Chapitre 10 (deuxième partie)
Alors que le premier rayon du soleil apparaît derrière la montagne, Owen, debout devant la fenêtre de sa chambre, songe à Kaïra. Ce soir, il affrontera le dragon. Il ne sait pas encore si ce jour est le dernier de sa vie, ou s'il parviendra à vaincre le danger qui menace Lessar et ses habitants. Mais il sait qu'il n'a pas d'autre choix que de le combattre. Que c'est son devoir, et qu'y renoncer, ce serait trahir son Ordre, ses amis, et tout ce qui a fait sa vie. Il espère qu'Olaf aura pu la raccompagner sans encombre jusqu'à Rankir, qu'elle ne court désormais plus aucun danger, ni menace de la part du prince Bramé.
Il commence sa journée par un entretien avec le roi, puis demande à s'isoler. Il veut pouvoir méditer, rester concentré. Le roi a donné des ordres en ce sens, comprenant que le Gardien va affronter le dragon le soir-même.
Les heures passent, lourdes, lentes. Mais Owen n'en a pas vraiment conscience. Son cœur reste tourné vers ce que les Esprits lui ont fait savoir. Il réfléchit aussi à la manière de combattre. En début d'après-midi, il s'engage avec quelques gardes sur un étroit chemin dans la montagne, pour approcher au plus près du passage par lequel descendra le monstre.
Les hommes qui l'accompagnent sont courageux et endurants, mais même les plus courageux ressentent la peur lorsque tremble la montagne. Owen a bien noté à quel endroit, la veille, le dragon s'était arrêté. Il sait qu'il va descendre un peu plus bas et voudrait le surprendre à ce moment-là. Il laisse sa petite escorte en arrière, à un détour du chemin enneigé, pour que le dragon ne les repère pas trop tôt. Et lui-même poursuit son chemin, jusqu'à un bosquet de pins dénudés. Il s'y glisse, se retrouvant ainsi un peu en hauteur. Les minutes passent, la montagne tremble de plus en plus, et d'autant plus qu'il se trouve très près du monstre.
Il fait le vide en lui, non seulement pour rester concentré sur ses propres forces, sur le soutien des Esprits, mais aussi pour ne pas être senti par le flair aiguisé de son ennemi. Son épée à la main, il attend. Il ne pourra pas porter beaucoup de coups, peut-être un seul. Il doit bien viser.
Enfin, la neige se soulève, signe que le dragon est proche. Owen en devine la masse imposante malgré le nuage blanc. Le dragon poursuit sa marche, lente, mesurée, d'un pas pesant. Owen le laisse passer devant lui, les yeux légèrement plissés pour se protéger de la poudreuse qui vole, mais aussi pour se concentrer sur son objectif : la base du cou de l'animal. Les jambes pliées, en position d'attaque, il se jette d'un bond vers le sentier, il s'enfonce dans la neige, plus qu'il ne l'avait estimé, mais parvient à rester ferme sur ses jambes. A peine a-t-il touché le sol qu'il lance son épée en avant, visant le cou.
Le dragon a deviné sa présence et se retourne vivement, avant que l'épée d'Owen ne l'ait touché. Il se dresse aussitôt sur ses pattes arrière, pour tenter de l'écraser de tout son poids en retombant vers l'avant. Mais Owen a anticipé le mouvement et se précipite vers l'avant, ne perdant pas du regard son objectif. Il plonge son épée avec force dans le cou de l'animal qui lui retombe dessus en poussant un cri terrifiant.
Mais il est touché mortellement et malgré ses tentatives pour se débattre, il s'effondre dans la neige, non sans bloquer Owen sous lui.
Entendant le cri d'agonie du dragon, l'escorte d'Owen s'est rapprochée, les hommes plein d'espoir. Mais s'ils voient le monstre étendu dans la neige, mort, ils ne voient nulle trace d'Owen. Inquiets, ils s'approchent cependant.
- Où est passé Maître Owen ? dit l'un, étonné.
- Il n'y a aucune trace dans la neige..., poursuit un autre en observant les alentours avec attention.
- Et s'il était en-dessous ? Il faut soulever le dragon ! renchérit un troisième.
S'aidant de leurs bâtons de marche et de leurs armes, ils parviennent à pousser la lourde masse. Owen gît, enfoncé dans la neige, couvert d'un liquide verdâtre, le sang du dragon, l'épée encore à la main, inanimé.
- Il faut le redescendre sans tarder ! Va chercher des secours ! dit le troisième en s'adressant à l'un de ses compagnons.
Celui-ci part aussitôt vers la ville, ses compagnons s'organisant pour porter le jeune homme.
**
C'est à la nuit tombée qu'ils parviennent dans la grande cour du château, éclairée par de nombreuses torches. Owen, toujours inanimé, est aussitôt conduit dans sa chambre, où un bon feu a été allumé. Le guérisseur royal s'active autour de lui. Quelques heures plus tard, il sort de la chambre et gagne le salon où le roi et la reine, inquiets, attendent des nouvelles.
- Il est toujours inconscient, Majesté, dit le guérisseur. J'ai fait de mon mieux. Il est de bonne constitution et nos hommes sont intervenus vite. Mais le dragon était lourd, il a les côtes brisées et de nombreuses contusions. J'espère qu'il se réveillera dans les prochaines heures. Il faut le veiller. Je vais rester auprès de lui, avec mon disciple.
- Bien, dit le roi. Merci. Faites-nous savoir toute évolution. Demain, nous annoncerons à la population que tout danger est désormais écarté.
Mais le bruit de la mort du dragon court déjà dans toute la ville, le royaume, bien avant l'aube. Des messagers sont envoyés pour porter la bonne nouvelle et de grandes réjouissances s'organisent.
Owen sort de son inconscience deux jours après son combat. Encore fiévreux et sujet à de grandes douleurs, il ne peut bouger. Sa convalescence va durer plusieurs semaines, mais dès qu'il sera en mesure d'évaluer lui-même l'étendue de ses blessures et qu'il fera fabriquer certaines préparations, son état de santé s'améliorera nettement.
Alors que le royaume de Lessar retrouve la quiétude, ce n'est qu'au cœur de l'hiver que le jeune Gardien des Origines sera à nouveau en état de remonter en selle. Mais les mauvaises conditions hivernales, le vent coupant, la neige abondante, le feront rester dans la ville plus longtemps qu'il ne l'aurait souhaité.
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