Chapitre 8 (troisième partie)

9 minutes de lecture

Quand Owen regagne leur campement, le calme n'y règne pas encore tout à fait. A travers les lourds rideaux qui ferment la fenêtre de la reine, il voit percer un trait de lumière signe qu'elle n'est pas encore couchée. Il jette un œil vers sa propre petite tente, à côté de celle d'Olaf, mais se dirige vers la résidence royale. Le garde le salue simplement. Ils sont tous habitués à sa présence et aucun ne s'étonne de le voir entrer, même à cette heure. D'un pas décidé, il gagne l'antichambre de la reine, frappe doucement à la porte. C'est Nemna qui lui ouvre.

- Maître Owen ? s'étonne-t-elle.

- Pardonnez-moi de venir si tard, mais je dois parler à la reine. C'est important. Peut-elle me recevoir ?

- Attendez ici, je vais la prévenir.

Il entre dans le petit salon, là où s'est déroulé l'entretien entre Kaïra et le Grand Maître, quelques heures plus tôt. Un murmure de voix lui parvient depuis la chambre. Puis la porte s'ouvre et Nemna s'efface pour le laisser entrer. Kaïra est coiffée pour la nuit, de cette lourde tresse qui descend jusqu'en bas de ses reins. Elle porte une robe d'intérieur qui dissimule sa robe de nuit, comme les pans d'un long manteau qui la recouvriraient. Son regard est interrogateur, mais son visage est fermé, comme toujours. Son visage royal. Il s'incline respectueusement, va pour parler, mais Kaïra le devance :

- Qu'on nous laisse seuls, je n'ai plus besoin de rien, ordonne-t-elle si fermement que Nemna et Nijma quittent rapidement la chambre, non sans échanger un regard inquiet.

Owen attend que la porte se soit refermée pour relever la tête et fixer la jeune souveraine. Il ne dit pas un mot durant de longues secondes, puis un geste de Kaïra le tire de ses pensées :

- Owen ? Que se passe-t-il pour que vous veniez à cette heure ?

- Je voulais vous dire au revoir, Kaïra.

Les grands yeux noirs s'ouvrent d'étonnement.

- Au revoir ? Vous partez ? Pourquoi ?

- Je ne peux vous dire pourquoi, ni pour où. Le Grand Maître m'a confié une nouvelle mission.

- Oh !

La tristesse qui s'affiche sur son visage n'est pas feinte.

- Alors, c'est pour cela qu'Olaf vous a remplacé cet après-midi ?

Il hoche simplement la tête. Elle reste silencieuse, toujours droite et très digne, fait quelques pas vers la fenêtre, avant de revenir vers lui.

- Quand partez-vous ?

- Demain. A l'aube.

Un violent frisson agite la jeune fille. Il reste figé par la transformation qu'il voit s'opérer sous ses yeux. La tristesse, puis le sérieux, la réflexion, font place désormais à une douceur inattendue. Il voit sa poitrine se soulever en une longue inspiration, comme parfois lorsqu'elle doit faire part d'une décision importante à ses conseillers, à son entourage.

- Alors, il ne nous reste plus beaucoup de temps..., dit-elle en s'approchant si près de lui qu'il pourrait la toucher aisément.

- Plus beaucoup de temps... ? interroge-t-il.

A nouveau, elle respire profondément.

- Pour nous.

Puis elle porte doucement sa main vers son visage, caresse sa joue. Il frémit. Comme lorsqu'elle a posé sa main sur son bras, dans la forêt. Mais les mots qu'elle prononce alors le font trembler jusqu'au plus profond de lui-même.

- Je veux que vous me touchiez. Comme personne encore ne l'a fait. Comme personne ne le fera jamais. Je ne veux pas que vous partiez sans vivre ces moments-là.

Le regard d'Owen se charge de gris, de vert, de bleu. Elle ne saurait en décrire la couleur à cet instant. Mais quand il prend ses lèvres et referme ses bras autour d'elle, elle en comprend parfaitement la signification. Il l'embrasse avec douceur, ouvrant tendrement le chemin de ses lèvres, goûtant à la saveur de sa bouche, lui offrant une découverte délicieuse. Quand il rompt leur baiser, la tenant toujours par la taille, il appuie son front contre le sien, plongeant son regard dans les beaux yeux noirs.

- Le voulez-vous vraiment ?

- Je n'ai guère de liberté, dans ma vie. Mais je veux avoir celle de choisir celui qui me fera femme. Et je ne veux nul autre que vous.

Et elle glisse ses mains derrière son dos, pour dénouer la lourde tresse et libérer ses cheveux, comme si elle-même se libérait ainsi de son devoir royal, de sa charge de souveraine, et devenait ce qu'elle est au fond d'elle-même, une toute jeune femme amoureuse.

Il reprend ses lèvres en un nouveau baiser, et déjà ses mains se glissent sous les pans de la robe sombre, les écartent, et trouvent la fine étoffe de sa robe de nuit, semblable à celle qu'elle portait quand il est intervenu pour chasser le prince Bramé. Quand ses doigts frôlent sa peau, tous deux tremblent devant ce ravissement merveilleux. La première robe est déjà au sol, et Kaïra lui apparaît soudain si fragile dans sa robe de nuit, de fin tissu, qui laisse deviner aisément ses formes. Le cœur battant, il la dégrafe, découvre la naissance de ses seins, puis une épaule, l'autre, et la voilà nue, devant lui. Elle laisse échapper un petit soupir, presque surprise, puis noue ses bras autour de son cou. Il la soulève alors, la menant vers le lit, sans la quitter des yeux. Il l'étend au creux des draps, se débarrasse rapidement de ses propres vêtements et s'allonge à ses côtés. Et il n'y a plus ni reine, ni Gardien. Il n'y a qu'une jeune femme et un jeune homme, amoureux, qui se donnent l'un à l'autre, qui se donnent en quelques heures ce qu'ils ne pourront peut-être pas se donner de toute leur vie.

**

Owen n'a presque pas dormi. Il a aimé Kaïra et veillé sur son sommeil. La nuit est belle, mais l'aube n'est plus très loin, il le perçoit. Elle dort à ses côtés, sereine. Ses longs cheveux dénoués forment une masse sombre sur les draps, sur l'oreiller. Il en a apprécié l'infinie douceur, la souplesse. Il la regarde pour se souvenir de chacun de ses traits, des petites ombres que la lumière vacillante d'une torche forme autour de son nez, derrière son oreille. Doucement, il laisse glisser sa main sur sa mâchoire, puis son cou et descendre vers son sein, petit, mais rond, à la peau si fine qu'il a eu peur, un instant, plus tôt dans la nuit, que ses baisers n'y laissent une trace. Mais non, la peau est restée bien blanche, légèrement veinée de bleu par endroits. Sa respiration est encore calme, quand il pose ses lèvres sur la petite pointe sombre. Mais il la sent réagir et quand il reporte les yeux sur elle, elle est réveillée.

- Est-il l'heure, déjà ? demande-t-elle dans un souffle.

- Non, pas encore. Mais je vais devoir bientôt vous laisser.

- Alors, aimez-moi encore, une fois..., dit-elle en tendant les mains vers lui.

Quand il s'écarte, elle lutte pour ne pas le retenir. Pendant qu'il se rhabille, elle se redresse dans le lit et, quand il se retourne, il la découvre, les draps refermés autour de ses hanches, cachant ses jambes, mais le buste totalement découvert, ses longs cheveux noirs descendant en vagues dans son dos, sur ses bras, couvrant ses épaules. Il se baisse pour ramasser la robe blanche, dont elle se revêt prestement. Puis elle se lève et se dirige vers la fenêtre.

- Sortez par ici. Les gardes ont été relevés durant la nuit. Nul ne vous verra par là.

- Vos suivantes ?

- Elles ne diront rien, sourit-elle avec confiance.

- Prenez soin de vous, dit-il en l'enlaçant pour la garder encore un instant contre lui.

- Owen... je vous donne mon cœur. Gardez-le précieusement.

- Je vous donne le mien, Kaïra. Veillez sur lui, lui répond-il avant de l'embrasser longuement.

- Revenez-moi...

Il s'écarte un peu, soulève un pan de sa tunique, dégage un petit sac de peau, qu'il ouvre. Il en sort un disque plat, qu'elle reconnaît aussitôt.

- Vous en avez un, n'est-ce pas ?

- Oui, répond-elle avec gravité.

- Prenez-le.

Elle s'écarte, s'approche d'un petit meuble dont elle ouvre l'un des tiroirs avec une clé soigneusement cachée. Elle en sort une pochette en tissu souple dont elle extrait un disque semblable, puis revient vers le jeune homme. Il le prend, le pose sur le sien, ils sont exactement du même diamètre, comme tous les disques remis aux Gardiens et aux Régnants.

- Venez, dit-il simplement en se dirigeant vers la fenêtre. Là-bas, vous voyez le petit groupe d'étoiles ?

- Oui, au-dessus de l'arbre qui se détache un peu du bois ?

- Exactement. Un peu sur la droite, il y a une petite étoile, solitaire.

- Je la vois.

- Si vous êtes en danger, s'il faut que je revienne vers vous car vous estimeriez que moi seul peux faire quelque chose pour vous, prenez votre disque et portez-le en direction de cette étoile. Pensez très fort à moi. Alors, je reviendrai. Même si je suis à l'autre bout des Hautes Terres. Même si je suis parti pour le pays des Grands Froids. Le voyage sera long, mais je viendrai.

- C'est votre étoile ?

- Oui. Mais gardez cela secret. Seuls des membres de notre Ordre peuvent connaître les étoiles des uns et des autres.

- Nul ne le saura de ma bouche.

Owen tend alors les deux disques vers l'étoile, en capte la faible lumière, puis redonne le sien à Kaïra, sans lui avoir donné d'explication sur ce petit cérémonial. Elle ne lui pose pas non plus la moindre question, estimant que cela fait partie des secrets des Gardiens. Et que ce qu'Owen lui en a dit est déjà bien plus que ce qu'il peut révéler.

- Penserez-vous à moi comme je penserai à vous ?

- Oui. Chaque soir, avant le sommeil, ma dernière pensée sera pour vous.

Elle se blottit un instant contre lui, voulant profiter d'une dernière étreinte. Puis elle s'écarte, courageuse.

- Allez, maintenant.

Il s'approche de la fenêtre, l'entrouvre, se glisse à l'extérieur, puis se retourne pour déposer un dernier baiser sur ses lèvres. Il se fond ensuite dans la nuit pâlissante ; vers l'est, déjà, le jour s'avance.

Elle le verra s'éloigner, quelques instants plus tard, sur Ingir, son long manteau replié autour de lui, les sabots de la jument résonnant comme un chant léger sur le sol parsemé de rosée.

**

Au petit matin, alors qu'Owen est déjà loin d'Altassaïr, Nemna et Nijma entrent dans la chambre royale, comme elles le font chaque matin. Nuka et Naïna sont en train de s'occuper de Dame Hilayna. Le sommeil de Nemna a été agité, Nijma n'a pas beaucoup mieux dormi, mais elle est plus calme que son amie. Elle est aussi de nature moins anxieuse. Contrairement à son habitude, la reine est déjà levée quand elles entrent. Elle est assise devant sa coiffeuse, passant elle-même le peigne dans ses cheveux dénoués. Malgré leur étonnement, aucune ne fait la moindre remarque. Nijma prend la brosse que la reine lui tend et poursuit la réalisation de la coiffure. Pendant ce temps, Nemna prépare ses vêtements. Aujourd'hui se déroule une importante réunion entre tous les Régnants. Elles l'aident à s'habiller, puis Nijma termine la coiffure, avant de présenter le coffret à bijoux à la reine. Kaïra choisit avec soin ceux qu'elle va porter.

Nemna s'active à ranger les vêtements de la nuit, à refaire son lit. Mais un cri de surprise lui échappe quand elle découvre quelques gouttes de sang sur le drap blanc. Kaïra se retourne si vivement que Nijma laisse échapper le collier qu'elle était en train de lui fixer.

- Qu'y a-t-il, Nemna ? demande Kaïra avec fermeté.

- Majesté... êtes-vous blessée ? hésite un temps la jeune suivante en désignant les marques rouges.

Le visage de Kaïra se ferme, elle se redresse lentement, fixe les deux jeunes filles et dit :

- Je ne suis pas blessée. Pas un mot à Dame Hilayna. Si quoi que ce soit de ce qui est arrivé depuis hier soir lui parvient, je le saurai et je saurai qui a parlé. Je vous aime et je vous fais confiance. Ne me trahissez pas !

- Vous êtes notre reine, nous vous servons. Nous mériterons votre confiance, dit Nijma en la regardant avec douceur.

Nemna opine, mais son regard demeure inquiet.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0