occupe de ton voyage, non ?!

- Oui, parce que je pensais qu’on pourrait parler entre adultes responsables...

- Responsable ? Toi ?!? Quand as-tu été responsable avec moi pour la dernière fois ?

- Oui bon... OK, je me suis mal comporté avec toi à l’époque...

- Hha ! C’est le moins qu’on puisse dire, en effet...

- Et j’en suis vraiment désolé...

- Pfff, tu parles...

- Mais j’ai changé depuis !

- Ça me fait une belle jambe, tiens !

- Est-ce que je peux au moins t’expliquer ce qu’il s’est réellement passé ce jour-là ??

- NON !!! Je m’en fiche, en fait !! Je suis passée à autre chose maintenant ! Et contrairement à toi, moi, je n’ai nullement l’envie de remuer le passé !! D’ailleurs ta venue est complétement incongrue voire déplacée ! Et si tu ne m’avais pas expressément demandé que ce soit moi qui me charge de ton dossier, jamais je n’aurais accepté de te revoir !! »

Mes paroles sonnent comme un coup de massue pour lui, et il se relâche contre le dossier de la banquette arrière, l’air abasourdi.

« - Tu... hésite-t-il après un bref instant de silence, commençant à triturer ses doigts. Tu as un homme dans ta vie ? C’est ça ? »

La colère me monte alors, et je soupire fortement, montrant bien mon agacement, la mâchoire crispée.

« - Pitié... je souffle.

- C’est une simple question...

- En quoi ça te concerne d’abord ??

- Je demande, c’est tout...

- Ça ne te regarde pas.

- C’est le photographe, c’est ça ?

- Hein ?! NOONN ! Je m’exclame, surprise, avant de me reprendre. Enfin... Je n’sais pas encore... Peut-être. »

Je ne suis pas très douée pour mentir, aussi je baisse la tête, feintant de me replonger dans mon travail. Je me suis mise en mauvaise posture toute seule… Il faut que mon mensonge tienne un peu mieux la route pour qu’il y croit. Fais un effort et joue mieux ton jeu, Lola !

« - Je... Je suis content pour toi » lâche-t-il, peu convaincant.

Je lève les yeux au ciel pour signifier mon mépris. C’est ridicule... Comme s’il le pensait vraiment, en plus...

« - Bon, est-ce qu’on peut se reconcentrer sur ton rendez-vous ? Je t’ai envoyé les informations que j’ai trouvé sur le dirigeant par mail. Et j’ai réussi à t’obtenir un déjeuner avec lui, tu pourras te servir de ces infos pour te le mettre dans la poche. Enfin... Je te dis ça... Mais je suppose que tu as l’habitude... De baratiner les gens, je veux dire. »

Du coin de l’œil, je le vois tressaillir à mes derniers mots. Alors qu’il consultait son smartphone, il relève subitement la tête et me fixe d’un regard noir. Ma petite pique a touché un point sensible apparemment ! Comme je garde mon attention accaparée par mon mobile, me retenant de sourire, il finit par reprendre son activité, visiblement contrarié.

« - A ce sujet… Vas-tu m’accompagner, à ce diner ? Me demande-t-il, me sortant de mes rêveries, toujours sur son téléphone.

- Pas si je peux éviter.

- Et si je te le demande ? Insiste-t-il en me regardant cette fois.

- Non plus.

- *soupir* Bon. OK. Je vois qu’on est parti sur un mauvais pied. Mais à défaut de s'expliquer, peut-être pourrait-on... Je n’sais pas moi, repartir de zéro dans ce cas ?

- Pour quoi faire ?

- Faire en sorte que mon séjour et que notre collaboration soit plus agréable, par exemple ? Me répond-il sur le ton de l’agacement.

- Ou peut-être pourrait-on juste se limiter à des échanges purement professionnels ?? » Je lui rétorque avec un air de mépris total, plongeant mon regard noir dans le sien, indiquant la fin de la discussion.

Déstabilisé, il se renfrogne, non sans m’avoir dévisagé au préalable, croise les jambes et fait mine de regarder le paysage qui défile à l’extérieur du véhicule. Nous ne nous adressons plus la parole du reste du voyage.

Lorsqu’il m’a regardé cependant, avant de se mettre à bouder, j’ai senti ses yeux glisser le long de mon corps, jusqu’à mes jambes croisées sous ma jupe crayon. Et la sensation que cela me procure me laisse dubitative. Je suis presque flattée. Cela me donne des frissons, me procure même un certain plaisir, alors que je devrais m’en agacer. Surtout venant de lui ! Après tout, de quel droit ose-t-il encore poser ses yeux sur moi ? Il a loupé sa chance, tant pis pour lui. Pourtant… Même si ce n’est pas le premier à me mater ouvertement comme ça, pourquoi son regard à lui ne me semble pas si inquisiteur ou déplacé, mais me donne plutôt une sorte de contentement purement orgueilleux ?

***

Wow. Même en colère, elle arrive à attiser en lui un désir qu’il ne contrôle pas. Et l'absence de maîtrise, il n’aime pas ça.

Son assurance et sa répartie le surprend. Elle lui tient tête ouvertement. Son caractère est bien plus affirmé désormais. Mais ça, il aime. Il trouve cela plutôt sexy d’ailleurs. Sans parler de sa tenue du jour : Chemisier blanc décolleté comme il faut, laissant même parfois entrevoir un début de sous-vêtement blanc en dentelle. Et cette jupe moulante, un peu fendue, qui met en valeur ses fesses et ses jambes, parfaitement galbées par des escarpins à talons hauts, sur lesquels il n'aurait jamais pensé la voir tenir avec autant d’aisance.

Lorsque ses yeux ont parcouru ce corps qu’il croyait connaitre et dont il se souviens encore avec excitation, l’effet dans son pantalon l’a pris au dépourvu. Mieux valait feinter un intérêt soudain pour le paysage, croisant les jambes pour espérer qu’elle ne détecte pas la levée de drapeau qui se déroule actuellement sous le tissu de son entre-jambe.

***

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