Chapitre 7 - Œil pour Œil

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En arrivant au siège de la société, au pied d’une immense tour de verre, je suis impressionnée. Pas Tristan apparemment, qui sort de la voiture pour enfiler sa veste et la boutonner d’un geste assuré. Il semble calme et parfaitement détendu, prêt à en découdre. Alors que je reste planté sur le trottoir, le nez en l’air pour chercher la fin du bâtiment, il s’avance déjà vers l’entrée. S’apercevant de mon absence à ses côtés, il se retourne et me lance un “Tu viens ?” légèrement autoritaire. Je m’exécute donc, tenant fermement ma tablette contre ma poitrine pour me donner du courage.

 J’ai rarement assisté un homme d’affaires. Habituellement, je m’occupe plutôt des artistes. Les plateaux TV, les salles de concert, les séances photo, les interviews... tout ça je maîtrise. Mais les grandes salles de réunion ou les grands bureaux aseptisés, entourée d’experts de la finance que je ne comprends pas entièrement... Je me sens soudain perdue et incompétente.

Dans l’ascenseur, mon inquiétude doit se faire sentir, car Tristan me jette quelques regards en coin.

« - Ne t’inquiètes pas, me glisse-t-il doucement. Je m’occupe de tout. Restes à côté de moi et tout ira bien. »

Je me refuse à lui laisser entrevoir la moindre faiblesse de ma part, aussi je ne lui réponds pas et je relève simplement la tête pour me redonner une contenance. Mais ses paroles me rassurent tout de même.

En sortant de l’élévateur, nous sommes accueillis par la secrétaire, une dame d’âge mûre, qui nous conduit jusqu’au bureau du dirigeant, également d’un âge avancé, les cheveux grisonnants. Elle nous invite à entrer alors que celui-ci est encore en grande discussion avec un jeune homme, grand et mince, les cheveux blonds, courts sur les côtés et un peu plus longs au sommet, à la David Beckham, qui relève rapidement la tête des documents étalés sur le bureau.

Lorsque la secrétaire annonce notre arrivée, le dirigeant se lève immédiatement, tendant aussitôt la main à Tristan d’un air joyeux.

« - Aaah Monsieur Petterfield !! Je suis ravi de vous rencontrer en chair et en os, après nos nombreuses conversations téléphoniques ! Je vous présente mon adjoint, Lukas Friedrich.

- Enchanté Monsieur Petterfield, lui lance celui-ci avec entrain, et un léger accent germanique.

- De même, Monsieur Friedrich, lui répond Tristan, en lui rendant sa poignée de main avec le sourire.

- Et qui est cette jeune femme ravissante que vous nous amenez là, mon cher ? le questionne le dirigeant en me reluquant de la tête aux pieds.

- Mademoiselle Terramare, assistante française de Monsieur Petterfield, je réponds en leur serrant la main à mon tour.

- Vous en avez de la chance, Petterfield ! Moi je n’ai pas d’aussi délicieuse créature pour m'assister ! » assure l’homme d’affaires, une légère pointe de jalousie et de perversité dans le regard.

Lukas Friedrich, qui a remarqué mon air légèrement méprisant face à ce comportement machiste, me sourit alors d’un air désolé. Son visage est plutôt agréable à regarder, son regard est doux et sympathique, même chaleureux. Et il dégage un certain charme auquel je ne suis pas tout à fait insensible.

Les discussions financières vont bon train, même si je ne capte pas toujours tout. Je laisse Tristan assurer sa partie, pendant que je fais mine de prendre des notes sur ma tablette. Il se débrouille très bien tout seul, et fait en sorte que je n’ai pas à répondre à certaines questions qui pourraient me mettre dans une situation délicate.

L’adjoint me lance parfois quelques regards furtifs, et lorsque je croise ses yeux d’un bleu intense, il me sourit gentiment d’un air complice. Dans ces moments-là, je sens le rouge me monter légèrement au visage, et je me replonge désespérément dans mes préparatifs de planning afin d’éviter d’être démasquée.

 Vers midi, le dirigeant se lève enfin pour nous emmener au restaurant d’en face, comme convenu. Pendant le repas, la conversation dévie sur les passions luxueuses de nos patrons, et Lukas et moi-même nous retrouvons un peu mis à l’écart, nous sentant peu concernés par leur discussion. Sentant mon malaise, il me regarde avec un sourire entendu et fini par prendre la parole, à voix basse, et se penchant légèrement vers moi, comme pour entrer dans la confidence.

« - J’espère que la journée se passe bien pour vous.

- Oui, je vous remercie, lui répond-je en chuchotant, lui rendant son sourire.

- Je suis désolé pour tout à l’heure...

- Comment ça ?? je m’étonne.

- Bah... Pour le comportement de mon supérieur. Enfin, je veux dire... La façon dont il vous a considéré et... Presque déshabillé du regard... Vous voyez ?

- Aaah ! Oh ! Ça ?! Oh, ce n’est rien, ne vous inquiétez pas. J’ai l’habitude ! Malheureusement, ce n’est pas le premier… Ni le dernier, probablement… Je lui réponds un peu gênée, en levant les yeux au ciel.

- Oui, je me doute, une si jolie femme que vous... Mais ce n’est pas une raison ! C’est un manque de respect, je trouve... »

Surprise par son compliment, je souris bêtement et me sent rougir, gênée.

« - C’est l’ancienne époque, vous savez... je lui réponds avec un sourire confus.

- Quand bien même ! Ça n’est pas une raison, encore une fois... Je m’en excuse encore.

- Vous n’y êtes pour rien.

- Oui, mais je tiens à vous faire savoir que je n’approuve pas du tout ce genre de comportement, et que ce n’est pas du tout ma façon de faire.

- J’en conviens, et je vous remercie de votre considération.

- Je vous en prie. Alors comme ça, vous êtes l’assistante de Monsieur Petterfield ? reprend-il, plus serein. Il ne nous a pas prévenu… Mais c’est une très bonne surprise ! Nous n’avions jamais entendu parler de vous auparavant...

- Oui, c’est parce que je ne m’occupe que de son séjour en France. Je fais partie d’une entreprise extérieure. Je suis assistante manager depuis quelques années maintenant.

- Ah ! OK, très bien ! Je me disais aussi... Vous sembliez plutôt cultivée pour une simple secrétaire... »

Je ris de cette constatation pleine de préjugés, à la fois vexée et flattée.

« - Même une secrétaire peut avoir une certaine culture générale, vous savez !

- Oh ! Oui, bien sûr ! Vous avez raison, s’empresse-t-il de me répondre, l’air confus, soudain conscient de sa réflexion. Veuillez m’excuser, c’était déplacé...

- Ce n’est pas grave, je vous comprends. Quand on travaille avec des personnes ayant des préjugés aussi ancrés que votre patron, cela peut vite déteindre ! »

Je souris d’un air malicieux, concentrée sur mon assiette. Il me fixe d’un air stupéfait, puis se met à rire de bon cœur lorsque je relève finalement la tête et que nos regards se croisent alors.

« - Je vois que vous avez également un bon sens de l’humour et de la répartie ! » me lance-t-il en riant. J’aime plutôt ça. » ajoute-t-il avec un sourire charmeur, son regard plongé dans le mien.

Et nous discutons ensemble le reste du repas, parlant de tout et de rien, nous racontant nos parcours respectifs et quelques anecdotes somme toutes banales aux yeux de nos responsables. La conversation est simple et facile, nous nous entendons plutôt bien. D’autant qu’apparemment, nous sommes issus du même milieu social. Et il me fait rire ! Je me sens parfaitement à l’aise avec lui. Je dirais même qu’il me plait bien ! Et son petit accent germanique lui donne un petit truc en plus. Oserais-je dire que je suis sous le charme ?

Dans tous les cas, cela pose visiblement problème à Tristan, qui nous jette furtivement et régulièrement des regards en biais, apparemment contrarié par cette complicité naissante.

#

Après la signature des papiers, nous remercions platement nos hôtes de la journée. Lukas me fait un baise-main pour me dire au revoir, et je ne peux réprimer un léger frisson qui me fait rougir. En marchant vers notre véhicule, je crois déceler que Tristan est agacé. Une fois installés à l’intérieur, il sort machinalement son cellulaire, et j’en fais de même, sans un mot.

« - Ça va ? Tu t’es bien amusée ? » me balance-t-il soudain en pianotant sur son appareil, me faisant à nouveau sursauter.

Pourquoi diable ne peut-il pas trouver le moyen de me prévenir avant lorsqu’il souhaite engager une conversation ?

« - Oui, merci, lui répond-je simplement, sans quitter mon mobile des yeux.

- Tu as la côte avec la gent masculine, à ce que je vois. Il te les faut tous ? » me rétorque-t-il sur un ton agressif.

Cette fois, je relève la tête et le regarde d’un air d’incompréhension, prise au dépourvu et légèrement vexée.

« - Pardon ???

- Bah quoi ? Ne me dis pas le contraire, tu ne t’es pas gênée pour minauder avec le jeune adjoint pendant tout le repas, il me semble ! »

Je suis sciée. Complètement abasourdie par sa réaction excessive, je reste sans voix, la bouche ouverte et cherchant mes mots, le fixant avec de grands yeux ronds d’un air offusqué.

« - Tu croyais que je ne t’avais pas vu ? continue-t-il. Bah si. Tu vois, comme quoi, je fais attention à toi, finalement.

- C’est une blague, j’espère ?? Je me reprends soudain.

- Non, je constate simplement que tu sais user de ton charme avec les hommes désormais, renchérit-il d’un air supérieur.

- Et quand bien même j’étais effectivement en train de draguer, en quoi est-ce un problème exactement ?

- Oh mais il n’y a pas de problème !! Tu fais ce que tu veux !! commence-t-il à s’énerver.

- PARFAIT ! Dans ce cas, le sujet est clos. » je rétorque en haussant le ton.

Il ouvre la bouche pour rétorquer, mais je lève une main en signe de protestation, pour clore définitivement le débat. Il se ravise alors et se remet à bouder.

Et hop, retour de bâtons ! A son tour d’avoir le bec cloué maintenant !

***

Purée, elle le fait exprès ou quoi ?!

Elle le nargue, il en est certain. Elle joue avec ses nerfs, s’efforçant visiblement de batifoler avec tous ceux qui croisent son chemin. Il a bien vu comment elle minaudait face à ce beau jeune homme ce midi. Il l’a même surpris en train de rougir en rigolant à ses blagues, à cet imbécile ! Et comment elle roucoulait clairement avec son photographe dans la salle de réunion ! Il l’a vu lui caresser le bras en battant des cils comme une midinette ! Elle était visiblement en pleine drague, ça ne fait aucun doute. Il n’est pas aveugle, non plus. Comment peut-elle encore le contredire ? Il ne supporte pas que d’autres la regarde. Se comporte-t-elle ainsi avec tous les hommes désormais ?

Alors que lui.... Il ne peut plus se le cacher : Elle l’attire comme un aimant... Lui qui pensait pouvoir la revoir sans aucune arrière-pensée, après tant d’années... Pourtant il aimerait redécouvrir sa peau, son corps d’aujourd’hui, qui lui fait encore plus d’effet qu’auparavant... Son charme opère sur lui aussi. Il essaie pourtant d’être aimable et gentil, compréhensif même. Lui aussi, il lui fait des compliments, après tout ! Mais lui, elle l’envoie bouler sans ménagement...

Cela dit, il la comprend. Il faut avouer qu’il n’a pas été correct avec elle, il y a quinze ans de cela. Il s’est littéralement enfui, sans explication préalable, lui laissant simplement une lettre lui indiquant qu’il partait pour Harvard et qu’il ne fallait pas qu’elle cherche à rester en contact avec lui. Qu’il ne lui répondrait plus, qu’il voulait une nouvelle vie, passer à autre chose, changer d’air et de petite amie par la même occasion. Alors que tout ceci était complètement faux...

Dans cet espace clos du véhicule, il sent la chaleur de son corps, l’odeur enivrante de son parfum. Il est parcouru de frissons rien qu’à l’idée de la toucher encore. Le contact avec son poignet a été révélateur : Son désir pour elle est encore bien présent. La tentation est extrême.

Mais il doit lutter. Tant qu’il ne lui aura pas expliquer, elle continuera de le repousser. Il faut qu’il lui parle, c’est impératif ! Mais comment la convaincre de l’écouter ?

***

J’hallucine ! Comment ose-t-il me faire une crise de jalousie ?! Il ne manque pas de culot, tout de même. S’il a encore des sentiments pour moi, il ne fallait pas m’abandonner ! Trop tard, maintenant !

Passablement énervée à la suite de notre altercation, je pianote frénétiquement sur ma tablette d’un air renfrogné. Les dents serrées, j’évite copieusement de le regarder. Car je le sens, il continue de me jeter des regards furtifs, qui me rendent toute chose malgré moi.

Le trajet du retour me semble une éternité. Je m’occupe comme je peux pour calmer mes nerfs à vif, passant quelques coups de fil et rédigeant mon rapport de rendez-vous.

« - Mais… s’exclame subitement Tristan, en scrutant le paysage à travers la vitre. Où va-t-on ? Ce n’est pas le chemin de l’hôtel, ça !

- Je t’ai dit que l’hôtel Mercure était une solution temporaire, je lui réponds sans relever la tête. Je t’ai trouvé une autre suite bien mieux dans un autre hôtel de standing.

- Ah bon ? Et comment se fait-il que je ne sois pas au courant ?

- Je t’ai pourtant envoyé l’adresse par mail. Si tu ne lis pas tes messages, je n’y suis pour rien » je rétorque sur un ton de dédain.

Et toc ! Encore un point pour moi.

« - Et mes valises ? me demande-t-il d’un air hautain.

- Déjà dans ta nouvelle suite.

- Ah… »

Deuxième point en ma faveur !

Il semble presque déçu de ne pas avoir réussi à me piéger. Tu croyais quoi ? Que je ne suis pas une assez bonne professionnelle pour avoir pensé à tout cela avant, c’est ça ??

Une fois arrivé devant son nouvel hôtel, il descend de la voiture par la portière ouverte par mon chauffeur, et reste planté sur le trottoir. Comme je ne bouge pas, il se penche légèrement pour regarder dans le véhicule.

« - Tu ne descends pas ?

- Faudra-t-il aussi que je te borde dans ton lit ce soir ? je lui réponds sans quitter des yeux de mes appareils multimédia.

- Je pensais qu’on pourrait plutôt en profiter pour discuter…

- Qu’est-ce que tu ne comprends pas, exactement ? lui dis-je en commençant à m’agacer, relevant la tête pour lui faire face en claquant ma tablette sur mes genoux au passage. Je t’ai dit que je n’avais pas envie de discuter.

- OK, OK… Alors à demain ? dit-il d’un air déçu.

-C’est ça… »

Je fais signe à Igor de fermer la portière et me replonge aussitôt dans mon compte-rendu, sans un regard pour lui. La voiture s’ébranle et me ramène docilement à mon appartement, le laissant encore une fois seul et les bras ballants devant le bâtiment.

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