Chapitre 14 - Prise de Conscience
« - Dites-donc ! s’exclame Lukas, qui vient de me rejoindre sur la piste de danse, deux verres à la main. Je ne sais pas ce que vous lui avez fait, à votre patron, mais il semble bien perturbé ! Ha ha ! »
Je ne réponds pas, mon regard toujours figé vers le dernier endroit où j’ai aperçu l’ombre de Tristan se faufiler à travers la foule. Le souffle court, mon cœur est toujours en mode surtension. J’ai du mal à réaliser ce qu’il vient de se passer…
« - Mademoiselle ? … Lola ?? s’inquiète mon partenaire de fortune, me tirant de ma torpeur.
- Hein ?! Oh, oui pardon ! Désolé, j’avais la tête ailleurs… Vous disiez ?
- Rien… Laissez tomber, ce n’est pas important. »
Il me sourit doucement, me tend une des coupes puis boit une gorgée de crème de champagne en me fixant du regard. Déstabilisée et visiblement prise en flagrant délit, je lui souris en retour avant de prendre mon verre, l’air penaude. J’en bois une gorgée, encore dans mes pensées. Je revis l’instant : Son regard intense, la chaleur de son corps si près du mien, la douceur de sa main dans mon dos, nos lèvres si proches…
Et je comprends soudain. Je ne peux plus nier l’évidence désormais : Il m’attire toujours. C’est physique. La panique me gagne alors. Je dois réagir, ne pas montrer ma faille. Garder mon sang froid. Ne pas me laisser envahir par des sentiments inutiles. Tout ceci n’a aucun sens. Il ne faut pas retomber dans mes anciennes erreurs. Je ne connais plus celui qu’il est devenu aujourd’hui. Ce ne sont que des pulsions physiques après tout, je peux gérer.
Je me reprends donc, et reporte mon attention sur cet homme adorable qui me regarde d’un air compatissant, attendant patiemment que mon esprit redescende de son nuage. Ce sera lui ma proie, désormais.
***
Il n’a pas insisté, mais il a bien senti cette électricité entre eux.
Sur le balcon de la grande bâtisse, il essaie de faire le tri dans ses pensées, de reprendre contenance. Il n’en peut plus. Il a dû se contenir, réfréner son envie de de l’embrasser, de faire glisser ses mains le long de son corps… Il faut qu’il reprenne son souffle avant de revenir dans l’arène, pour jouer de nouveau son rôle de grand homme d’affaire sûr de lui, classe et sans cœur. Alors qu’au fond de lui, tout vacille…
Le temps s’est arrêté pendant qu’ils dansaient ensemble. Ils étaient si proches… Il sentait son parfum, sa peau, ses formes à travers sa robe… Il lui a presque avoué ses sentiments encore si forts, emporté dans son élan ! Mais elle, elle l’a une nouvelle fois mise au tapis… Pourtant, il a bien vu dans ses yeux, cachée derrière sa colère, cette lueur qu’il aimait tant à l’époque. Celle qui lui démontrait tout l’amour qu’elle avait pour lui. Celle qui le faisait se sentir fort et important à ses yeux, comme un héros, un prince, un chevalier. SON chevalier.
Il ne désespère pas cependant. Il y a encore quelque chose entre eux, il en est certain. Même s’il sent une réticence de son côté à elle – justifiée, certes…
Peut-être devrait-il essayer de repartir de zéro, de la reconquérir comme la première fois ? Elle n’a pas tort après tout : Ils ne se connaissent plus vraiment. Ils ont beaucoup changé en quinze ans, lui comme elle. Surtout elle !
Apparemment, elle semble au courant pour son départ aux Etats-Unis. Il ne sait trop comment, mais elle sait. Elle dit aussi s’être renseigné sur sa carrière. Ce qui est fort probable et facile à faire d’ailleurs, car tout est exposé publiquement sur le net.
En revanche, lui, ne sait absolument rien de sa vie entre le moment où il est parti et aujourd’hui. L’unique information qu’il a sur elle lui vient du site web de son directeur, Monsieur Ediano, lorsqu’il a vu apparaitre sa photo et son nom dans l’organigramme de la société. Son patron lui a assuré par téléphone du professionnalisme de Lola, ayant été formée par sa propre femme, elle-même reconnue dans le métier. Il faudrait qu’il se renseigne plus sur elle, lui aussi… Il veut réapprendre à la connaître.
Lorsqu’il revient enfin dans la grande salle, elle est encore avec cet agaçant blondinet dragueur. Sa colère remonte aussitôt, et il doit fournir un effort monumental pour ne pas s’en mêler. La mâchoire crispée et les poings serrés, il les observe de loin, avec l’envie irrépressible d’aller péter les dents de ce voleur d’ex petite amie.
« - Elle est vraiment sublime, n’est-ce pas ? »
Il sursaute. Le photographe s’est glissé sans bruit près de lui et il ne s’est pas rendu compte de sa présence.
« - Elle illumine la salle à elle toute seule. Ce n’est pas étonnant que tous les hommes n’ont d’yeux que pour elle, continue-t-il en sirotant son verre d’une main, l’autre dans sa poche. Vous ne trouvez pas ? »
Sa question le surprend, et il met quelques instants avant de trouver une réponse adéquate.
« - Elle est très belle, c’est vrai. Mais je ne pense pas être le mieux placé pour obtenir ses faveurs, malheureusement…
- Oui, j’ai cru comprendre que vous aviez quelques démêlés avec elle. Vous la connaissiez d’avant, c’est bien cela ?
- Oui… mais c’était il y a très longtemps.
- Elle a beaucoup changé je suppose, depuis le temps.
- Oui, en effet… Quand je l’ai connu, nous étions adolescents. Alors qu’aujourd’hui, c’est une femme.
- Et quelle femme !! s’exclame-t-il, visiblement intéressé.
- Oui, je dois l’avouer. Une femme charmante.
- Et séduisante !
- Euh… Oui, aussi…
- Oh je vous en prie, ne faites pas semblant avec moi ! On est tous sous son charme, voyons !
- Hum, hum… toussote-t-il, mal à l’aise. C’est possible, oui… Mais… Même s’il reste au fond d’elle une part de ce qu’elle était autrefois, je ne peux pas dire que je la connaisse vraiment maintenant… Je ne sais rien de ce qu’il s’est passé pendant toutes ses années, vous savez… Je ne suis pas resté en contact avec elle, malheureusement… Je viens seulement de découvrir qu’elle travaille en tant qu’assistante, juste avant d’apprendre que c’est elle qui allait gérer mon séjour, alors vous voyez…
- Je vois… lui répond-il avec un regard en coin suspicieux.
- Et vous ? Vous la connaissez depuis longtemps ? tente-t-il de faire diversion.
- Moi ?! Oh, on travaille ensemble depuis quelques années maintenant, oui.
- Et… Vous êtes proches ?
- Oui, on peut dire ça ! On s’entend bien.
- Et… Vous, euh… Enfin, je veux dire… Vous êtes déjà… sortis ensemble ?
- Hein ?! Ha ha ! Non, non ! Pas du tout !! De toute manière, même si moi j’aimerai bien, Lola refuserait catégoriquement ! C’n’est pas trop son truc, la vie de couple, en fait !
- Ah bon ??
- Oui. Pour tout vous dire, elle a eu un très gros chagrin d’amour étant plus jeune, et ça l’a beaucoup affectée. Elle en a fait une grosse dépression, à ce qu’il paraît. Du coup, elle s’est blindée et maintenant elle refuse catégoriquement de s’engager dans tout ce qui pourrait ressembler à une relation stable. Elle a été trop déçue par l’amour, comme qui dirait… »
Il comprend tout de suite de quoi il retourne, mais il n’en laisse rien paraitre.
« - Alors… fait-il semblant de réfléchir. Elle n’a aucun petit ami ?
- Non, pas que je sache en tout cas. Des hommes de passage, sûrement… Enfin, j’espère pour elle !! Il faut bien prendre un peu de bon temps quand même, hein ! Parfois, je tente ma chance, on ne sait jamais… sur un malentendu ! » lui lance-t-il avec un petit clin d’œil complice.
Elle est donc toujours célibataire… Et elle a apparemment beaucoup souffert de son départ… Plus qu’il ne le pensait… Il comprend mieux pourquoi elle lui en veut autant, désormais…
Il faut vraiment qu’ils s’expliquent, tous les deux.
***
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