Chapitre 24 - Ragots Volés
Au petit matin, je m’éclipse de l’appartement luxueux de mon coup d’un soir, après une nuit plutôt fort agréable dans les bras de l’homme qui dort encore paisiblement dans les draps souillés.
Igor m’attend au pied de l’immeuble, appuyé sur sa voiture, suivant mes instructions envoyées hier après le restaurant. Lorsque je monte dans le véhicule, qui prend la direction de mon petit appartement beaucoup moins huppé que celui de mon partenaire de chambre, je suis encore perturbée par les souvenirs indésirables de Tristan survenus pendant mes ébats avec Lukas. Je suis comblée sexuellement par cette nuit torride, mais quelque chose me tracasse. Ces images furtives… Ce n’est pas le premier homme avec qui je couche depuis ma séparation avec Tristan, pour autant ce genre de chose ne m’était encore jamais arrivé…
« - Tout va bien, mademoiselle ? me demande Igor, me sortant de mes pensées.
- Oui, oui, merci !
- Il n’était pas à votre goût cette fois ?
- Hein ?! Qui ça ??
- L’homme de cette nuit.
- Ah ! Euh… Si si ! C’était même très bien !
- Bien… Vous semblez pourtant troublée… Il s’est passé quelque chose ? s’avance mon chauffeur avec bienveillance.
- Oui, euh, non, enfin… C’est… C’est personnel, c’est tout !! je finis par m’offusquer, soudain contrariée par sa curiosité.
- Veuillez m’excuser, mademoiselle » s’excuse-t-il avant de se murer dans le silence jusqu’à la fin du trajet.
Je crois que je me suis un peu trop braquée… Il faudra que je m’excuse.
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Après un passage éclair chez moi pour prendre une douche et me changer, comme après chaque rendez-vous d’un soir, nous reprenons la route vers les locaux de ma société.
A mon arrivée, je retrouve Esther en train de boire son cappuccino tout juste sorti de la machine à café.
« - Salut ! me lance-t-elle gaiement, après s’être brûlé la langue avec son breuvage bouillant.
- Salut beauté ! je lui réponds avec enthousiasme, avançant avec assurance jusqu’à la machine pour y insérer à mon tour une pièce et sélectionner ma boisson, le regard pétillant et le sourire jusqu’aux oreilles.
- Houuuu ! Mais dis-moi, tu es d’humeur joviale ce matin, à ce que je vois ! Qu’est-ce qui te donne bonne mine comme ça ?
- Hummm, je ne sais pas… je feins de réfléchir avec un petit sourire malicieux. Peut-être une soirée intime fort sympathique ?
- Mais naaan !! Alors ça y est ?! Tu l’as fait ?? Tu t’es tapée…
- CHUUT ! je le coupe précipitamment, l’index sur la bouche, scrutant les alentours pour vérifier que personne ne nous ait entendu. T’es folle ! Cries-le sur tous les toits aussi, tant que tu y es !
- Ah oui, pardon ! s’excuse-t-elle d’un air gêné. Mais… C’est vrai ? Vous avez…
- Oui, on l’a fait oui, je lui confirme quand même, un sourire victorieux aux lèvres.
- Et alors ??
- « Et alors » quoi ? Tu viens de dire toi-même que j’avais bonne mine, je lui réponds en levant les yeux au ciel avec un sourire en coin équivoque.
- Hoouuuuu ! s’exclame-t-elle en frappant vivement dans ses mains. Comme c’est excitant ! Tu vas le revoir ?
- Je ne sais pas encore. On a passé un excellent moment, je l’avoue, mais…
- Ah… Il y a un « mais » … Il y a quelque chose qui ne va pas ? Il t’a déçu ?? s’interroge-t-elle, d’un air soupçonneux.
- Non non, absolument pas ! C’était un très bon coup, au contraire ! Non, c’est juste que…
- Je vois… C’est juste que tu ne veux pas qu’il s’accroche, c’est ça ?
- Voilà… je lui réponds avec une petite moue confuse et légèrement renfrognée.
- Tu as été claire avec lui ? me demande-t-elle très sérieusement.
- Evidemment ! Dès le départ, oui.
- Et à l’évidence, il a accepté les termes du contrat ?
- A l’évidence, oui…
- Bon eh bien, il est où le problème alors ?
- Il peut très bien accepter les conditions au départ et s’attacher par la suite, tu le sais très bien ! Ce n’est pas comme si ça ne m’était jamais arrivé en plus…
- Oui mais bon… Si c’était un bon coup… Alors pourquoi te priver d’un second round ?
- Ha ha ! J’avoue que ce serait vraiment très tentant ! »
Nous gloussons comme deux gamines de quinze ans en prenant le chemin de nos bureaux, toutes deux complices, lorsque je me retrouve nez à nez avec Tristan dans le couloir. Surprises, nous stoppons net nos ricanements, pour le saluer poliment et changer rapidement de sujet.
***
Il a tout entendu.
Lorsqu’il est arrivé dans le couloir, il a perçu au loin des bavardages au niveau de la machine à café. En se concentrant un peu, il a vite reconnu la voix délicate et sensuelle de Lola. Aussi, il s’est avancé pour la rejoindre avec entrain.
Mais lorsqu’il se trouvait à bonne hauteur et que les sons lui sont parvenus plus distinctement, il s’est brusquement rendu compte qu’elle semblait parler de sa vie privée. Il a alors décidé de rester cacher et d’écouter un petit peu, comme un voleur. Et ce qu’il a entendu ne lui plait pas du tout…
Il a vite compris qu’elle avait passé la nuit avec un autre homme, et que leur relation ne s’est visiblement pas limitée à quelques conversations platoniques. Son cœur s’emballe. Il l’imagine jouissant sous les baisers et les va-et-vients dans les bras d’un autre, prenant son pied comme jamais. Il imagine les mains de cet homme caressant la peau si douce de cette femme qu’il désire tant, sa bouche parcourant son corps si parfait. Et soudain, un vent de jalousie profonde s’empare de lui. Sa mâchoire se crispe, son souffle se saccade. Il fulmine.
Lorsqu’elle passe le coin du couloir en compagnie de sa collègue et qu’il se retrouve face à elle, il n’a plus aucune envie d’être aimable.
***
Je ne sais pas trop ce qu’il a, mais Tristan ne m’adresse quasiment pas la parole ce matin. Il semble contrarié, et je n’ai aucune idée de ce qui peut bien le mettre dans cet état. Par moment, je sens qu’il me lance des coups d’œil mauvais, comme s’il m’en voulait pour je ne sais quelle raison, mais détourne aussitôt les yeux dès que je croise son regard.
Aurait-il deviné ? Sent-il mon euphorie sexuelle encore bien présente après cette nuit ardente ? Un peu mal à l’aise à cette idée, je préfère ne pas envenimer les choses, et ne souhaite en aucun cas évoquer le sujet avec lui. La matinée se passe donc avec une certaine tension entre lui et moi.
A midi, il prend toutefois l’initiative pendant notre déjeuner au restaurant de son hôtel, et finit par poser la question fatidique.
« - Tu as passé une bonne soirée hier soir ?
- Hein ?! Euh… Oui, excellente, merci, je réponds, prise au dépourvu.
- Qu’as-tu fait, exactement ?
- Je ne crois pas que cela te regarde…
- Hm ! Je vois…
- Mais je n’étais pas seule, si tu veux tout savoir, je finis tout de même par avouer, scrutant sa réaction.
- Ah… »
Il se renfrogne aussitôt, fronçant les sourcils.
« - Parfait… ajoute-t-il la mâchoire crispée. J’espère que tu as pris du bon temps dans ce cas…
- En effet, oui, je lui réponds avec un petit sourire en coin satisfait, me souvenant de mes ébats torrides de la veille.
- Je le connais ? »
Sa question me surprend et me fait doucement rire. Je le fixe alors, les yeux grands ouverts, avec un air provocateur.
« - Qu’est-ce que cela peut bien te faire ?
- C’était une simple question…
- Une simple question ?? Je ne crois pas, non !
- C’est lui, n’est-ce pas ?
- Qui ça ?
- Lukas Friedrich. »
J’en ai le souffle coupé. Comment sait-il ? Je reste sans voix, ne sachant que répondre, mais mon silence équivaut à un aveu.
« - Je m’en doutais… continue-t-il, visiblement de plus en plus contrarié.
- Je ne vois toujours pas en quoi cela te concerne, je réussi finalement à rétorquer, tentant bizarrement de me défendre.
- Cela ne me concerne pas, tu as raison… » souffle-t-il, avant de reprendre une bouchée de son assiette en silence.
Je me sens soudain mal à l’aise, comme si j’avais effectivement quelque chose à me reprocher. Comme si j’avais commis une faute impardonnable à mon tour. Mais merde ! Je ne devrais même pas avoir à me justifier après tout ! M’a-t-il demandé mon avis avant de coucher avec ses pimbêches américaines, lui ? Je ne crois pas !
Nous n’avons cependant plus abordé le sujet, et la fin de la journée se déroula avec une tension encore un peu plus pesante qu’auparavant.
Je n’ai pas encore revu Lukas depuis notre nuit endiablée. Mais nous sommes restés en contact et je compte le revoir quand même, car il ne semble pas dévier des conditions que je lui avais imposé la première fois. Il reste docilement dans le cadre d’une relation purement sexuelle, et ne cherche pas à devenir trop entreprenant ni envahissant. Cependant, je ne sais pour quelle obscure raison, je n’arrive pas à lui redonner rendez-vous pour un second round. Serait-ce à cause de l’air contrarié de Tristan lorsqu’il a compris ? Ou la peur que mes flashbacks reviennent à nouveau pendant mes ébats avec Lukas ? Tout ceci est ridicule… Et puis, après tout, je fais ce que je veux, n’en déplaise à mon ex !
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