Tristan semble plus doux et délicat avec moi, en ce moment. Je tente de faire bonne figure et de bien enfouir mes doutes et mes faiblesses, mais mon esprit est toujours obnubilé par toutes ces questions sur son passé.

Il m’arrive de me perdre parfois dans mes pensées pendant un de ses rendez-vous. Je pense alors à ce qu’a dû être sa nouvelle vie aux Etats-Unis. J’imagine qu’il est arrivé là-bas seul et triste, obligé de suivre une formation qu’il n’a pas souhaité, dans un pays qu’il ne connaissait pas, loin de ses amis, de sa famille peut-être même… De sa chérie aussi ? Et puis j’imagine qu’avec son bagou, son charisme naturel, il s’est très vite fait de nouveaux potes sur place. Comme Robin, par exemple. Et qu’il a refait sa vie tranquillement. Qu’il m’a ensuite oublié, ou très vite remplacé par une belle américaine amourachée du petit français fraichement débarqué. Ou pas ? Les propos de son ami m’ont mis le doute à ce sujet.

Seule dans mon bureau, penchée sur mon PC, j’ouvre machinalement mes mails. Et puis, je tombe sur un de ma collègue Esther, qui m’envoie les informations qu’elle a glané sur les réseaux – comme je le lui avait demandé – au sujet de mon nouveau client pas si étranger.

Je connaissais déjà une partie de sa carrière, car à l’époque de ma dépression, je tentais de garder encore un semblant de contact avec lui, dans mon espoir stupide de le retrouver un jour. Aussi je ne suis pas surprise de voir qu’il est sorti diplômé major de sa promo à Harvard, avant de reprendre les rênes de l’entreprise familiale, qu’il a agrandi grâce à son savoir-faire et à ses connaissances. C’est devenu un très bon négociateur et un homme d’affaires aguerri, qui tient son empire de main de maître. Il possède désormais un grand nombre de petites sociétés qu’il a réussi à racheter une poignée de pain, et qu’il a remis sur pied en un clin d’œil pour en faire aujourd’hui des fleurons dans leur domaine.

Cependant, je pense nécessaire de lire le complément d’information de Esther, et d’effectuer quelques recherches supplémentaires sur Internet au sujet de sa vie personnelle.

De ce que je peux lire dans les journaux People, il est actuellement le célibataire le plus convoité. Tu m’étonnes ! Un homme riche avec une entreprise florissante, que demander de plus ?!

J’ai également pu constater qu’il a un très bon compte en banque (je ne suis pas étonnée, son palmarès et la renommée de son entreprise en sont la preuve), mais qu’il a pas mal dépensé en organisant de grandes fêtes grandioses et bien arrosées au début de sa carrière, en compagnie de son père.

S’il n’a, à priori, pas réussi à se remettre en couple après notre rupture, il ne s’est pas laissé abattre pour autant ! Et je trouve sur le net de nombreuses photos de ses soirées débridées, excentriques et à priori fortement alcoolisées aussi, chacune le montrant avec une femme différente. Toutes des bimbos siliconées (et probablement écervelées). Du moins… Au début.

Puis, plus le temps passe, plus je remarque qu’il se montre de moins en moins aux bras de ses femmes surfaites. Il est plus souvent seul. Il a même l’air triste et solitaire. Et finalement, je le retrouve quelques mois plus tard, accompagné d’une seule et même femme, qui revient plus régulièrement que les anciennes à ses côtés. Plus encore, je ne vois plus qu’elle comme compagne lors de ses sorties mondaines. Une jeune femme aux cheveux frisés châtain foncé, de taille moyenne, légèrement plus petite que lui. A peu près ma taille je dirai même. D’ailleurs… A bien y regarder… Elle me ressemble un peu, je dois dire. S’en est même troublant… Robin aurait-il dit la vérité ? Essayait-il vraiment de me remplacer par un sosie ?

« - Wouahou ! C’est qui ce beau gosse ? »

Plongée dans ma lecture, je n’ai pas entendu ma collègue se faufiler derrière moi pour mieux miler ce que je suis en train de faire.

Je sursaute légèrement, avant de répondre.

« - Hein ? Oh, euh… C’est Tristan. Quand il vivait aux States, je lui explique d’un air blasé.

- Ah ! Je vois que tu t’intéresses à mes recherches, finalement !

- Evidemment ! Qu’est-ce que tu crois ? lui réponds-je d’un air faussement offusqué. Et puis, il faut bien que je me renseigne un peu sur lui…

- Oui, bien sûr ! Sur lui, ou…

- « Ou » quoi ??

- Ou sur ses conquêtes !! me réplique une Esther visiblement d’humeur taquine, alors que je lève les yeux au ciel en signe de dépit. Elle est plutôt jolie, d’ailleurs ! C’est sa meuf de l’époque ?

- A priori, oui. En tout cas, on la retrouve régulièrement sur les photos durant cette période de sa vie. En revanche, je ne la vois plus après, sur celles plus récentes… Ils ne doivent plus être ensemble, je pense…

- C’est fou… On dirait presque… » commence-t-elle d’un air pensif, se penchant sur l’écran pour scruter la photo en se grattant le menton.

Elle penche la tête sur le côté, puis de l’autre, et enfin me fixe en plissant les yeux, me dévisageant avec attention de manière très déstabilisante.

« - C’est bizarre… C’est comme si… Enfin… Je trouve que vous avez un petit air de ressemblance, toutes les deux… constate-t-elle en fronçant les sourcils, le regard toujours fixé sur moi avec insistance.

- Quoi ?? je m’exclame, perplexe.

- Non, mais vraiment ! Regarde bien ! insiste-t-elle en pointant l’image du doigt. Elle te ressemble beaucoup, je trouve… Les mêmes yeux, la même couleur de cheveux… La même coupe aussi, d’ailleurs… Tu n’as pas remarqué ?

- Non, je lui réponds d’un air désintéressé. Enfin, peut-être, oui… Vaguement…, j’ajoute en feignant l’indifférence.

- C’est quand même étrange, non ? Ça ne te fait pas bizarre, à toi ??

- Pourquoi ? Ça devrait ?

- Bah quand même ! La meuf elle te ressemble comme deux gouttes d’eau, quoi ! Et Tristan était en couple avec elle… Je ne crois pas que ce soit un hasard… C’est troublant… »

Effectivement, elle a raison : C’est troublant. Et moi non plus, je ne crois pas au hasard. Surtout après ce que m’a raconté son ami Robin. Mais ça, elle ne le sait pas.

Dois-je le lui raconter d’ailleurs ?

De toute façon, je connais déjà sa réaction : Elle va me dire que c’est une bonne nouvelle, que ça signifie que je me suis fait des films durant toutes ces années, qu’il a une excuse finalement, et que je devrais aller lui parler tout de suite pour connaitre la vérité. Je l’entends déjà me dire que je ne devrais pas laisser passer un homme aussi sexy que lui, et que je devrais lui pardonner. Que la vie m’offre une seconde chance que je devrais saisir immédiatement. Et bla bla bla…

Elle est tellement fleur bleue, quand elle s’y met… Mais elle est encore jeune, ce qui explique son côté romantique. Elle n’a pas encore été ébranlée par les désillusions cruelles de la vie, elle. Alors que moi… Pour ma part, on peut dire que l’amour ne m’a pas fait de cadeaux… J’ai bien morflé, comme on dit ! Et je me passerai volontiers de recommencer les mêmes erreurs…

Aussi, je prends finalement la décision de ne rien lui révéler. C’est la meilleure solution, la plus sage du moins. Et c’est probablement mieux ainsi… D’autant que je n’ai pas besoin de leçons de moral en ce moment.