Chapitre 12 - Nostalgie
Pendant que Tristan discute affaire avec d’autres grands chefs d’entreprises pleins aux as, je l’observe. Le regard dans le vide, mon esprit vagabonde loin dans mes souvenirs. Très loin…
« Je le regarde, que dis-je ? Je le dévore des yeux. Je l’admire, complètement hypnotisée et sous son charme. Ce beau jeune homme de dix-neuf ans, grand brun aux cheveux en mode coiffé décoiffé, mince et pas forcément très musclé, mais sans un gramme de graisse, et néanmoins élancé. Peu m’importe qu’il soit costaud ou non, moi je me sens en sécurité avec lui, même dans ses bras un peu frêles. Parce qu’il ne se laisse pas faire pour autant, hein ! Il a un petit côté caïd, un peu rebelle avec son allure baggy et bandana, qui me fait fondre.
Et ses yeux ! Que dire de ses yeux bleus magnifiques quand il me regarde avec autant de tendresse ? Il a toutes les qualités que je souhaite chez un homme. Il est tellement adorable, doux et câlin. Un peu bohème… Et drôle aussi ! Il me fait beaucoup rire, d’ailleurs ! Il fait souvent le pitre, et moi, j’aime qu’il ne se prenne pas trop au sérieux. En plus, nous avons les mêmes goûts, les mêmes centres d’intérêt… Nous nous complétons parfaitement en fait ! Parfois, il est un peu fier et orgueilleux, aussi. Mais ça, c’est probablement pour essayer de m’impressionner.
Parce que oui, c’est moi qu’il a choisi ! Moi, la jeune fille timide et un peu garçon manqué. Moi, la pote de tous les autres mecs de mon quartier et de mon bahut, celle qu’on voit comme une bonne copine et pas du tout comme une nana à emballer. Celle à qui on demande conseil pour pécho les autres filles, sans penser une seconde qu’elle voudrait bien être embrassée, elle aussi. Celle qui tient plutôt la chandelle, en fait…
Et maintenant, c’est moi la fille qui a pécho ! Je n’y croyais pas, mais j’ai pourtant réussi à le séduire. Lui, le beau gosse au sourire ravageur, celui qui fait chavirer tous les cœurs.
Nous nous baladons main dans la main sur un chemin de campagne, hors du temps, insouciants… Il me sourit tendrement en croisant mon regard. Le soleil brille, je suis en compagnie de l’homme de mes rêves. La vie est belle !
Au loin, nous apercevons un faisan qui traverse tranquillement d’un champ à un autre. Tristan s’arrête net et me retient la main pour me stopper également, me désignant l’endroit où vient d’apparaitre l’animal. Puis il met son index sur sa bouche en signe de mutisme, et s’éloigne sur la pointe des pieds dans le champ de maïs à côté de nous. Rapidement, je ne le vois plus parmi les épis déjà hauts pour la saison. Je reste immobile, attendant la chute de sa fourberie.
Et soudain, il sort de sa cachette en hurlant, les bras en l’air, imitant un singe. Le pauvre faisan effrayé s’enfuit en caquetant d’un air indigné, les ailes déployées. Le cri de l’animal, aussi moche que possible, me fait alors éclater de rire. Puis il revient vers moi, toujours en imitant le singe, les genoux pliés et les bras en l’air, et je ris de plus belle. Son regard malicieux veut tout dire, je sais qu’il veut me courir après. Et c’est ce qu’il fait ! Je fais mine de vouloir m’enfuir, juste avant qu’il ne m’attrape par la taille, me soulève légèrement et me fasse tourner dans les airs. Puis qu’il m’embrasse avec fougue et passion. Je me sens parfaitement bien, amoureuse et aimée en retour, bien calée dans ses bras. Il m’aime, je l’aime, nous nous aimons… Tout est absolument parfait ! Je suis la plus heureuse du monde. »
Puis subitement, le décor change. Et un autre souvenir me revient alors.
« J’ai un mauvais présentiment… Lorsque je l’ai quitté hier, il avait l’air perturbé, pas dans son assiette, presque ailleurs, voir distant…
Nous étions en train de parler de notre avenir, et soudain il s’est renfermé sur lui-même… Ce n’était pourtant pas la première fois que nous évoquions le sujet : Après nos diplômes respectifs, nous avons déjà convenu d’ouvrir notre ferme pédagogique ensemble. Ce n’est pas un secret ni une surprise, cela fait déjà quelques temps que nous avons organisé ça, je ne comprends donc pas ce qui a bien pu le perturber à ce point… Cela m’inquiète beaucoup.
Toute à mes pensées, je me dirige fébrilement vers notre point de rendez-vous habituel. Mon cœur cogne dans ma poitrine, et pas à cause de ma course. Le ciel est chargé de nuages gris menaçants. Je sens que quelque chose va arriver… Lorsque j’arrive au pied de notre petite cabane, construite de nos mains en haut d’un arbre - pour contempler les étoiles - je constate rapidement qu’elle est déserte. L’échelle en cordage qui nous permet de monter n’est pas descendue, ce qui signifie que personne n’a probablement encore grimpé à l’intérieur. Je connais le secret pour accéder à notre repaire. Aussi je passe ma main au-dessus d’une des branches, et attrape un nœud, coincé dans un trou de l’écorce, noué au bout d’une corde. Puis je tire vivement dessus, et l’échelle glisse jusqu’au sol. Je me hisse jusqu’à la petite passerelle qui fait office de plancher, avant de rentrer dans le cabanon.
L’endroit est cosy, réconfortant. Il y a des coussins un peu partout. De grandes bâches d’agriculture sont tirées d’une branche à une autre tout autour de la plateforme, maintenues par un système de poulies ingénieux. Une autre sert de toiture à l’installation. Elle est amovible, pour nous laisser le loisir de nos contemplations astronomiques quand le temps le permet. J’observe autour de moi, presque nostalgique, me remémorant nos moments passés ici ensemble en attendant qu’il me rejoigne. Et c’est alors que je l’aperçois.
Coincée entre les lattes de la grosse bobine en bois que nous avons prise en guise de table, une enveloppe. Mon prénom est inscrit dessus. Je reconnais l’écriture de mon chéri. Je l’ouvre avec vigueur et la lis, impatiente et euphorique.
Au fur et à mesure de ma lecture, mon visage s’assombrit. Mon cœur se serre, mes mains commencent à trembler. Des mots me piquent les yeux : « parti », « autre vie », « changer de petite amie », « pas la peine de me recontacter » … Alors que j’arrive au bout de la lettre et que je lis la signature en bas, un éclair illumine l’habitacle, et j’entends ensuite le tonnerre suivi de la pluie s’abattre avec force au-dessus de ma tête. Cette fois, mes yeux s’embuent et les larmes se mettent à ruisseler le long de mes joues, en rythme avec la météo.
Je plie la lettre en deux et la glisse dans ma poche arrière, puis je descends le plus rapidement possible de la cabane, sans prendre la peine de cacher l’échelle, et cours à grandes enjambées sous la pluie désormais battante.
Mais lorsque j’arrive devant sa maison, elle semble déjà abandonnée. Pas de voiture dans l’allée, pas de lumières visibles à travers les fenêtres, pas un seul bruit en provenance de l’intérieur. Je cogne avec force contre la porte d’entrée, mais personne ne vient m’ouvrir. Je hurle son prénom, cherche un mouvement à l’intérieur en regardant au travers des vitres, en vain. Je m’aperçois alors que la maison a été entièrement vidée. Il n’y a plus un seul meuble, plus un seul objet, pas même un sac poubelle qui traine.
Je finis par me rendre à l’évidence, et m’éloigne lentement de la porte à reculons. Dégoulinante et désespérée, je reste plantée là, sous la pluie qui tombe de plus belle, devant cette maison sans âme, les yeux rougis par les larmes qui ne cessent de couler.
Il est parti. Comment a-t-il pu m’abandonner comme ça ? »
Je suis ramené à l’instant présent par celui qui m’a fait tant souffrir ce jour-là.
« - Hou hou ! Lola ! Tu viens ??
- Hein ?! Euh… Oui, oui, pardon, j’arrive ! » je lui réponds précipitamment, attrapant mon sac à main au passage avant de me lever et de le rejoindre vers la sortie.
Je n’ai absolument rien suivi de leur entrevue… J’espère qu’il ne me posera pas de questions !
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