Chapitre 8 - Dent pour Dent

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Le lendemain matin, quand j’arrive au bureau, je retrouve Esther en pleine discussion avec Tristan autour de sa tablette. Aujourd’hui, il est habillé d’un jean, mais toujours avec une chemise, plus décontractée toutefois. Nous n’avons pas de diner d’affaires prévu ce jour, d’où son mode relax, qui le rend légèrement plus sexy encore. Je me suis également vêtue de manière plus détendue, bien que nous ayons apparemment un rendez-vous chez un notaire : Petite jupe flanelle et débardeur léger.

De loin, je constate que Esther semble plutôt conciliante avec lui, voire un peu trop décontractée elle aussi. Elle sourit d’un air timide, se replace régulièrement une mèche de cheveux en baissant le regard. Il lui chuchote quelque chose à l’oreille en regardant l’appareil, et elle rougit légèrement, souriant d’un air gêné.

Lorsque je m’approche et qu’elle s’aperçoit de ma présence, Esther se raidit aussitôt, se racle la gorge et opère un léger décalage sur le côté pour s’éloigner de Tristan. Celui-ci la regarde brièvement, surpris par sa réaction, puis relève la tête et m’aperçoit à son tour. Il me scrute de haut en bas avant de sourire.

« - Bonjour, me lance-t-il avec un petit sourire en coin, que je ne sais comment interpréter.

- Bonjour, je réponds d’un air pincé, avant de me tourner vers ma collègue. Ça va Esther ?

- Euh… Oui oui, ça va, et toi ?

- Bien, merci. Je ne vous dérange pas, j’espère ?

- Esther me montrait les vidéos de ses cours particuliers de communication qu’elle faisait avant d’être engagée ici, intervient Tristan. C’est plutôt pas mal ! Elle est très douée !!

- Oui, en effet, je lui réponds. C’est pour ça qu’on l’a engagé d’ailleurs. Tu veux bien nous laisser cinq minutes avant qu’on parte à ton rendez-vous s’il-te-plait ?

- Mais bien sûr, naturellement » me répond-il avec un sourire charmeur pour ma collaboratrice.

Je fais un signe de tête à Esther pour qu’elle me suive et me dirige vers la machine à café dans le couloir. Une fois devant, j’insère une pièce dans la fente et appuie sur un des boutons de sélection. Puis je me retourne vers elle, un peu trop brusquement apparemment car je la vois légèrement sursauter.

« - Tu me fais quoi, là ? je lui demande alors.

- Hein ?! De quoi tu parles ? me répond-t-elle, surprise et gênée.

- Tu sais très bien de quoi je parle : A quoi tu joues avec Tristan ?

- QUOI ?! Mais, à rien, voyons !! se défend-t-elle rapidement.

- Je dois te rappeler la façon dont il m’a traité il y a quinze ans, ou tu t’en souviens toute seule ??

- T’énerves pas, je n’ai rien fait, je te dis !! On discutait, c’est tout. Il m’a posé des questions sur mon parcours, donc je lui ai parlé de mes vidéos. Et il a voulu voir alors je lui ai montré. Voilà, c’est tout. Rien de mal, quoi !

- Bien sûr ! Tu vas me faire croire que tu ne minaudais pas en rougissant pendant qu’il te glissait des petites phrases à l’oreille ??

- Il m’a fait des compliments, c’est vrai, et alors ? Ça fait toujours plaisir, je n’vais pas le cacher !

- Hmm… »

Je n’ai visiblement pas l’air convaincu lorsque je récupère mon gobelet dans la machine et y insère une seconde pièce pour elle, car elle me fixe d’un œil inquisiteur, un sourcil levé.

« - Attends… Je rêve ou… Tu n’es pas en train de me faire une crise de jalousie, quand même ?!

- HEIN ?! MOI ??? Mais non !!! Pas du tout ! je me justifie un peu trop vite. Non, c’est juste que… Que je ne voudrais pas que tu tombes toi aussi dans ses filets… Et que tu en souffres, comme moi, tu vois…

- Hein hein… » me répond-elle, toujours pas convaincue, en me regardant en biais et en prenant à son tour son gobelet.

Elle se rapproche de moi, et pose sa main libre sur mon bras avec bienveillance.

« - Tu sais, ce n’est pas parce que je lui parle bien que ça veut dire que vais coucher avec lui, hein ! Même s’il faut avouer qu’il est plutôt mignon et que j’en ferais bien mon quatre heure…

- Esther ! je m’exclame d’un air agacé et presque offusqué, sur le ton du reproche.

- Roooh ça va, je te taquine ! Mais c’est vrai qu’il est beau, tu ne peux pas dire le contraire !

- Oui, bon…

- Ah ! Quand même ! »

Je me renfrogne un peu, prise à mon propre jeu, évitant la conversation en buvant mon café. Le pire, c’est qu’elle a raison : Je ne peux pas dire qu’il n’est pas mignon, ce serait mentir. Légèrement plus grand que moi, musclé mais svelte et élancé, un visage en forme de diamant, une coupe avec une raie sur le côté et les cheveux bruns coiffés dans la direction opposée, une barbe de trois jours, parfaite pour rajouter un peu de volume à un menton plutôt étroit… On ne peut effectivement pas dire qu’il est moche, loin de là !

« - Lola ? Tu m’écoutes ? me demande Esther, en me sortant de mes réflexions.

- Hein ? Euh, oui oui. Bon… Allez, je vais y aller, moi. Sinon je vais le mettre en retard, et je vais en entendre parler pendant des jours… Ah ! Tu n’oublies pas de m’envoyer le moindre article de presse que tu trouveras qui parle de lui, surtout.

- Oui maman ! » clame-t-elle en levant les yeux au ciel, avant de s’éloigner en me faisant un signe de la main, de dos.

Et je rejoins Tristan, qui m’attend gentiment pour partir ensemble à son prochain rendez-vous.

***

Il semble qu’il ait fait mouche sans le vouloir !

Quand il a relevé la tête et qu’il a croisé son regard, il lui a semblé apercevoir une lueur de contrariété dans ses yeux étincelants. Il est vrai que sa collaboratrice, Esther, est une jeune femme fort agréable à regarder également. Mais lui aussi sait user de son charme, et elle ne semble pas y être insensible apparemment. Et le fait que Lola paraisse furieuse à l’idée qu’il soit si proche d’elle lui redonne espoir.

« Chacun son tour ! » se dit-il. Après tout, hier, elle ne s’est pas du tout cachée pour minauder devant le jeune adjoint blondinet du PDG de la société d’investissement avec lequel il avait rendez-vous. A son tour aujourd’hui de la rendre jalouse. Et ça fonctionne, à priori !

Ou peut-être est-ce juste parce qu’elle se méfie de lui, et qu’elle souhaite simplement protéger sa collègue contre un homme qu’elle estime être un traitre…

Cela dit, il s’en fiche. Ce n’est pas la chargée de communication qui l’intéresse, mais bien elle. Seulement voilà : Ce n’est probablement pas en la braquant ainsi qu’il arrivera à ses fins. Il en est bien conscient. Mais il ne peut s’empêcher d’éprouver tout de même une certaine satisfaction à la voir se renfrogner lorsqu’il parle à une autre femme. Serait-ce le signe qu’elle a encore des sentiments pour lui ? Peut-être devrait-il essayer avec une autre, pour vérifier sa théorie…

***

Aujourd’hui, Tristan semble bien connaître son interlocuteur du jour : Alors que je cherche après le personnel d’accueil, il rentre dans le cabinet notarial sans même un temps d’arrêt. Je me retourne et il est déjà loin dans le couloir. Surprise qu’il n’attende pas la présence de la secrétaire pour s’annoncer, je cavale derrière lui pour le rattraper, lorsqu’il pousse la porte du bureau.

Le notaire, un homme à peu près d’âge avec Tristan, en costume cravate, est en train de lire un document en compagnie d’une femme plus jeune à lunettes, qui semble un peu stressée. Il sursaute à notre arrivée, mais son visage s’illumine aussitôt qu’il s’aperçoit de l’identité de son invité.

« - Wow !! Tristan ?! Comme je suis content de te revoir, vieux frère !! s’exclame-t-il en se levant pour l’accueillir à bras ouverts.

- Salut Robin ! Je suis content moi aussi ! » lui répond-il en l’enlaçant et en lui donnant des petites tapes amicales dans le dos.

Celle qui semble être la secrétaire ouvre de grands yeux et plaque le document qu’elle analysait avec son patron devant sa bouche, se cachant presque derrière. Je la vois se décomposer et rougir fortement.

« - Ça fait un bail !! Comment vas-tu, bro ?

- Bah ça va plutôt bien, lui répond Tristan en fourrant les mains dans ses poches d’un air nonchalant.

- Ah tu es venu avec Madame ? Enchanté !

- Aheum, euh non… s’empresse de le contredire Tristan, en toussotant. Voici mon assistante personnelle pour mon séjour en France, Lola Terramare. Elle gère mon planning ici, car ma secrétaire a dû rester aux States pour seconder mon adjointe dans l’entreprise.

- Aaaaah, OK… Pardonnez-moi cette méprise, mademoiselle, s’excuse le notaire, un peu gêné, en me serrant la main.

- Ce n’est pas grave, je lui réponds aimablement. Enchantée également.

- Et toi ? lui demande Tristan, en désignant de la tête la jeune secrétaire cachée derrière ses papiers.

- Oh ! C’est ma toute nouvelle secrétaire, fraichement sortie de l’école : Sarah. Elle est un peu timide et encore en période d’apprentissage, mais ça va le faire ! Hein, Sarah ? »

La pauvre devient alors écarlate, et c’est à peine si nous percevons le timide « bonjour » qu’elle nous adresse. J’ai l’impression de me voir il y a dix ans de cela, lorsque j’ai débuté dans le métier au côté de Nadine : Timide et facilement impressionnable, je manquais également d’assurance. J’éprouve soudain un élan de compassion pour elle.

« - Alors ? Qu’est-ce qui t’amène chez moi, mon ami ? demande Robin à l’attention de mon client.

- J’aurais besoin de toi pour me faire un contrat de parrainage en bon et due forme. J’aimerai aider une petite startup du coin à se lancer.

- Ah mais oui, pas de problème ! Installe-toi là, tiens ! lui répond-il, reprenant son professionnalisme et lui désignant le fauteuil face à son bureau. Vous aussi, mademoiselle. Sarah ? Prenez des notes s’il-vous-plait. Bien. Je t’écoute. Dis-moi tout. »

Pendant que Tristan explique son projet et détaille les différentes modalités de son futur contrat, je m’installe à ses côtés et sors les documents nécessaires de mon sac à main avant de les tendre au notaire. La jeune secrétaire tente tant bien que mal de suivre le rythme et de griffonner ce qu’elle chope comme informations sur son bloc-notes.

Mon téléphone se met subitement à vibrer, me faisant sursauter, et je m’excuse avant de m’éclipser dans le couloir pour répondre à l’appel qui me paraît urgent et important.

Lorsque je reviens dans la pièce, Sarah s’est installée dans mon fauteuil, aux côtés de Tristan, penché sur son calepin. Stoppée nette dans mon élan et quelque peu vexée d’avoir aussi rapidement perdue ma place, j’observe la scène de loin, les sourcils relevés. Robin pianote sur son ordinateur, pendant que Tristan, le bras appuyé sur le dossier du siège de la timide apprentie recroquevillée sur elle-même, semble relire les notes. Il finit par lui désigner un passage en lui murmurant quelques mots, qu’elle s’empresse d’ajouter à la longue liste d’informations déjà retranscrites sur le papier. Une fois terminé, elle relève la tête et le fixe, attendant son approbation. Il lui sourit tendrement, le regard aguicheur, hochant la tête en signe de validation. La jeune femme rougit alors de plus belle, baisse la tête et remonte ses lunettes avec un petit sourire gêné.

Eh bien, eh bien ! Il ne lui aura pas fallu longtemps pour se mettre la secrétaire de son pote dans la poche, à ce que je vois !

Un tantinet contrariée, je m’avance vers le bureau en faisant volontairement claquer le plus possible mes talons sur le sol parqué.

« - Hum, hum… Excuses-moi Tristan, j’ai dû m’absenter pour répondre, c’était important.

- Hein ?! Ah oui, oui ce n’est pas grave, ne t’en fais pas. Tu fais juste ton travail, c’est tout, me répond-il, feintant la désinvolture. Comme cette jeune femme, tiens ! Elle travaille bien, d’ailleurs ! » ajoute-t-il à l’attention de celle-ci, avec un petit clin d’œil complice.

Aussitôt, elle rougit et glousse bêtement, plaquant son bloc-notes contre sa poitrine, le regard quasiment envouté par cet homme visiblement important qui la complimente, elle.

« - Non mais c’est vrai ! ajoute-t-il, avec son sourire charmeur. Vous vous débrouillez bien, vraiment. Ce n’est pas pourtant facile au début, de prendre des notes comme ça, à la volée ! Surtout qu’on ne fait pas forcément attention si vous suivez ou pas, hein ! Mais ça va, vous avez quasi tout noté, finalement. Et avec le temps, vous verrez, vous irez plus vite, et vous prendrez confiance. Ah mais, tiens, Lola ! Tu pourrais peut-être même lui donner quelques conseils en plus !»

Et puis quoi encore ???

Et il continue ainsi son baratin, faisant l’éloge de son travail si important et si difficile, – au passage, je rappelle que c’est en partie un peu le mien aussi, de travail, mais bon… – pendant que la jeune femme glousse de plus belle et prend définitivement une coloration rouge écarlate, intimidée et flattée.

Je rêve ou il la drague ouvertement ??

Il joue le Don Juan et ne s’en cache même pas !

Et l’autre qui glousse bêtement… Mais t’en fais pas, ma p’tite ! Il s’amuse simplement, là ! Tout ce qu’il veut, c’est te foutre dans son lit, c’est tout ! Et quand il en aura marre, il te jettera. Comme il l’a fait avec moi.

Moi qui avais un peu de pitié pour cette pauvre fille, je suis désormais agacée par sa façon de minauder auprès de Tristan. Je lève les yeux au ciel et soupire bruyamment, avant de finalement me décider à m’installer dans le canapé au fond de la pièce, les jambes croisées, puisqu’à priori je ne vais pas récupérer mon fauteuil de sitôt.

***

Il en était sûr !!! Elle est donc bien jalouse !

Il constate avec satisfaction la réaction de Lola, qui s’est aussitôt renfrognée à la vision de son petit jeu de séduction avec la jeune secrétaire inexpérimentée. Et cela lui donne un espoir qu’il n’osait entrevoir.

Après son petit manège avec ce beau-gosse d’adjoint aux origines allemandes l’autre coup, dans la société d’investissement, il va cependant se faire un malin plaisir de continuer de la faire enrager avec la jeune Sarah, rien que par pure vengeance. D’autant qu’il a bien vu que la petite est fortement sensible à ses avances. Il n’ira pas jusqu’au bout de sa démarche avec elle, évidemment, car elle ne l’intéresse pas vraiment. Mais si cela lui permet de rendre la pareille à sa charmeuse ex petite amie, il s’en contentera. Il ne donnera jamais suite à la jeune femme, et puis voilà. En espérant qu’elle ne s’accroche pas, de son côté…

C’est un jeu dangereux et ridicule, il le sait. Mais il ne peut s’en empêcher…

***

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