Chapitre 40 - Manœuvre d'Evitement
J’arrive au bureau la première. Les locaux sont encore déserts, et le silence qui y règne m’apaise un peu. Je salue la femme de ménage qui s’en va, et je m’arrête à la machine à café, comme chaque matin, pour me prendre un café corsé qui me fera le plus grand bien, essayant encore de remettre de l’ordre dans mes pensées. Devant l’appareil qui a déjà sorti ma boisson depuis plusieurs minutes, je reste prostrée, le regard dans le vide.
Soudain une voix me ramène à la réalité dans un bond.
« - Bah… Lola ?! s’exclame Esther, stupéfaite. Mais qu’est-ce que tu fais déjà là ??
- Hein ?! Euh… Je…
- Tu es tombée de ton lit ? » me demande-t-elle en riant.
En voyant ma tête de zombie, complètement paumée et affligée, elle se ravise aussitôt.
« - Oula… Quelque chose ne va pas ??
- Si… Enfin, non… Enfin…
- Euuuh… Tu es sûre que ça va, toi ??
- Pas vraiment… »
Mais avant que je n’aie le temps de lui en dire plus, Nassim débarque dans le hall, tonitruant.
« - Hello les meufs !!! Regardez qui a une de ses photos en première page !! »
Il brandit une revue financière que je commence à connaitre, et le visage de mon amant de cette nuit apparaît devant mes yeux encore embués de mes doutes.
« - HUM ! je toussote fortement en déviant précipitamment mon regard du magazine. C’est super, ça, Nassim. Tu m’excuseras, je n’ai pas trop le temps de m’extasier dessus, j’ai pas mal de travail qui m’attend aujourd’hui, j’ajoute en attrapant mon gobelet à la volée.
- C’est pour ça que tu es là si tôt ? m’interroge Esther, confuse et interloquée.
- Oui voilà, c’est pour ça… Exactement… Bon, bah… J’y vais. Allez ! A plus les amis ! »
Et je quitte mes deux compères, plantés comme des piquets, qui me regardent m’éloigner d’un air incrédule.
***
Lorsqu’il arrive dans le bâtiment, elle est déjà là. Et depuis un moment à priori. Son gobelet de café est déjà vide, posé sur son bureau, et elle pianote frénétiquement sur son clavier d’un air renfrogné.
Quand il s’est réveillé ce matin, elle n’était plus dans le lit à ses côtés. Surpris et désappointé, il l’a cherché quelques temps, puis il s’est rendu à l’évidence : elle s’était enfuie, avec pour seule explication ses clefs d’appartement restées sur la table du salon.
Il ne comprend pas. Aurait-elle été déçue ? Ce n’est pourtant pas ce qu’il a ressenti quand elle jouissait de plaisir sous ses coups de reins. Il a bien senti cette osmose toujours présente entre eux. C’était même encore plus intense qu’avant ! Il a retrouvé la douceur de sa peau qu’il effleurait avec délice, l’excitation irrépressible lorsque ses doigts suivaient ses formes parfaites, l’extase de la pénétration… Jusqu’à atteindre l’orgasme ultime, lui comme elle. Elle est tellement sexy, attirante, désirable. Et elle se débrouille encore mieux désormais, avec l’expérience il suppose. Elle a su attiser son désir avec beaucoup d’assurance.
Il est persuadé que ces sensations qu’il a éprouvées étaient partagées. Il l’a vu dans ses yeux pendant qu’il lui faisait l’amour. Il sait qu’elle est aujourd’hui plus difficile à charmer, qu’elle a plus de caractère, et qu’elle ne se serait jamais laisser faire si elle n’en avait pas vraiment eu envie, elle aussi.
Il ne voit donc qu’une seule autre explication à sa fuite : Elle regrette.
Il lui faut des explications. Après une nuit aussi chaude, ils ne peuvent pas en rester là.
***
« - Bonjour » me lance une petite voix dans l’encadrement de la porte.
Oh purée ! C’est lui ! Et merde…
- B’jour, je grogne comme simple réponse, me replongeant aussitôt dans mes activités informatiques, évitant soigneusement son regard qui me rappelle au souvenir de nos ébats.
- Je croyais te trouver à mes côtés au réveil ce… commence-t-il timidement.
- Excuses-moi, je le coupe rapidement en me levant d’un bond. Je dois… Aller faire quelques photocopies. Je reviens. »
J’attrape à la volée une pile de papier dont je ne connais absolument pas le contenu mais qui fera office d’excuse, avant de partir précipitamment du bureau.
Dans le couloir, je souffle de soulagement. Je n’ai pas du tout envie de m’attarder sur le sujet de nos ébats de la veille. A vrai dire, je ne saurais comment justifier mon attitude. Je suis encore complètement perdue, je ne sais pas ce que je veux, ni ce que j’attends de notre relation ensuite. Tout ce que je sais, c’est que cette nuit torride était probablement une grosse erreur – mais tellement agréable.
Peu de temps après, lorsque je reviens en espérant intérieurement qu’il ait compris – ce qui est fort peu probable, admettons-le – je le retrouve au même endroit que je l’ai laissé. J’inspire profondément et reviens à mon bureau, l’air de rien.
Je m’aperçois alors que ma pile de paperasses n’est pas forcément beaucoup plus importante que lorsque je suis partie soi-disant faire des photocopies. Tant pis.
« - Lola… retente-t-il une nouvelle fois. Il faut qu’on parle…
- Ah ! Tiens ! je m’exclame en faisant mine de découvrir quelque chose sur mon écran d’ordinateur. J’avais oublié que je devais faire signer un document à Eric. Je n’en ai pas pour longtemps, ne t’inquiètes pas. »
Et je m’éclipse à nouveau. Je sens qu’il me suit de son regard insistant dans mon dos. Aussi, je me dirige tout de même vers le bureau de mon patron. Je trouverai bien une excuse une fois sur place.
J’entre rapidement dans le local après avoir vaguement toqué à sa porte. Eric me regarde d’un air ébahi.
« - Oui ? me demande-t-il alors, surpris par ma présence.
- Ah ! Euh… Bonjour Eric. Euh… Ça va ?
- Euh… Oui, merci, me répond-il un peu interloqué. Et toi ? Est-ce que ça va ??
- Oui, oui… »
Je reste plantée au milieu de la pièce, cherchant désespérément une excuse valable à ma visite. Mon boss me regarde, confus, puis fronce les sourcils avant de se redresser dans son fauteuil.
« - Bon. S’enquière-t-il. Tu vas me dire ce qui te tracasse ou je vais devoir te tirer les vers du nez moi-même ?
- Je… Heum…
- C’est Tristan ? »
Un sursaut de surprise me fait tressaillir. J’en reste muette.
« - Je vois… continue-t-il, visiblement contrarié. Nadine m’avait prévenu… Vous avez recouché ensemble, c’est ça ? »
Décontenancée, j’ouvre la bouche de stupeur, cherchant mes mots en le fixant avec effroi, paniquée à l’idée qu’il sache pour cette nuit.
« - Je m’en doutais… soupire-t-il. Écoutes, Lola. Tu es grande, majeure et vaccinée. Et je me fiche de ce que vous faites de votre vie privée, tant que cela n’influence pas ton travail. En revanche, je refuse de te voir souffrir à nouveau. Donc, si tu estimes qu’il est mieux pour toi qu’il parte, je ferais en sorte qu’il retourne en Amérique le plus rapidement possible. - Cependant… continue-t-il alors devant ma mine déconfite, en me fixant d’un air soupçonneux. Si tu penses que c’est lui, l’homme de ta vie… Il serait peut-être temps que tu tires un trait sur le passé une bonne fois pour toute, ma belle. Et que tu penses simplement à ton bonheur. Enfin… Si c’est effectivement lui que tu estimes digne de toi, évidemment… »
***
Elle l’évite, c’est une certitude.
Il la regarde s’éclipser du bureau en hâte, et fourre ses mains dans ses poches pour réfléchir. Comment faire pour arriver à lui parler ?
Soudain, il s’aperçoit que Esther était également dans le couloir, et qu’elle a vu elle aussi Lola sortir à la hâte, la regardant s’éloigner d’un air interrogateur. Il se précipite à sa rencontre.
« - Esther ! l’interpelle-t-il
- Oh ! Bonjour Tristan ! Ça va ?
- Euh… Oui. Bien, merci ! Dis-moi, tu as parlé à Lola ce matin ?
- Euh… vaguement.
- Elle m’a semblé… Enfin… Elle n’a pas l’air dans son assiette, tu ne trouves pas ?
- Oui, en effet, je confirme… Il s’est passé quelque chose ?
- Euh… »
Elle le fixe avec insistance, lève un sourcil en attendant la suite qui ne vient pas.
« - OK, donc là, soit tu en as trop dit, soit pas assez, lui balance-t-elle en croisant les bras de contrariété.
- Heum… C’est que…
- Il s’est passé un truc entre vous, c’est ça ??
- Eh bien… Je…
- Oh ça va, hein !!! Je ne suis pas stupide, je le vois bien qu’il y a un truc !! s’énerve-t-elle subitement. Tu la dévores littéralement des yeux depuis ton arrivée ! Et je suis au courant pour votre passé, de toute façon. Alors, tu peux me le dire s’il s’est passé quelque chose, tu sais. »
Abasourdi par ces propos, il reste muet de surpris, fixant la jeune chargée de communication d’un air ahuri, la bouche grande ouverte.
« - Bon, alors ? insiste-t-elle, fière de son effet. Tu m’expliques ?
- Eh bien… commence-t-il en se frottant la nuque. Hier, On a… Euh… Passer la soirée ensemble, et ensuite euh…
- HHHaannn ! Ne me dis pas que… Vous… Vous avez couché ensemble ?? »
Il ne dit rien, les lèvres pincées, mais cela équivaut à un aveu.
« - Et ??? s’empresse-t-elle d’ajouter. Il est où le problème ??
- Bah je ne sais pas, justement !! Elle m’évite depuis ce matin… Je n’arrive pas à lui parler…
- Mmmmmm… Quelque chose doit la tracasser… réfléchit Esther à voix haute, en se frottant le menton, pensive.
- Je ne sais plus quoi faire, moi… Ça ne voulait donc rien dire pour elle, ce qu’il s’est passé cette nuit ?!
- Oh mon Dieu ! s’exclame-t-elle soudain avec enthousiasme. Mais oui, mais c’est bien sûr !!
- Quoi ??
- Elle t’aime, sombre idiot !!! C’est pour ça qu’elle est toute chamboulée !! Elle t’aime encore, et cela la dérange ! Elle qui avait juré de te détester jusqu’à la fin de sa vie ! »
***
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