Chapitre 6 : L'heure du serpent (première partie)

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- Malgré tout le respect que je vous dois, Maître Olaf, cette suggestion est totalement... totalement... irréalisable !

La voix revêche de Dame Hilayna retentit sous la tente où le Conseil s'est réuni.

- Madame, je sais que cela peut vous paraître insensé, mais Maître Owen et moi-même avons ressenti une menace. Nous avons interrogé les Esprits. Je mène ce convoi. Et je peux vous assurer que la reine ne passera pas par le chemin de gauche !

- Maître Olaf, s'il vous plaît, expliquez-moi en détails la façon dont vous comptez vous organiser, intervient la reine avant qu'Hilayna ne reprenne la parole.

Cette dernière jette un regard sombre vers la jeune fille, retient ses paroles et se redresse encore plus dans son fauteuil, si tant est que cela lui soit possible car elle est déjà très raide. Olaf expose alors les détails de son projet. Limur plane près de la porte, écoutant avec attention. Un instant, son regard croise celui d'Owen, debout près de lui. Limur sait déjà qu'Olaf ne ment pas et que la reine court un réel danger. Lorsque le Gardien a terminé, Limur prend la parole le premier :

- Majesté, veuillez m'excuser, mais pendant que vous prendrez une décision à laquelle je me plierai, je pourrais survoler ce chemin que Maître Owen a parcouru hier soir. Je peux aller un peu plus loin que lui et être de retour rapidement. Si je remarque quelque chose, je pourrai vous le faire savoir.

- J'accepte votre proposition, répond Kaïra, pendant qu'Olaf hoche la tête en signe d'assentiment.

L'archer ailé quitte la tente et se dirige prestement vers le chemin qu'il parcourt depuis les airs, observant les alentours. Il se rend au-delà de la combe qu'Owen avait remarquée et au bord de laquelle il s'était arrêté. Pendant ce temps, sous la tente, les discussions se poursuivent. Par sagesse, Lorrek attend avant de donner son assentiment. Même si Limur ne va pas très loin dans son exploration, il pourra leur donner quelques éléments de réflexion supplémentaires. Mais Van'dal, lui, est très hésitant. Faire voyager la reine par l'autre chemin n'est pas ce qui le dérange le plus. Ce qu'il redoute, c'est qu'elle ne le fasse qu'avec une faible escorte. Mais il faut aussi assurer la sécurité du reste du convoi. Ils ne peuvent arriver sans un certain faste à la cour de Petimont, même si c'est une question un peu secondaire, il le reconnaît volontiers. La reine se tourne vers lui et lui demande son avis :

- Conseiller Van'dal, que dites-vous de tout cela ?

Olaf comme Owen comprennent qu'elle souhaite avoir les avis de ses proches avant de prendre sa décision. Mais pour Owen, les choses sont claires aussi : c'est elle qui aura le dernier mot, et ils devront tous s'y plier, même si elle refuse de partir avec lui. Si Van'dal est quelque peu réticent, il conclut cependant en rappelant que le plus important est sa sécurité et qu'il maintient sa confiance dans les deux Gardiens. C'est à la fin de son intervention que Limur fait son retour et confirme les dires d'Owen concernant l'étroitesse du chemin.

- Les chevaux passeront aisément, du moins pour ce que j'en ai vu. Je n'ai pas remarqué non plus de mouvements, de signes de passage... le début du chemin est sûr. Et le villageois a rappelé qu'il était un peu plus court.

- Et qu'à cheval, on peut traverser la forêt en deux jours. Trois avec un convoi comme le nôtre, rappelle Olaf.

- Pouvons-nous nous fier cependant aux dires de cet homme ? reprend Van'dal. S'il nous a menti concernant la sécurité, il a peut-être menti sur d'autres points...

- C'est possible. Mais je pense que ce vieil homme a surtout été abusé et menacé. Nous connaîtrons peut-être un jour la vérité, mais, pour l'heure, nous n'avons aucun moyen de l'apprendre. Et je ne vais pas renvoyer quiconque en arrière pour tenter de la découvrir ! dit Olaf.

Le silence ponctue ses derniers mots. Chacun attend désormais la décision de la reine. Son visage est grave, son regard est soucieux. Elle garde la tête légèrement baissée. Quand elle la redresse, c'est pour les regarder les uns après les autres et enfin prononcer quelques mots d'une voix posée qui ne tolère cependant aucune discussion :

- J'irai par le chemin de droite. Que l'on se prépare tous pour cela.

Puis elle se lève et chacun sort de la tente sans ajouter un mot, y compris Hilayna.

**

- Dame Hilayna, vous ne voulez vraiment pas venir avec nous ? s'inquiète la jeune souveraine.

- Vous savez que je suis incapable de voyager à cheval. J'irai avec le convoi. Le conseiller Van'dal lui aussi en fera partie. Mais le conseiller Lorrek vous accompagnera. Et Limur également.

- Soyez prudente... Je ne voudrais pas qu'il vous arrive le moindre mal !

- C'est à vous que je dois dire d'être prudente... J'espère... J'espère que nous ne faisons pas une erreur...

- Vous n'avez pas confiance dans les Gardiens ?

- Si. Si fait... Mais vous laisser aller, seule, de votre côté... avec si peu de monde pour vous protéger.

- Peu, peut-être, mais ce sont des hommes valeureux. Il ne m'arrivera rien. Je leur fais confiance. Allons, maintenant, il faut nous mettre en route sans tarder.

Elles sortent de la tente royale. Un peu à l'écart, plusieurs chevaux attendent, dont Sylmaria, la jument de la Reine. Tous ceux qui vont accompagner la jeune souveraine sont prêts. Owen tient les rênes de Sylmaria. D'un pas sûr, Kaïra se dirige vers eux. Hilayna, Van'dal et Olaf l'accompagnent. Elle monte à cheval, bientôt suivie de sa petite escorte. Olaf s'approche d'Owen.

- N'hésite pas... en cas de danger...

- N'aie crainte. Je serai prudent. Vous aussi, soyez sur vos gardes. Nous nous retrouverons de l'autre côté de la forêt.

Olaf s'écarte sans ajouter un mot de plus, saluant simplement la reine.

- Majesté, je vous confie à Maître Owen en toute assurance.

- Il m'a déjà prouvé sa valeur, Maître Olaf. Je n'ai pas peur pour moi, mais pour vous. C'est vous qui allez au devant du danger.

- Mais nous en sommes avertis, ce qui est bien différent de s'engager sans rien savoir. Nous veillerons particulièrement sur Dame Hilayna et sur votre suivante, Nuka. Vous les reverrez saines et sauves dans quelques jours.

- Merci, Maître Olaf. J'espère vous revoir tous. Allons, Maître Owen ?

- Nous sommes prêts.

Et il lève la main, donnant ainsi le signal du départ.

Ils s'engagent dans le chemin de droite qui se rétrécit bien vite, dans une atmosphère humide et encore lourde. L'orage a cessé, mais il pleut encore un peu. Owen mène la petite troupe, suivi de deux cavaliers solidement armés. La reine vient ensuite, avec ses trois suivantes. Sur elles veillent particulièrement Limur et deux archers Aériens qui l'accompagnent. Ils effectuent régulièrement des survols, vers la voûte des arbres et, parfois, légèrement au-dessus, pour observer la route devant eux. Mais Limur regarde aussi souvent, à cette occasion, vers la direction qu'a prise le reste du convoi. Enfin, en arrière-garde viennent quelques serviteurs avec le nécessaire en nourriture et tentes, ainsi que Lorrek et les derniers gardes. Olaf avait demandé à Bosserin de se joindre à la reine, mais celui-ci avait refusé, arguant que le grand convoi aurait plus besoin de ses services.

Ils arrivent rapidement au-dessus de la combe, la descente en est rendue un peu difficile par la pluie et un terrain glissant et, à cette occasion, Owen peut voir que Kaïra est une cavalière émérite, qu'elle maîtrise parfaitement sa monture. Dans le fond de la combe coule un ruisseau qui a grossi avec les orages, mais dont la traversée ne se révèle pas difficile. La montée sur l'autre versant est plus aisée, car la pente en est plus douce. Ils arrivent ensuite sur un terrain plus plat que Limur avait repéré le matin-même. Owen est resté particulièrement vigilant dans la combe, il garde bien à l'esprit l'avertissement reçu par l'Esprit de l'Eau. Toute rivière, toute source même, peut cacher un danger. Ils marquent un court arrêt pour se restaurer, dans une petite clairière. Un rayon de soleil vient percer la canopée alors qu'ils s'apprêtent à repartir. Kaïra sourit en le voyant, puis remonte sur Sylmaria. Ils avancent d'un bon pas, bien plus vite qu'avec les charriots, même en forêt et sur un chemin où il est parfois impossible à deux chevaux d'avancer de front. Owen ne perçoit aucune menace, mais ne relâche pas sa vigilance pour autant. De la forêt montent des pans de brume, l'air est plus agréable que les jours précédents, l'orage a fait du bien et, même s'ils sont inquiets pour leurs amis partis sur l'autre route, la tension se relâche et le voyage se déroule agréablement.

Ils ont déjà parcouru une belle distance, sans rencontrer âme qui vive, lorsqu'ils arrivent près d'une rivière assez large. Un gué grossier s'y dessine, mais le courant est vif. Limur s'éloigne pour voir s'il n'y a pas un passage plus aisé vers l'amont, un des autres archers descend vers l'aval, mais ils reviennent bredouilles.

- Maître Owen, c'est le seul gué que j'ai pu repérer aux alentours, dit Limur. Par contre, un peu plus haut, il y a une belle plage de sable où il serait aisé de camper ce soir. Avec la nuit, le courant peut diminuer.

- Je vais jeter un coup d'œil, restez ici, dit-il.

Il revient peu après. L'endroit semble sûr. Il se dit qu'il est déjà tard, qu'ils ont bien avancé. Il aurait préféré traverser la rivière ce soir, mais les visages fatigués de deux des suivantes l'incitent à choisir la solution proposée par Limur.

- Nous allons nous arrêter ici pour ce soir. Mais nous monterons le campement un peu à l'écart de la rivière, on ne sait jamais.

Tous s'activent à installer le petit camp, deux hommes s'acharnent à allumer un feu, car il est difficile de trouver du bois sec. Kaïra marche un peu autour du campement, sur la rive, sans s'éloigner. Elle aussi ressent la fatigue de la chevauchée et aimerait se détendre près de la rivière. Ils dînent rapidement, un des archers commence à raconter un voyage qu'il avait fait le long de la côte de Rankir, accompagné en cela par un Delphinien. Ce récit plaît à Owen et à Kaïra qui aime entendre ses proches raconter des histoires, parler de son peuple. C'est aussi ainsi qu'elle apprend à mieux les connaître.

- Nous avons bien avancé aujourd'hui, dit Limur. Ne nous couchons pas tard et, en repartant tôt demain matin, nous pouvons espérer atteindre l'orée de la forêt avant la nuit prochaine.

- J'espère que tout se passe bien pour les autres, dit la jeune reine d'un ton soucieux.

- Olaf sera d'autant plus attentif, et les autres aussi, qu'ils sont prévenus, Majesté, dit Owen d'un ton calme en la fixant avec douceur.

Elle hoche simplement la tête, soutient son regard pour y puiser un peu de réconfort. Le ton qu'il a employé et le calme qui se dégage de lui l'apaisent. Elle soupire :

- Vous avez raison, Limur, prenons du repos, maintenant.

Et elle s'éloigne vers la tente qui a été préparée pour elle et pour les trois jeunes filles qui l'accompagnent. Limur, Owen et Lorrek organisent alors un tour de veille. Le jeune Gardien est le premier à veiller avec deux soldats qu'il place l'un près de la rivière, l'autre vers la forêt. Lui-même va s'installer en direction du gué. Les chevaux se sont un peu éloignés, allant soit vers la rivière pour boire, soit vers les fourrés pour brouter de jeunes pousses sorties avec la pluie et l'orage.

Le cri d'un hibou réveille Kaïra. Il fait bien nuit. Elle tente de se rendormir, mais ne trouve pas le sommeil. Elle décide de sortir un peu, de faire quelques pas. Elle revêt son manteau de voyage, par dessus la tunique qu'elle porte pour la nuit. Ses cheveux sont tressés et soigneusement attachés dans son dos. Elle sort sans bruit, les trois jeunes filles qui l'accompagnent n'ont pas bougé, dormant profondément. Au campement, le feu brûle toujours, mais personne ne veille à proximité. Elle devine la silhouette d'un des soldats, près de la forêt. Elle ne voit Owen nulle part et se doute qu'il est encore très tôt, qu'il n'a pas passé le relais à Lorrek. Elle traverse le campement et fait quelques pas vers la rivière. L'autre soldat est assez loin, vers l'amont. Elle le voit bouger, mais posté sur des rochers, il met un peu de temps à redescendre vers elle. Quand le soldat relève la tête, la reine a disparu et un gros tourbillon bouillonne au cœur de la rivière.

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