Chapitre 10 - Réalité Improbable

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Je ne sais plus quoi penser. Me voilà démunie face à cette réalité que je ne connaissais pas. Les morceaux du puzzle s’assemblent aujourd’hui, mais je ne m’attendais à ce type de révélation.

Malgré moi, j’ai subitement un soupçon de pitié pour Tristan. Son départ n’était pas de son ressort, finalement. Il ne l’a pas décidé, il l’a subi, lui aussi… Tout comme moi. Mais pourquoi ne m’en a-t-il jamais parlé dans ce cas ? Pourquoi ne pas m’avoir dit la vérité tout de suite ? Pourquoi m’avoir fait croire qu’il voulait simplement changer de vie, s’enfuir, peut-être même avec une autre fille ? Pourquoi cette lettre pleine de mensonge ? Est-ce de cela qu’il voulait me parler depuis son retour ?

Une tonne de questions se bousculent dans ma tête.

« - Lola ? Vous êtes toujours avec moi ? »

Robin me sort de ma torpeur, l’air inquiet. Je prends soudain conscience que je suis toujours plantée là, sans dire un mot et sans l’écouter, alors qu’il devait probablement continuer la discussion seul.

« - Oh, euh… Oui, pardon. Je réfléchissais.

- Je vois ça ! » s’exclame-t-il en me souriant d’un air compréhensif.


 C’est alors qu’apparait Tristan, suivi de près par Sarah, toute penaude, tenant toujours fermement son bloc-notes contre sa poitrine.

« - Ah, vous êtes là ! s’enquiert Tristan. On vous cherchait !

- Tsss, comme si… je me murmure à moi-même.

- Ah bah d’accord ! fait-il mine de s’offusquer en apercevant nos tasses. Ça se prend un p’tit café et même pas ça nous en proposerait un ! Sympa…

- Excuses-nous, mais vous sembliez fort occupés, tous les deux ! lui rétorque Robin, avec un clin d’œil malicieux à mon attention.

- A priori, vous aussi… lui balance Tristan, cette fois visiblement contrarié, en me lançant un regard noir de reproche.

Robin rit aux éclats, et leur sert également une tasse à chacun. J’évite soigneusement de regarder Tristan. Je ne sais plus comment réagir. Je me sens toute bizarre, perturbée par ce que je viens d’apprendre. Mon cerveau est en ébullition, mon esprit est ailleurs, et je n’écoute plus les conversations autour de moi.

« Il semblait tourmenter par une ancienne histoire d’amour, et il avait à priori du mal à passer à autre chose. »

Cette phrase tourne en boucle dans ma tête. Parlait-il de moi ? A-t-il réellement souffert de notre rupture, comme moi à l’époque ?

« Il comparait sans cesse ses nouvelles conquêtes à son ex petite-amie. »

Que sous-entend-il exactement ? Que j’étais celle qui comblait son cœur, et qu’il n’a jamais pu me remplacer ? N’a-t-il jamais aimé que moi, finalement ? Sinon pourquoi me comparer aux autres ? Pourquoi vouloir que les autres me ressemble tant ?

J’essaye désespérément de me souvenir de nos dernières conversations, remontant quinze ans en arrière. M’avait-il laissé un indice avant de me quitter ? Avait-il essayé de m’en parler ? Savait-il seulement ce qui l’attendait ? Pourquoi m’avoir largué avec si peu de considération, même s’il n’avait pas le choix de partir ? Nous aurions pu continuer à nous aimer après tout, même à distance…


La rancœur remonte alors. Même s’il m’aimait toujours, il m’a pourtant bien abandonné comme une vielle chaussette ! Il m’a même menti ouvertement ! Alors que moi, j’étais folle de lui. C’était l’homme de ma vie. Nous étions si connectés, si bien assortis… C’était tellement fort entre nous. J’aurais donné tout ce que j’avais pour lui. D’ailleurs, je lui ai donné ma virginité ! J’aurais même tout plaqué pour le suivre aux Etats-Unis, si j’avais su…

Mais il ne m’a laissé aucune chance. Il ne m’a pas demandé mon avis. Lui aussi a choisi à ma place.

Soudain, je sens mon cœur qui s’emballe de nouveau, la panique s’emparant de moi. Un flot de sentiments me revient, comme une balle en pleine poitrine. Et il est là, en face de moi, à me narguer… J’ai subitement l’impression d’étouffer. Haletante, je m’excuse fébrilement avant de m’enfuir.


Je marche à grand pas vers l’extérieur, la main sur le cœur. Je n’arrive plus à respirer. Une fois dehors, je prends appui sur mes genoux, le souffle court. Puis, je prends une profonde inspiration, essayant de me calmer.

Que m’arrive-t-il ? Pourquoi ces révélations me perturbent-elles autant ? Est-ce la vérité ? A-t-il toujours eu des sentiments pour moi ? Pourquoi m’avoir fait souffrir autant dans ce cas ?

Tout se mélange de nouveau dans ma tête : mes sentiments pour lui, notre première fois dans ses draps, la douceur de sa peau contre la mienne… Mais aussi la douleur atroce de son départ précipité, mon cœur qui saigne, brisé par ce chagrin d’amour. La colère aussi, en sachant désormais qu’il m’aimait toujours, mais que cela ne l’a pas empêché de m’abandonner avec de fausses explications, au risque de me laisser seule avec ma souffrance…

Je lui en veux encore plus. Mais je suis rassérénée à la simple pensée qu’il a probablement souffert autant que moi, finalement. Et cela me procure une sensation de vengeance.


***

Il y est peut-être allé un peu fort dans la provocation…

Elle est partie en trombe, semblant complètement chamboulée… Serait-ce le signe qu’il attendait, cela dit ? Le signe qui prouve qu’elle a bien encore des sentiments pour lui ?

Peut-être devrait-il la rejoindre, pour vérifier que tout va bien tout de même…

***


Alors que je commence à peine à me remettre de mes émotions, reprenant mon souffle doucement, je n’entends pas Tristan arriver derrière moi.

« - Tout va bien ? » me demande-t-il doucement.

Le bond que je fais le surprend, et aussitôt il s’excuse platement.

« - Oh ! Pardon ! Je ne voulais pas te faire peur…

- Non, ça va, ce n’est rien… Ça va, merci…

- Tu es sûre ??

- Oui, ça va, je te dis, je réponds sèchement. C’est juste un coup de chaud. J’avais… besoin de prendre l’air, c’est tout.

- OK… »

Reprenant une contenance, je me redresse de toute ma hauteur en prenant une grande bouffée d’air. Je lui jette un œil en coin, surveillant sa réaction. Lui me regarde d’un air inquiet, les yeux brillants. Il parait soudain tout timide, presque comme s’il se sentait coupable.

Et voilà de nouveau mes défenses qui vacillent ! Il a toujours ce même regard intense, avec une pointe de tendresse, qui a su si bien faire chavirer mon cœur, il fut un temps. Mais aujourd’hui, ça ne devrait plus être le cas, normalement ?! Hors de question de me laisser attendrir ! Après tout, si tout ce que son ami m’a raconté est vrai, alors c’est finalement encore pire que ce que je croyais. Il ne m’a même pas quitté pour aller voir ailleurs, se taper d’autres nanas dans un autre pays, ou juste parce qu’il ne ressentait plus rien pour moi. Il n’a donc aucune excuse valable à mes yeux.

« - Quoi ?? Qu’est-ce que tu attends ? je lui demande d’un ton agressif, essayant de cacher ce moment de faiblesse.

- Euh… Rien. Je voulais… Non, rien. Si ça va, alors… Je vais… euh… rentrer à l’intérieur, dans ce cas… Tu viens ? balbutie-t-il, l’air penaud.

- Oui, j’arrive. »

Il fait mine de partir, mais je sens une certaine hésitation. Il se retourne, fait quelques pas, et s’arrête finalement juste avant de passer la porte pour me faire face de nouveau.

« - Tu sais… Je ne m’intéresse pas à cette petite secrétaire, hein…

- Quoi ?? Pourquoi tu me dis ça ?? je m’étonne. Moi aussi je m’en fiche ! Tu fais ce que tu veux. Ça ne me regarde plus depuis longtemps !

- Oui… Je sais… Mais c’était au cas où.

- Au cas où quoi ? Je me fiche complètement de savoir avec qui tu couches. Tu n’as plus aucun compte à me rendre depuis que tu m’as laissé en plan il y a quinze ans. »

Eh vlan, encore un point pour moi !

« - Donc… Tu n’es pas jalouse ? me demande-t-il, presque étonné en fronçant les sourcils.

- Je devrais ?

- Je ne sais pas…

- Dis plutôt que tu aimerais bien ! je lui réplique aussitôt.

- Alors… Ce n’est pas la raison pour laquelle tu ne te sentais pas bien ?

- Absolument pas !! Ne prends pas tes rêves pour la réalité ! J’ai eu un coup de chaud, il faudra que je te le dise en quelle langue ? J’ai dû chopper une petite bactérie, voilà tout.

- Très bien… J’ai compris… souffle-t-il, son regard plongeant dans le mien.

- J’espère bien, oui. »

Nous restons quelques instants ainsi, les yeux dans les yeux, se sondant l’un l’autre, lui d’un air pénétrant et moi essayant de lui tenir tête. Mais je sens en moi que je défaille… Son regard me transperce, traverse ma carapace malgré moi. J’ai beau lutter, me convaincre que je devrais lui en vouloir encore plus, d’autant qu’il m’a menti délibérément ! Mais une part de moi garde en mémoire cette révélation qui me laisse entendre qu’il n’est à priori pas entièrement fautif. Sans m’en rendre compte, mon cœur s’emballe de nouveau, pris au piège de ces yeux si profond qui semblent lire en moi. Et soudain, j’ai bien peur que Tristan ne perçoive ce petit quelque chose qui s’empare de moi désormais…

« - Bah alors ? Vous faites quoi tous les deux ?? s’enquière Robin, qui vient d’apparaitre dans l’encadrement de la porte. On vous attend hein ! »

Je suis la seule à sursauter, et cligne des yeux pour reprendre mes esprits avant de répondre joyeusement au notaire :

« - Ah oui, pardon ! J’ai eu un petit coup de chaud, et j’avais besoin de prendre l’air. Mais ça va mieux !

- Oula ! Tristan, tu devrais faire plus attention à ton assistante, hein ! Une comme ça, il ne faudrait pas l’abîmer, ajoute-t-il en me faisant un clin d’œil complice.

- Justement ! rétorque Tristan, qui ne m’a pas quitté du regard. Je venais aux nouvelles, figures-toi. Mais apparemment, ça va mieux.

- Tout va bien alors ! »

Je croise furtivement les yeux de mon ex, et sa façon de me fixer m’indique très clairement qu’il a deviné ma faille intérieure… Du moins, qu’il a capté un changement en moi, peut-être même dans mon cœur. Et ce n’est pas bon signe… Je dois me reprendre, et vite !

« - Oui !! je réponds avec entrain, évitant soigneusement le regard insistant de Tristan. On peut continuer ! Enfin, je veux dire… si vous n’avez pas fini, bien sûr ! »

Et aussitôt, je m’empresse de rentrer dans le bâtiment d’un air faussement guilleret, tout sourire, pendant que Robin me tient la porte.

Tiens bon la barre, ma Lola !


***

Il y a quelque chose de changer en elle…

Elle continue de le rabrouer, mais il perçoit un léger changement dans sa façon d’agir avec lui, dans son attitude et sa posture. Elle semble plus crispée, comme sur la défensive. Plus qu’avant du moins. Mais pas d’une crispation de colère… Plutôt de celle qui présage une appréhension, une inquiétude même… Un manque soudain de confiance en elle.

Il décèle un changement dans son regard aussi, qu’elle a plus fuyant qu’auparavant.

Lorsqu’il a plongé ses yeux dans les siens, il a cru apercevoir une lueur… Mais il n’arrive pas à déterminer de quelle nature. Comme si elle avait compris quelque chose… Qu’elle changeait d’avis sur son compte… Qu’a-t-elle bien pu apprendre qui la fasse revoir sa partition à son sujet ?

Peut-être que sa timide bienveillance envers elle commence à montrer des signes d’efficacité… Ou bien vient-elle de se rendre compte de sa jalousie sans vouloir se l’avouer, même si elle proclame haut et fort que ce n’est pas du tout le cas ? Une faille… Voilà ce qu’il semble détecter. Aurait-il réussi à percer un petit bout de sa carapace malgré tout ? Sinon, pourquoi aurait-elle l’air si chamboulée ?

Il ne sait trop comment il a bien pu faire, mais il y croit. Peut-être serait-ce le moment de tout lui avouer ?

***

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