Del 7

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Bättre tiga än illa tala.

 Non mais c’est pas vrai ! Quelle conne, celle-là ! Les gens comme ça, on a juste envie de les laisser se démerder avec leurs esprits. Je n’aurais même pas su dire pour quelle raison elle nous avait contacté si c’était pour nous faire chier comme ça.

 Et puis son truc des « gens normaux »... Je l’avais déjà entendu, l’excuse des gens normaux, à l’époque où les sales cons dans mon entourage se sont rendu compte que je préférais les mecs. Comme quoi c’est toujours une excuse de merde ! J’espère que les gens normaux sont pas tous des connasses comme toi, Karen ! Encore une qui se sent plus péter parce qu’elle devient grabataire. Quelle tourte, franchement…

 J’ai récupéré la mallette dans la voiture avant de rejoindre les deux dans le salon. Il y avait une grande table près du vaisselier ; j’y ai posé la mallette et l’ai ouverte. Madame conasse a regardé ce qu’il y avait dedans avec cet air débile, comme s’il allait y avoir de la bave de crapaud ou des organes humains dedans. Les gens normaux… Quelle connerie !

 Raphaël se tenait à côté de moi, sans doute en train d’attendre des instructions de ma part. J’ai donc décidé d’expliquer la situation, et tant pis si l’autre écoutait aussi. Pas comme si elle pouvait y comprendre grand-chose.

- Bon. Voilà la situation : on a un esprit qui n’est apparu qu’à une seule occasion. Vous confirmez, madame Marcili ?

- C’est ce que je vous ai dit, oui.

- Donc, si vous ne l’aviez jamais vu avant et que vous ne l’avez pas revu depuis, le plus probable, c’est que c’est un esprit qu’on appelle « évènementiel ». Ils n’apparaissent qu’à certaines occasions, soit quand des conditions particulières sont réunies, soit à des dates précises. Est-ce qu’il y avait quelque chose de spécial, le jour où vous avez vu votre fantôme ?

- Qu’est-ce que vous entendez par là ?

 Elle le fait exprès ou elle est vraiment conne ?

- Une date importante ! Un anniversaire, un moment important pour un de vos proches, une fête ? Quelque chose de famille ?

- Qu’est-ce que ma famille a à voir avec tout ça ?

 Mais devine, débile ! Tu crois qu’il sort de ton cul, le fantôme ? Heureusement pour l’autre tourte, Raphaël a pris le relai.

- Voyez-vous, madame, il est très probable que le fantôme que vous avez vu soit un proche. Ce pourrait être un ou une amie, un membre de votre famille… Est-ce que quelqu’un est mort récemment dans votre entourage ?

- Je n’aime pas beaucoup toutes ces questions…

- Nous faisons notre possible pour vous aider, mais pour cela, nous avons besoin d’informations » lui a répondu Raphaël.

- Et pourquoi est-ce que ces questions n’ont pas été posées avant ? Je n’aime pas beaucoup cet interrogatoire soudain. Je vous ai contacté la semaine dernière, il me semble !

 Aïe…

 Raphaël s’est tourné vers moi, attendant sans doute lui aussi la réponse.

 Je ne pouvais décemment pas leur dire que j’avais juste procrastiné toute la semaine, d’autant plus que madame Marcili se serait montré encore plus chiante si elle l’apprenait. Improviser…

- Nous n’avons pas jugé que votre cas demandait une préparation préalable. Nous sommes beaucoup sollicités, et il nous faut parfois trier les cas en fonction de leur gravité.

 Madame Marcili n'a pas eu l’air spécialement convaincue, mais je n'en avait rien à battre : j'avais réussi à la faire fermer sa gueule. De son côté, Raphaël a haussé le sourcil, attendant sans doute que l'on soit seuls pour me faire une remarque. Il y aurait pu avoir un silence gênant mais, j’avais fini de sortir mon matos. Par contre, j'avais encore besoin que madame Conasse crachât le morceau

- Bon. Je suis prêt à appeler l’esprit, mais je n’ai pas encore assez d’informations pour que ce soit pertinent. » J’ai décidé d’enfoncer un peu plus le clou. « Finalement, l’affaire est peut-être plus compliquée que ce que je pensais, mais pas à cause de l’esprit.

 Madame Marcili s’est soudainement empourprée, et sûrement pas de honte. J’ai cru un instant qu’elle allait nous virer de chez elle en gueulant, mais en fait non. Elle a pris une grande inspiration avant de répondre de sa voix a plus sèche.

- Personne n’est mort dans mon entourage depuis plusieurs mois. D’autres questions ?

- Est-ce qu’il s’est passé quelque chose d’étrange le jour où l’esprit est apparu ?

- Non. Comme je vous l’ai dit, j’étais simplement allé acheter du pain. A moins que ce ne soit compté comme un évènement exceptionnel.

- Normalement non…

- Ce sera tout ou vous avez encore des choses à me demander ?

- J’aurais encore une question » est intervenu Raphaël. « Vous habitez ici depuis longtemps ?

- J’ai déménagé ici en septembre dernier. Avant, j’habitais Lilles.

 Suite à la question de Raphaël, j’ai regardé un peu plus le salon. Il était vrai que le papier-peint était récent, que certains meubles semblaient neufs, et qu’en y réfléchissant bien, le jardin était assez mal entretenu. Autant de détails qui laissaient penser que la maison avait été longtemps innocupée... à condition de relier les points. Il restait à savoir si Raphaël était effectivement observateur ou si ce n'était qu'un coup de pot.

- Bien » ai-je conclus. « Il me semble que c’est bon. Je vais pouvoir appeler l’esprit.

 Nous nous sommes tous les trois réunis autour de la table sur laquelle j’avais déposé les objets adéquats.

- J’ai ouvert le calendrier à la date de votre rencontre avec l’esprit dans le cas où ça représenterait quelque chose pour lui. Vous nous avez parlé de chiffres, alors j’ai placé différents instruments qui permettraient à l'esprit de les communiquer : papier et crayon, jeu de carte, calculatrice, dés… Je vais allumer la bougie à l’essence de jusquiame [1] qui aidera l’esprit à trouver substance, puis je vais essayer d’inviter l’esprit dans mon corps dans le cas où il souhaiterait dire quelque chose de plus que des chiffres. Je serai donc indisponible pour durée du rituel. Par conséquent, Raphaël, je te charge de sonner cette cloche toutes les cinq secondes.

 Je lui ai tendu une chlésie [2] en cuivre et une baguette puis ai pris une chaise.

- C’est pour appeler les esprits » a-t-il expliqué à madame Marcili.

- Bien. Si tout le monde est prêt, nous allons pouvoir commencer. Le rituel peut durer plusieurs dizaines de minutes, mais il ne faudra pas l’interrompre avant mon signal. Madame Marcili, vous pouvez rester dans la pièce, mais je vais vous demander de rester silencieuse. Gardez l’œil ouvert, par contre. Il se peut que vous voyiez plus que nous si l’esprit vous est familier. Raphaël, prêt ?

- Prêt.

- On peut y aller.

 J’ai commencé à réciter l’incantation de Cosine [3] pendant que Raphaël entamait l’appel de l’esprit par ses coups réguliers sur la chlésie. Ma vision s’est peu à peu obscurcie… Les tintements résonnaient de plus en plus fort dans mes oreilles jusqu’à en devenir assourdissants... L'intervale entre les coups croissait, comme si le temps s’allongeait... les présences de Raphaël et madame Marcili disparurent... le contact de la chaise commença à s'estomper peu à peu tandis que le son de la chlésie s'éloignait en s'étendant dans les graves... à un moment, je me suis rendu compte que je ne respirais plus… ou du moins que je ne m’en rendais plus compte… enfin, je me suis senti tomber dans le vide... l’esprit s’insinuait dans mon corps… c’était comme sauter du haut d'une falaise la nuit…

 D’un seul coup, la sensation de chute s’est arrêtée. La transe s’est rompue brutalement et je me suis retrouvé dans la chaise où je m’étais assis quelques instants auparavant… Quelques instants ? Combien de temps tout cela avait-il duré ? Le tintement de la chlésie m’a ramené à moi.

- Raphaël. Tu peux arrêter…

 Il a reposé l’instrument sur la table. J’ai essayé de regarder si quelque chose avait bougé, mais ma vision était encore troublée… La connexion avec l’esprit s’était mal passée.

- J’aurais besoin d’un résumé de ce qui s’est passé pendant que j’étais… ailleurs. Est-ce que l’esprit a laissé un message ?

- Oui. Au début, il ne se passait rien. Tu as bien eu quelques spasmes après cinq minutes, mais rien de concluant. Puis, à peu près sept minutes après le début du rituel, la calculatrice a commencé à afficher des chiffres.

- Ah, bien... De mon côté, j’ai pas réussi à recevoir l’esprit. Sa substance devait être trop faible…

- Vous reconnaissez ces chiffres, madame Marcili ? » a demandé Raphaël.

 Alors que ma vision s’améliorait, j’ai reconnu l’autre tourte se pencher pour prendre la calculatrice. J’ai eu un peu peur qu’elle nous l’éteigne sous le nez, mais elle s’est contentée de la reposer en haussant les épaules.

- C’est possible… Je ne sais plus. Je n’avais pas bien regardé la première fois.

 J’ai pris à mon tour la calculatrice. 729417. Pas une date… Un code, peut-être ? Un index ? Mais de quoi ?

- Et ça ne vous dit rien ?

- Rien du tout.

 Franchement, elle servait à rien à part nous casser les pieds.

 Raphaël a pris en note les chiffres, puis s’est mis à réfléchir de son côté. C’est sûr qu’on avait pas grand-chose comme matériau de base. Il ne semblait pas y avoir de lien entre madame Marcili et l’esprit, ou alors c’est que non seulement elle était conne, mais en plus elle avait du gruyère à la place de la mémoire. Mais dans le cas où l’esprit n’avait rien à voir avec cette gourde, c’est qu’il devait sans doute être connecté à la maison…

- Matthias ? » m’a interrompu Raphaël.

- Plait-il ?

- Je pense qu’il nous faudrait contacter les anciens propriétaires de cette maison.

 Bon. Visiblement, Raphaël avait bel et bien de l’instinct. Cool.

- Bien vu, beau… Raphaël. Je m’en charge.

[1] La jusquiame est une plante de la famille des solanacées, à l’instar de la tomate, du tabac et des pommes de terre. Deux espèces sont présentes en Europe : la jusquiame noire et la jusquiame blanche. Toutes deux sont toxiques.

Utilisée historiquement pour faire de la « magie noire », on l’appelait aussi herbe de Sainte Apolline.

[2] Une chlésie est une petite cloche gravée de runes dont le son attire les esprits. On en trouve facilement chez n’importe quel bon glyphiste.

[3] L’incantation de Cosine est un poème datant du VIème siècle d’auteur inconnu, mais destinée à une femme nommée Cosine. Il s’est révélé que la lecture ce poème permettait à une apparition de s’introduire dans le corps d’un humain encore en vie, et de supplanter sa conscience pendant au plus une heure.

Des légendes sont apparues autour de ce poème, racontant que la Cosine mentionnée dans le texte n’était autre que la femme de l’auteur, et qu’à sa mort, celui-ci s’est mis en quête d’un moyen de rappeler son aimée. L’incantation qu’il a alors composée lui aurait permis de d’échanger des messages avec sa défunte femme en lui cédant son corps.

Ceci n’est toutefois qu’une légende sans véritable fondement, et la genèse de l’incantation de Cosine reste mystérieuse.

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