Quelques jours plus tard, Robin a fait suivre son contrat de parrainage pour la startup. D’après le planning, c’est aujourd’hui que Tristan a rendez-vous avec la fameuse petite entreprise spécialisée dans l’intégration d’espaces verts et de toitures végétales dans le BTP. Ce genre d’entrevue me met beaucoup moins mal à l’aise qu’une réunion d’affaires. D’autant que la météo s’annonce plutôt clémente. Cependant, j’ai troqué ma jupe crayon contre un pantalon en toile, plus confortable et plus pratique en cas de visite en extérieure.

Nous nous rendons donc sur place, et nous garons devant un petit bâtiment dans une zone industrielle récente. De plein pied et de style moderne, l’accès n’est pas vraiment sécurisé. Aussi nous entrons sans rencontrer le moindre intermédiaire pour nous annoncer. Dans le hall, deux jeunes hommes d’à peine une vingtaine d’années sont en train de boire un café devant une machine distributrice légèrement vétuste.

Lorsque l’un deux nous aperçoit, il manque de s’étouffer et fait un signe de tête dans notre direction à son collaborateur, qui se retourne immédiatement pour nous accueillir.

« - Bonjour ! Vous devez être Monsieur Petterfield ? Ravi de vous voir ! Je suis Paul, et voici mon associé Sam.

- Bonjour messieurs, enchanté également, leur répond Tristan en leur serrant la main chaleureusement.

- Et vous êtes ? me demande-t-il en me tendant la main à son tour.

- Mademoiselle Terramare, l’assistante de monsieur.

- Ravi de vous rencontrer, mademoiselle ! s’exclame-t-il avec un sourire aguicheur. Souhaitez-vous un café, thé, cappuccino ? Avant de rentrer dans le vif du sujet ! » ajoute-t-il à l’attention de ses deux visiteurs.

Nous prenons tous deux une boisson, moi un thé et Tristan un café, avant de nous faire conduire dans une petite salle de réunion à peine aménagée. Paul parle beaucoup, expliquant et ventant à Tristan les mérites de leur projet. Sam en revanche, parle peu. Il nous distribue leur dépliant et des plaquettes explicatives au gré des discours de son associé, et se met en retrait aussitôt après. Il ne semble pas forcément timide, mais laisse la parole volontiers à son collaborateur, à priori de nature beaucoup plus débridé et extraverti. Tristan fini tout de même par lui poser une question, comme pour déterminer son implication dans la startup, et Sam lui répond sans soucis, en précisant toutefois qu’il n’est que le directeur financier. Aussitôt, Tristan s’engouffre dans la brèche et embraille sur le plan d’investissement et les éventuels amortissements prévus, que Sam maîtrise visiblement à la perfection.

Une fois les questions sur l’état financier de la startup abordées, les deux compères nous proposent une visite d’un de leur projet en cours sur un bâtiment en construction. Nous les suivons donc dans notre véhicule, sans un mot.

Il s’agit d’un nouveau lotissement HLM. Selon le plan, il y aura quatre bâtiments, mais pour le moment, seul un vient tout juste de sortir de terre. Après avoir enfiler les équipements de protection adéquat, nous les suivons à l’intérieur de la construction. Nous nous arrêtons au premier étage, où Paul nous amène jusqu’au balcon. Une fois à l’extérieur, il se retourne vers la façade et nous explique leur projet d’installation de murs végétaux sur chaque balcon dirigé vers le Sud.

Puis nous continuons la visite jusqu’au toit, sur lequel sera implanté une jachère fleurie et des petits arbustes, afin de capter la chaleur du soleil. Je suis très intéressée par leurs installations, et je pose pas mal de questions à un Paul visiblement ravi. Derrière nous, Tristan et Sam discute de manière plus terre à terre du côté financier de chaque installation.

Vers midi, les ouvriers s’arrêtent pour prendre leur pause déjeuner, et nous invitent gentiment à nous joindre à eux lorsque nous les croisons. Nous les accompagnons donc au Food Truck de l’autre côté de la rue. Malgré ma tenue un peu habillée, tous ont été très accueillants et ne me prennent pas de haut, m’ayant même aidé à grimper sur le chantier. Aussi je suis parfaitement à mon aise, et je ris de bon cœur avec eux. Le petit côté ouvrier aux blagues salaces ne me dérange pas, je suis habituée car je viens moi-même d’un milieu peu aisé. Cela semble d’ailleurs étonner notre jeune Paul, qui me regarde évoluer parmi eux d’un air enchanté et conquis, participant avec moi à la bonne ambiance qui règne.

***

Il l’observe rire avec les autres sans aucune gêne ni apriori, pendant qu’il discute affaires avec le jeune directeur financier.

Encore une fois, elle est éblouissante. Parfaitement à son aise, elle évolue dans ce milieu aussi facilement que dans le grand monde. Assise les jambes croisées sur le banc de la table de pique-nique, adossée au plateau, elle est entourée des ouvriers bien heureux qui ne jurent que par elle. Et comme il les comprend.

Après une dernière blague, le deuxième associé, Paul, revient vers eux. Il semble conquis et joyeux.

« - Eh bé, lui lance-t-il, Vous avez une sacrée assistante ! Elle a la tchatche, de l’humour, elle est belle et intelligente… énumère-t-il en comptant sur ses doigts. Faudra me dire comment vous faites pour réussir à recruter des femmes avec autant de qualités !! »

Après un petit rire amusé mais néanmoins fier, il lui répond en lui tendant une carte de visite :

- Adressez-vous à son employeur, « Ediano Management ».

- Ah ce n’est pas vous qui l’employez ?? s’étonne le jeune entrepreneur.

- Non, je ne suis que de passage dans le pays, alors j’ai fait appel à une société spécialisée pour obtenir une assistante digne de ce nom pendant mon séjour ici.

- Et bien, vous devez être bien vu car ils vous ont probablement octroyé la plus jolie de la boîte ! Je veux la même !! Enfin… Quand j’en aurais les moyens, bien sûr, ha ha !

- Oui, c’est vrai ! Je pourrais éventuellement vous pistonner ! rétorque-t-il sur le ton de la plaisanterie. Même si, moi, c’est elle que je connais surtout…

- Ah oui ? Vous vous connaissiez déjà d’avant ? intervient Sam.

- Oui un peu… Quand nous étions jeunes… Mais il y avait très longtemps qu’on ne s’était pas revu, alors… Disons qu’on a tous deux pas mal changés depuis…

- Ah ok, je vois.

- Et euh… Était-elle déjà aussi belle étant jeune ? s’enquière le plus extraverti, et apparemment le plus intéressé également.

- Oui, répond-il avec un petit rire gêné. Enfin… Ce n’était pas le même style…

- C’est-à-dire ?

- Disons qu’elle est devenue, euh… plus féminine… Beaucoup plus féminine, en vérité ! Et plus sûre d’elle aussi.

- Ah oui ? Eh bien, actuellement, c’est ce qui lui donne tout son charme, en tout cas ! Tu ne trouves pas, Sam ?!

- Hum. » répond le second, qui a visiblement d’autres préoccupations plus intéressantes sur son mobile.

Il ne peut s’empêcher de reporter son regard sur elle, l’air pensif. Elle discute et rit avec les ouvriers comme s’ils étaient amis de longue date, fraiche et pétillante. Il sait que tous n’ont d’yeux que pour elle, mais lui, il aimerait être le seul qu’elle regarde…

Soudain, il semble avoir une illumination, et s’excuse auprès de ses hôtes avant de s’éloigner.

***

Que fait-il ?? Je l’ai vu s’éloigner, mais il ne m’a pas prévenu… J’espère qu’il ne va pas me refaire le coup de l’abandon ! Il faut que je le surveille, on ne sait jamais…

Au loin, je le vois en grande conversation téléphonique. Il fait les cents pas, raccroche puis passe un autre coup de fil. Et enfin, il revient vers les deux entrepreneurs. Ouf ! Il ne s’est pas sauvé, cette fois !

Je croise malencontreusement son regard, et il semble y détecter mon appréhension. Aussi il me sourit doucement, d’un air entendu. Je fais mine de ne pas relever, et reporte mon attention sur l’homme corpulent qui est en train de raconter une anecdote passionnante.

Mais cela me laisse dubitative. Qu’était-il en train de manigancer ?