Chapitre 28 - Promenons-nous Dans les Bois

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Le lendemain, mon beau-père a organisé une battue, car les bois environnants la demeure commencent à être un peu trop habités et envahissant. Il a invité des amis chasseurs à se joindre à nous, et Tristan par la même occasion. Vêtue de ma veste à poches sans manches et de mes bottes Aigle, je sers de rabatteuse en sa compagnie. Et cela me rappelle une nouvelle fois nos années passées, à gambader ensemble dans les forêts et les prairies verdoyantes, libres et insouciants. Il semble cependant un peu perdu aujourd’hui, comme s’il ne se souvenait plus des gestes à adopter, des astuces pour ne pas tomber, titubant dans ses bottes en caoutchouc qui collent ou glissent sur la terre argileuse. On dirait même un canard boiteux qui tricote avec ses pattes !

Et soudain, au détour d’un bosquet, il trébuche sur un barbelé et s’étale de tout son long dans le champ d’à côté. Hilare, je pouffe de rire.

« - Ce n’est pas drôle… ronchonne-t-il en se redressant tant bien que mal.

- Moi je trouve ça très drôle, au contraire ! je ricane, lui tendant la main pour l’aider à se relever tout de même. Aurais-tu perdu la main, mon cher Tristan ??

- Gnagnagna… grogne-t-il en s’époussetant et frottant ses mains désormais pleines de terre. Eh bien, figures-toi… Que je n’ai effectivement pas eu beaucoup l’occasion de participer à ce genre d’activité aux States…

- Ah oui, Môssieur est trop précieux maintenant pour vagabonder ainsi dans la boue, je grommelle les mains sur les hanches, légèrement agacée par son arrogance.

- C’n’est pas ce que j’ai dit… soupire-t-il. Je dis juste qu’ils ne chassent pas beaucoup là-bas… Et encore moins les gens de… Euh…

- Du Grand Monde, oui j’ai compris » je le coupe rapidement, chiffonné.

Il me regarde d’un air penaud, presque désolé.

« - Mais du coup, je reprends, de nouveau d’humeur taquine. Tu as perdu l’habitude de crapahuter dans la nature, on dirait ! On fait moins le fier là, hein !?

- Ah bah oui, ça, ça te fait marrer… »

Effectivement, cela me fait bien rire !

Et je continue de glousser, me moquant ouvertement de lui d’un air provocateur.

« - Rigoles, vas ! ajoute-t-il avec un sourire amusé, commençant lui aussi à rire de la situation. Mais je paris que je peux encore dégotter une proie plus vite que toi !

- Alors ça, c’est ce qu’on va voir ! »

Et de nouveau, la compétition entre nous est lancée ! Comme au bon vieux temps…

La journée de chasse se passe à merveille, et nous ne rentrons pas bredouille. Tristan a donné de sa personne pour gagner le pari, et c’est tout crotté de la tête aux pieds qu’il s’avance avec moi vers la bande d’amis, qui nous attendent le fusil à l’épaule et un verre à la main.

Lorsqu’ils l’aperçoivent ainsi souillé, tous se mettent à rire de bon cœur avant de le taquiner gentiment.

« - Bah alors, gamin ?! T’es tombé dans une crevasse ou bien ?? Les bains de boue, c’est bon pour la peau, mais tout de même !! Ha ha !! »

Il grimace et rit jaune, avant de prendre le verre tendu par Christian, qui lui sourit avec un regard presque paternel. Je remarque que Tristan cherche mon regard d’un air embarrassé. Je ris doucement, amusée de le voir si penaud. Il semble subitement fragile et vulnérable, perdant de sa prestance et de son arrogance face à cette situation qu’il ne maitrise pas totalement. Mais il reste humble, et c’est tout à son honneur. Prenant un gobelet à mon tour, je l’observe, et je ne peux m’empêcher d’être attendrie par cet homme qui me parait alors beaucoup moins sûr de lui, redevenant ce gamin de seize ans un peu mal dans sa peau.

***

Il n’est pas des plus à l’aise dans ce rôle.

Pourtant, autrefois, c’est avec elle qu’il parcourait les prairies avec entrain, filant tous deux tels des lièvres à travers champs avant de roucouler dans les herbes hautes. Mais ça, c’était il y a longtemps. Et la chasse n’a jamais vraiment été son truc, de toute manière.

Cela dit, ce moment en tête-à-tête avec elle lui a fait le plus grand bien. Et à elle aussi, il a l’impression. Elle s’est bien foutue de lui, mais leur complicité est toujours aussi évidente. Et il ne sait trop comment elle peut paraitre encore aussi sexy dans cet accoutrement…

Lorsque les autres ont ri de lui, il s’est senti ridicule, rabaissé. Il a pris un coup dans son orgueil, qu’il a pourtant mis plusieurs années à construire. Il sait bien que cela n’était pas méchant, mais il s’est retrouvé de nouveau face à ce père autoritaire qui n’a jamais eu confiance en lui, et il a perdu ses moyens, comme autrefois. Mais le sourire si joli de sa belle l’a réconforté, même s’il était lui aussi moqueur. Elle ne semble pas vouloir l’enfoncer ni le mettre mal à l’aise, et cela le rassure. Il voit même dans son regard une lueur de tendresse et de compassion à son égard. Et lorsqu’elle le regarde ainsi, son manque de maitrise et de contrôle lui semble subitement beaucoup moins lourd à porter. Il s’est senti soutenu. Une première depuis qu’il a quitté la France…

***

Ce soir-là, après un repas digne des rois grâce au gibier du jour, Tristan chantonne gaiement un refrain en duo avec ma mère dans la cuisine, les mains dans l’eau de la vaisselle – Oui, oui ! Dans la vaisselle !

Je souris de bonheur et de bien-être en observant les étoiles depuis la terrasse. Je me sens sereine. Ce week-end est plus plaisant et convivial que je ne l’aurais pensé, finalement.

Christian me rejoint, me tendant une tasse de mon thé préféré qu’il m’a préparé avec amour. Je le remercie et souffle délicatement sur le breuvage fumant, mes deux mains entourant le gobelet pour me réchauffer. Des sons de plus en plus enivrés s’échappent de l’intérieur de la bâtisse, et mon beau-père et moi rions doucement, complices, en les entendant ainsi s’amuser, probablement un peu saoulés par le vin du repas.

« - C’est un garçon charmant, me murmure-t-il alors.

- Oui… je réponds simplement en souriant doucement. Maman l’a toujours beaucoup aimé.

- Je l’aime bien aussi. Et je vous trouve parfaitement assortis, ajoute-t-il après avoir bu une gorgée de son propre thé.

- Oh pitié ! Pas toi… je m’offusque légèrement en soupirant.

- Tu sais, continue Christian, après un instant de contemplation astral à mes côtés. Ta mère m’a expliqué ce qu’il s’est passé entre vous deux, et je comprends ton amertume à son égard. Mais… Parfois… La vie nous offre une seconde chance…

- Ce n’est pas aussi simple… je lui souffle, subitement attristée.

- On fait tous des erreurs… Et je sais de quoi je parle ! On ne peut pas changer le passé, certes, mais on peut agir sur le présent pour reconstruire l’avenir. Or, je n’ai pas l’impression qu’il souhaite refaire la même bêtise. Et puis… Tu as le droit d’être heureuse à nouveau. Avec lui, peut-être encore ? »

Je reste muette, soudain plongée dans les pensées qui s’agitent à nouveau comme une tornade dans ma tête, déstabilisée par ses propos.

« - Et je ne te dirais pas cela si je ne pensais pas qu’il te mérite vraiment, petite Lola. » ajoute-t-il avec un petit sourire délicat.

Je ne sais que répondre à ce discours très humble mais sage et attendrissant. Alors je le regarde simplement, les yeux pleins d’émotion, soudain totalement perdue et désemparée.

Il me sourit tendrement, replace une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis me caresse délicatement la joue et dépose un doux baiser sur mon front, avant de s’éloigner, me laissant seule avec mes pensées devant l’immensité majestueuse de la voie lactée.

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