Chapitre 8 (deuxième partie)
Alors qu'il se dirige vers la résidence de la reine, pour la suite des entretiens avec Wino et Daïna, Owen voit s'avancer vers lui une Gardienne. C'est Alana.
- Maître Owen ?
- Oui, Maîtresse Alana.
- Le Grand Maître te demande.
- Maintenant ?
- Oui. Peux-tu me suivre ?
- Je devais participer à des négociations entre le prince Wino, la princesse Daïna, la reine Kaïra et ses conseillers. Je vais prévenir Maître Olaf de mon absence. Il me remplacera.
- Je t'attends.
Owen trouve Olaf sans peine, en pleine discussion avec Limur. Il l'informe aussitôt de la demande du Grand Maître et Olaf s'empresse auprès de la reine. Mais avant de rentrer dans la résidence, il jette un œil en arrière et voit Owen s'éloigner aux côtés d'Alana. A nouveau son front se plisse et son cœur se serre. "Les décisions du Grand Maître sont les bonnes. Mais, parfois, qu'il est dur de s'y plier... Olaf, puisses-tu l'aider à partir..."
Puis il chasse ses pensées, reprend le contrôle de lui-même pour assurer la suite des négociations. Mais l'éclat de déception qu'il parvient à saisir dans les yeux de Kaïra quand il l'informe de l'absence d'Owen ne lui échappe pas et il se demande s'il n'est pas déjà trop tard. Mais le sourire de Kaïra le réconforte quelque peu : si elle est déçue de ne pas revoir le jeune Gardien, elle n'en demeure pas moins proche de lui, Olaf, et il sait qu'elle a confiance en lui. "S'il le faut, je l'aiderai elle aussi du mieux que je pourrai..."
Owen et Alana ont rapidement rejoint le palais royal où les attend le Grand Maître. Après l'avoir conduit jusqu'à lui, Alana s'efface, les laissant seuls. Owen salue respectueusement le Grand Maître qui l'invite à s'asseoir comme ils l'ont fait dans la clairière de l'Ile sacrée, face à face, en tailleur, sur un simple tapis qui couvre le sol dallé.
- Vous avez demandé à me voir, Grand Maître ? demande Owen.
- Oui, Owen. J'ai plusieurs choses à aborder avec toi, répond-il avec gravité.
- Je vous écoute, dit le jeune homme, intrigué.
Il a vu le Grand Maître plusieurs fois depuis leur arrivée à Altassaïr, mais c'est la première fois qu'il lui demande un tel entretien. Il se demande aussi ce qu'il peut lui vouloir. Lui et Olaf ont rendu compte de leur voyage. Il n'a rien omis, à part l'échange avec Kaïra. Depuis, ils n'ont pas rencontré de difficultés particulières. La réunion des Régnants se déroule tout à fait normalement de leur côté.
- Owen, tu as bien rempli la mission que je t'avais confiée, à savoir escorter la reine Kaïra et les siens jusqu'ici. Je n'ai rien à en redire.
Le jeune homme opine, un peu soulagé.
- Je voulais cependant reparler avec toi d'une chose. J'aimerais que tu fasses le vide en toi et que tu me reparles du sinuire. Il n'est pas normal qu'il se soit trouvé là.
- Je le sais. Cela nous a surpris, Maître Olaf et moi-même.
- Bien. Fais le vide et souviens-toi de tes impressions. Depuis le moment où vous êtes entrés dans la forêt.
Le jeune homme ferme les yeux, respire profondément plusieurs fois, fait revenir en lui les images, les souvenirs de cette partie de leur voyage. Et, les yeux toujours clos, il commence à raconter. Ce sentiment confus de menace qui émanait du chemin conseillé par le villageois, puis le voyage dans le monde des Esprits, avec Olaf. Il insiste à nouveau particulièrement sur le message envoyé par l'Esprit de l'Eau, et par l'attention qu'il a ensuite portée, au cours des heures suivantes, à chaque franchissement de cours d'eau.
A cet instant, il rouvre les yeux. Le Grand Maître le fixe depuis le début du récit, avec attention, comme s'il voulait percevoir au-delà des mots du jeune homme. Owen s'attend à une ou deux questions sur le message des Esprits, mais le Grand Maître l'invite simplement à continuer. Il poursuit alors avec l'incident avec le sinuire.
- Reviens sur tes impressions du combat.
- Il faisait nuit, et même si la lune éclairait assez nettement la rivière, il faisait sombre sous l'eau, sans compter que ses mouvements remuaient la vase. Je l'ai combattu à l'instinct. Je ne voulais pas blesser la reine non plus. Je voulais juste qu'il la lâche, pour la ramener au rivage. J'y suis parvenu et j'ai rompu le combat.
- Hum, bien. Pourquoi ne l'as-tu pas achevé ?
- La santé et la vie de la reine me semblaient être prioritaires sur le sinuire. Je l'ai blessé, c'est certain. Mais en effet, je ne peux assurer de l'avoir tué.
- Je pense que ce n'est pas le cas. Et son esprit est en colère. Tourmenté, il est plus dangereux encore. Un jour, tu devras à nouveau l'affronter. Où ? Pour l'heure, moi-même je l'ignore.
Owen baisse les yeux. Il n'est pas étonné de ces propos.
- Vous avez sondé les Esprits, Grand Maître ? Pour savoir que le sinuire est encore en vie ?
- Oui, répond-il gravement.
Owen opine. Ce combat était difficile. Surtout parce que le sinuire tenait Kaïra prisonnière. Sans cela, il lui aurait été plus aisé de lutter. Et sans doute l'aurait-il tué.
- Je le combattrai à nouveau puisqu'il le faut, dit-il après un petit moment de silence.
- Bien. Pour l'heure, je vais avoir autre chose à te confier. J'ai reçu un signe des Terres de Lessar. Ils ont besoin d'aide. Le roi n'a pu quitter son royaume pour se rendre à la réunion des Régnants. Tu vas te rendre au plus vite auprès d'eux, savoir de quoi il retourne et les aider si nécessaire.
- Le royaume de Lessar est très éloigné. Il me faudra de longues journées pour l'atteindre. Si vous estimez qu'il y a là-bas un danger, j'espère ne pas arriver trop tard.
- Tu partiras dès demain.
- Seul ?
- Oui. Mais tu me feras savoir, une fois là-bas, s'il est nécessaire que je me rende auprès du roi.
- Bien, Grand Maître.
Il hésite un instant. Puis renonce à parler. Demander ce qu'il adviendra de l'escorte de Kaïra serait révéler sa préoccupation pour la jeune souveraine. Et il sait qu'il doit la cacher. Mais cette hésitation n'a pas échappé au Grand Maître et il répond à la question qu'Owen ne lui a pas posée.
- Olaf assurera l'escorte du retour de la reine Kaïra et des siens. Un autre Gardien ou une Gardienne l'accompagnera. Il est aussi possible que je fasse le voyage avec eux, en fonction de ce que tu m'apprendras concernant ce qui se passe en Lessar. Pour l'heure, je ne prends encore aucune décision et je te demande de ne parler de ta mission à personne. J'ai prévenu Olaf que j'allais avoir besoin de toi.
Owen opine.
- Bien, Owen. Maintenant, buvons un peu.
Et il lui tend une coupe contenant un liquide fruité et relevé par quelques épices, très agréable à boire après une longue discussion.
**
Après son entretien avec le Grand Maître, Owen s'est préparé pour le voyage. Il rassemble ses affaires, vérifie l'équipement d'Ingir avec soin. La jument batifole dans un pré, au-delà des jardins et il la rejoint. En le sentant approcher, elle galope joyeusement vers lui. Il la flatte, alors qu'elle cherche à mordiller son épaule. Cela le fait rire :
- Arrête, Ingir. Calme, ma belle, calme. Tu vas bien ?
Elle répond par un léger hennissement. Il la caresse encore un peu, sur les flancs, sur son encolure, puis il dit :
- Nous devons partir demain, ma belle. Le Grand Maître me renvoie en mission. Tu vas devoir abandonner tes amis ici. N'oublie pas de dire au revoir à Sylmaria...
La jument frotte doucement sa tête contre l'épaule du jeune homme.
- Et moi, tu me dis de ne pas oublier de dire au revoir à Kaïra... Hélas... soupire-t-il. Oui, oui, je le ferai. Promis.
Il garde un instant le silence, puis ajoute :
- Nous avons un long voyage à faire, Ingir. Le Grand Maître nous envoie jusqu'en Lessar.
La jument se laisse encore caresser un moment, puis elle fait volte-face et galope vers le troupeau qui s'est rassemblé sous de grands arbres, à l'autre bout du pré. Owen les regarde un moment, puis, le soir tombant, il regagne lui aussi leur campement. Chemin faisant, son pas se fait lourd. Il n'a guère envie de parler avec quiconque, pas même Olaf. Une tristesse rarement ressentie l'étreint. Il chemine alors un peu au hasard, dans les jardins. Ses pas le mènent presque jusqu'à la résidence des Gronfalls et il sort de ses pensées en sentant le parfum suave des roses qu'il a fait découvrir à Kaïra. Il s'adosse un moment contre le mur supportant le rosier. Le calme tombe sur les jardins, sur les différents campements. "Il est tard", songe-t-il. "Je devrais rentrer moi aussi. De longues journées m'attendent. Mais quand vais-je lui dire au revoir ?"
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