Chapitre 5 : A la croisée des chemins (première partie)

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Durant trois jours, le voyage se déroule sans difficulté, mais plus lentement qu'en Rankir, car ni Olaf, ni les conseillers ne veulent séparer le convoi, même de quelques éléments, pour préparer les campements du soir. Ils s'arrêtent donc toujours un peu plus tôt en fin d'après-midi. La disposition de l'escorte n'a pas varié, Olaf est toujours à l'avant, Owen au milieu et Lorrek arrière. Craignant une intervention venant de Ménaru, ils ont d'ailleurs renforcé ces troupes. Les deux premiers jours, Kaïra n'est pas sortie, mais le troisième, elle décide de remonter à cheval. Voyager enfermée lui a certes permis de goûter à un peu de repos, mais elle ressent aussi le besoin d'être au grand air. Une grande discussion a lieu à ce propos entre Olaf, Hilayna et la jeune souveraine. Malgré les avis contraires de ses deux interlocuteurs, Kaïra obtient de voyager à cheval, à condition que Limur et Owen ne soient pas loin d'elle. Retrouver le jeune Gardien comme compagnon de voyage réjouit la jeune fille, mais elle n'en laisse rien paraître.

Le convoi est prêt à s'ébranler sans retard ce matin-là, et alors qu'il prépare Ingir, Owen entend un jeune palefrenier s'agacer non loin de lui. Intrigué, il s'approche et le voit aux prises avec le harnachement du cheval de la reine.

- Vous avez un souci ? s'enquiert-il.

- Ah, Maître Owen. Oui... Je n'arrive pas à fixer ces rênes...

Le jeune homme regarde les longes de cuir avec attention, remarque que l'une est distendue.

- Il faut la changer. Allez chercher d'autres rênes, celles-là sont fatiguées.

Le palefrenier s'éloigne et il reste auprès de la belle jument. Elle est calme, c'est un animal endurant, plus docile qu'Ingir. Il la flatte un moment, vérifie avec soin les fixations de la selle. Depuis qu'ils ont quitté Ménaru, il craint une traîtrise, une attaque surprise. Les pressentiments qu'il percevait avant d'entrer dans la cité n'ont pas disparu, mais restent toujours imprécis. "S'éloigneront-ils lorsque nous aurons quitté les terres de Salarin ? La reine sera-t-elle en sécurité à Petimont ?"

Le palefrenier interrompt ses réflexions et il l'aide à finir de préparer la jument. Il quitte alors la partie du campement où ils ont fait paître les chevaux pour la nuit et se dirige vers la tente royale, tenant Ingir et la jument de la reine chacune par leur longe. Les deux animaux se connaissent maintenant bien et, parfois, Owen se demande si elles n'échangent pas leurs pensées, leurs impressions. Limur se trouve devant la tente, Hilayna en sort alors qu'Owen s'approche.

- Ah, Maître Owen, vous voilà. Oh, mais vous amenez aussi Sylmaria.

- Oui, Madame. Elle est prête pour la reine.

Entendant les voix au-dehors, Kaïra se prépare à sortir. Mais Hilayna la devance et revient vers elle avant que la jeune fille n'ait eu le temps de faire un pas vers le rideau tendu devant la porte.

- Majesté, Maître Owen vient d'amener votre cheval. Je désapprouve encore une fois que vous ayez décidé de voyager ainsi aujourd'hui. Il aurait été plus sage de rester dans le lit à porteurs.

- J'ai besoin de bouger et de prendre l'air, Dame Hilayna, nous en avons déjà parlé. Je ne veux pas revenir sur cette discussion. Au moindre danger, je vous ai promis de revenir à l'abri. Maintenant, allons, ne retardons pas nos gens qui doivent ranger et lever le camp.

Et elle sort très digne, le dos bien droit. Elle a retrouvé son maintien de reine et Hilayna doit bien reconnaître que les jours passant, la toute jeune souveraine s'affranchit de plus en plus de son autorité et de ses conseils. Si son cœur se serre en la voyant ainsi prendre de l'assurance, il se réjouit aussi car elle sait que la jeune femme aura besoin de toutes ses capacités pour assumer sa tâche, et ce qui l'attend à la réunion des Régnants est aussi une première mise à l'épreuve.

Si son visage reste fermé, sévère, le visage d'une reine, ses yeux trahissent la joie qu'elle a à remonter à cheval et à voir Owen près de la tente, attendant patiemment avec les deux juments.

- Bonjour, Maître Owen. Vous avez préparé Sylmaria ?

- En partie, oui. Votre palefrenier a rencontré quelques difficultés avec les rênes. Mais j'ai tout vérifié et votre cheval est prêt. Voulez-vous monter maintenant ? Nous ne sommes pas tout à fait prêts à partir. J'ai croisé Maître Olaf, il était encore en grande discussion avec le conseiller Lorrek et avec Maître Bosserin.

- Je vais attendre un peu, alors.

Un page lui apporte un fauteuil, et pendant qu'autour d'eux, on s'active à démonter le campement - ce qu'Owen juge relativement rapide compte tenu du nombre qu'ils sont et de l'importance de leur convoi -, la jeune souveraine engage la conversation.

- Que pensez-vous de notre parcours depuis que nous avons quitté Ménaru ? lui demande-t-elle.

- Une fausse impression de paix, répond-il. Nous devons rester sur nos gardes, mais comme l'avait fort justement relevé le prince Bramé, ceux qui se rendent à la réunion des Régnants ont libre passage en toute terre. Il ne serait pas bienvenu que vous rencontriez des difficultés en chemin, causées directement par le prince.

- Vous pensez alors que nous pourrions atteindre les frontières sans risque ?

- Je l'espère, mais... ce que j'espère peut être bien différent de la réalité. Et ce qui compte, c'est cette réalité.

Elle laisse son regard courir sur le campement, les derniers mots du jeune homme résonnant étrangement en elle.

**

Ils ont voyagé tout le jour à travers une grande plaine fertile. En début d'après-midi, à cause du temps chaud et sec, la reine a quitté son cheval pour se remettre à l'abri de son lit à porteurs. Ils voient les paysans travailler à travers les champs, traversent des villages plus ou moins déserts car hormis les malades, les vieillards et les tout jeunes enfants, tous sont occupés par les moissons et les récoltes. C'est lors d'un arrêt dans un de ces villages qu'un vieil homme au regard clair, aux beaux et longs cheveux blancs, s'avance pour leur parler. Il se dirige d'emblée vers Olaf.

- Vous êtes un Gardien des Origines, n'est-ce pas ?

- En effet, vieil homme, répond Olaf avec déférence.

- Est-ce vous qui menez ce convoi ?

- Oui, pourquoi ?

- Vous vous rendez en Petimont ?

- En effet, répond Olaf de plus en plus intrigué.

- Vous comptez traverser la forêt de Chenu ?

- C'est la route la plus directe.

- Quand vous aurez parcouru environ deux lieues dans la forêt, vous arriverez à un embranchement. La route la plus sûre est celle de gauche. Elle est un peu plus longue que l'autre, mais vous ne risquerez pas d'y croiser de brigands. Le prince Galiané l'a empruntée sans souci il y a une dizaine de jours. Elle est aussi beaucoup plus aisée à emprunter avec des voitures comme les vôtres.

- Bien, je vous remercie du conseil.

- C'est moi qui vous remercie, Maître, de faire étape chez nous. Avez-vous besoin de quelque chose ?

- Juste de reprendre de l'eau. Nous ne nous attarderons pas.

- Vous trouverez des sources abondantes et plusieurs petits ruisseaux à travers la forêt.

- Combien de temps faut-il pour la traverser ?

L'homme regarde le convoi, arrêté dans un champ en bordure du village.

- Je dirais approximativement deux à trois jours, car vous êtes nombreux. De simples cavaliers peuvent la traverser en moins de deux jours.

- Merci de vos indications.

Ils se saluent, Olaf retournant vers les siens sans remarquer le pli soucieux qui barre le front du vieil homme, pli qui s'efface bien vite alors qu'il regagne sa maison. A l'intérieur, un homme l'attend.

- Alors, tu leur as bien dit de prendre à gauche ?

- Oui, Maître.

- Parfait. Voilà la bourse pour te dédommager. Et pas un mot ! Sinon, je saurai qui a trahi le prince et je ferai couper la tête à toute ta descendance !

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