Chapitre 11 : Le retour en Rankir

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Alors qu'Owen atteint les frontières du royaume de Lessar s'achève la réunion des Régnants en Petimont. Plusieurs délégations sont déjà reparties, parmi celles qui ont le plus long chemin à effectuer pour rentrer dans leurs royaumes respectifs. Kaïra et les siens se préparent également. Quelques jours auparavant, le Grand Maître lui a fait savoir qu'il les accompagnerait jusqu'en Rankir, mais qu'il avait jugé judicieux d'accepter de voyager avec la délégation du prince Galiané. Cette décision n'enchante guère Kaïra, même si c'est la plus sage et, diplomatiquement, la meilleure. Comme lui ont rappelé plus d'une fois ses conseillers, se fâcher avec le prince héritier ou simplement négliger sa proposition ne serait pas une bonne chose. Une période trouble s'annonce pour le royaume de Salarin et cela pourrait déborder dans leur propre royaume. Ils pourraient aussi, si ces troubles devenaient plus graves, se retrouver coupés du reste des terres habitées.

Kaïra a bien cela en tête lorsque, ce matin-là, elle s'apprête à prendre congé du roi Erandur et le remercier pour les riches semaines passées. Elle est accompagnée de Dame Hilayna, de Lorrek et de Van'dal, ainsi que de Maître Olaf.

La veille, ce dernier a demandé au Grand Maître s'il avait des nouvelles d'Owen. Il lui a répondu qu'Owen remplissait pour l'heure la mission qui lui avait été confiée. C'est une réponse brève, mais suffisante. Elle aurait dû satisfaire Olaf, mais ce dernier ne peut s'empêcher de ressentir dans son cœur une certaine inquiétude pour son jeune compagnon, parti seul, si loin, pour affronter un danger encore inconnu d'eux tous, y compris du Grand Maître.

Le convoi des deux délégations, celle de la reine Kaïra et celle du prince Galiané, quitte la ville d'Altassaïr par une belle fin de matinée. Les premières heures de voyage s'annoncent plaisantes. Kaïra aurait aimé les passer à cheval, mais elle y a aisément renoncé, à la grande satisfaction de Dame Hilayna. Mais les raisons qui ont poussé la jeune souveraine à ce choix ne sont pas les mêmes que les motivations de sa dame de compagnie. Pour Hilayna, il est plus sûr de voyager dans un lit à porteurs, pour Kaïra, c'est le seul moyen d'échapper à l'intérêt du prince Galiané. Et même si elle appréhende ce voyage en sa compagnie, elle se rend compte bien vite que les heures de la journée, isolée, lui permettent aussi de se reposer, de réfléchir à tout ce qui est survenu au cours des semaines passées, que ce soient les négociations avec les Gronfalls, les rencontres avec d'autres souverains, les questions abordées lors des débats, mais aussi les changements survenus dans sa vie privée, intime.

Comme toujours, dès qu'elle a un moment de tranquillité, ses pensées s'envolent vers Owen. Le souvenir des moments passés ensemble, lors du voyage aller comme leurs étreintes, lui revient longuement à l'esprit. Si cela lui apporte des moments de joie, cela l'inquiète aussi. Leurs sentiments sont contraires à l'Ordre des Gardiens, elle le sait. Mais elle ne peut les nier, ni aller contre son propre cœur.

"Il m'a demandé de veiller sur le sien... Owen... Où allons-nous ? Nous reverrons-nous ? Quand ? Quel avenir avons-nous ?"

Ces questions la tourmentent régulièrement et lui gâchent le voyage. Rares sont les personnes qui perçoivent l'inquiétude de la reine, et ceux qui le font n'en soupçonnent pas les raisons, hormis Olaf et, dans une moindre mesure, le Grand Maître. Mais ce dernier ne se permet aucune allusion à Owen devant la reine, et il évite même de parler de lui avec Olaf.

La traversée de la forêt s'est effectuée sans difficulté, ni mauvaise rencontre. En la quittant, le convoi ne prend pas la direction de Ménaru, comme à l'aller, fief du prince Bramé, mais celle de la capitale, Sala. Le prince Galiané a demandé au Grand Maître si ce dernier acceptait de faire un petit détour pour rencontrer le roi, son père, et celui-ci a répondu favorablement à cette proposition. Il veut en profiter pour se faire une idée plus précise de l'atmosphère dans la capitale et voir si ses connaissances peuvent être d'un certain secours au roi malade.

Kaïra et les siens ne savent que penser de cette étape à venir et si beaucoup sont soulagés de ne pas repasser par Ménaru, plusieurs s'inquiètent cependant de savoir leur souveraine demeurer en Salarin plus longtemps que prévu. Ils espèrent que le Grand Maître ne voudra pas rester dans la capitale pour une trop longue durée et qu'ils reprendront bientôt leur route pour Rankir. Ce voyage a été fructueux, mais aussi mouvementé, et ils aspirent à retrouver leur monde. Olaf perçoit aisément cette inquiétude, d'autant qu'elle est exprimée par des personnes dont il est devenu proche, comme Limur.

**

La ville de Sala est une grande et belle ville qui s'étend dans une plaine riche, traversée par deux cours d'eau. Contrairement à Ménaru qui est une ville fortifiée, Sala fait vraiment figure de capitale du royaume. D'une certaine façon, elle rappelle Altassaïr aux visiteurs, mais plus par l'atmosphère qui s'en dégage que par l'architecture. Si à Altassaïr, l'habitat était assez disséminé, avec de vastes jardins, ici, il est plus resserré, mais de belle facture. On sent une ville riche, commerçante, un royaume puissant.

Pour entrer dans la capitale, Kaïra est montée à cheval. Lorrek et Limur planent à ses côtés, veillant directement sur elle. Il n'aurait pas été convenable que la reine du royaume voisin entre en cachette, en secret, dans la ville. Si une grande partie de son escorte est conduite au palais royal, le reste est hébergé à proximité. Kaïra - comme Olaf également - n'a pas le sentiment d'être coupée de ses gens. L'accueil est d'ailleurs chaleureux et respectueux, et la jeune souveraine se dit que cette étape va peut-être être plus agréable qu'elle ne le pensait.

Après un temps de repos, ils sont invités à partager un premier repas, avec le cercle des conseillers du roi. Celui-ci, toujours alité, ne peut être présent, mais il a fait savoir à Olaf et Van'dal qu'il recevrait la jeune reine avec plaisir dès le lendemain. Le Grand Maître s'est rendu à son chevet dès leur arrivée et rejoint le banquet peu après.

A cette occasion, Kaïra fait aussi connaissance avec la princesse Jebora et le jeune prince Jarbek, sœur et frère de Galiané et de Bramé. Le jeune prince lui rappelle quelque peu elle-même, enfant, face aux responsabilités qui l'attendaient. Sauf que lui ne peut espérer exercer ces responsabilités, sauf défaillances de ses aînés. Quant à la princesse, Kaïra est aussitôt sur ses gardes. Son regard autoritaire et obséquieux lui rappellent Bramé, sur son front, on peut lire son ambition démesurée. Durant l'absence de son frère aîné, et Bramé se trouvant toujours à Ménaru, elle a aussi conforté son assise. Olaf et le Grand Maître le perçoivent très vite : désormais, en Salarin, il faut compter avec elle.

Au cours du repas, l'inimitié entre Galiané et Jébora sera à plusieurs reprises révélée, même à mots couverts. Kaïra est assise entre les deux princes, Olaf à la gauche de Jarbek, le Grand Maître et Jebora entre autres face à eux. Kaïra est heureuse de la présence proche du jeune prince et apprécie d'écouter le récit qu'Olaf lui fait de leur voyage, racontant surtout des anecdotes. Elle devine Jarbek curieux, mais de cette curiosité intelligente. Elle se dit aussi que le jeune prince doit se sentir par moments bien seul, son père très malade, sa mère décédée, et ses frères et sœur se battant pour le trône.

"Qui prend soin de lui ? Qui s'intéresse à lui ? Sur qui peut-il compter ? Chacun ici sert un des prétendants, il faut louvoyer à chaque instant, être toujours sur ses gardes... Pauvre enfant... Même si je me suis sentie bien seule après la mort de mon père, j'étais bien entourée. Les gens qui étaient avec moi pensaient à mon avenir, à celui du royaume. Ils le font encore. Aucun ne voulait le pouvoir, pas même le poste de Premier Conseiller. Ils savaient qu'ils l'exerceraient à tour de rôle. Dame Hilayna aussi a veillé sur moi. Mais lui ? Qui veille sur lui de manière désintéressée ?"

Elle se promet, si le séjour se prolonge, de s'octroyer un peu de temps pour parler avec lui, lui faire découvrir aussi les Aériens et lui parler des Delphiniens, des caractéristiques de son peuple.

**

C'est avec une certaine appréhension que, le lendemain, Kaïra se rend auprès du roi. Etendu dans son lit, le visage maigre et fatigué, les cheveux gris, il lui apparaît vraiment comme un souverain à bout de souffle. Sa visite est une pure visite de courtoisie, il n'est pas question de parler d'accords, de négociations, de politique. Le roi s'inquiète cependant de sa jeunesse, de la façon dont elle assume sa tâche. Il lui rappelle avoir vu son père à de nombreuses reprises et avoir toujours entretenu de bonnes relations entre leurs deux royaumes. Il espère qu'il en sera ainsi, demain.

- C'est aussi mon souhait, Majesté, répond Kaïra. Et j'oeuvrerai au mieux pour que la paix demeure.
- Vous êtes bien jeune, mais déjà avisée, je le devine, répond le vieil homme. Cela est rassurant pour moi.

Elle reste un peu encore, mais un signe discret du Grand Maître lui fait comprendre qu'elle ne doit pas s'attarder. D'ailleurs, les yeux du roi ont tendance à se fermer plus que de raison. Elle prend congé de lui, sans savoir qu'elle ne le reverra pas.

Le Grand Maître la raccompagne et lui propose une petite promenade dans les jardins du palais, certes moins étendus que ceux d'Altassaïr, mais agréablement ombragés.

- Comme vous l'avez vu, commence le Grand Maître, le roi est très fatigué. Je ne lui donne plus que quelques lunes à vivre. Je ne suis pas certain qu'il reverra le printemps.
- Que pensez-vous de la situation ici, Grand Maître ? demande doucement la jeune femme.
- Je crains que deux des prétendants ne s'allient contre le troisième, puis qu'il y ait une lutte acharnée. Des désordres sont à craindre. Et si Galiané a le droit d'aînesse pour lui, il n'est pas forcément très apprécié par son peuple et les défections sont nombreuses parmi les soldats.
- Pensez-vous que Bramé soit mieux perçu ?
- Dans un sens, oui. Il fait beaucoup de promesses, il achète les uns et les autres avec des richesses, il met aussi en place toute une nouvelle hiérarchie. Certes, Galiané a plus de contacts avec l'extérieur, et il a été reconnu comme l'interlocuteur privilégié pour Salarin par la plupart des participants à la réunion des Régnants. Mais le soutien de l'extérieur n'est rien sans assise solide dans son propre royaume.
- Et la princesse ?
- Elle joue son propre jeu. Elle attend son heure, pose quelques pions. Elle soutiendra dans un premier temps l'un ou l'autre de ses frères, selon celui qui lui paraîtra avoir le plus de chance de l'emporter.
- On dirait qu'elle penche pour Bramé.
- C'est ce qu'il paraît en effet, mais elle a tenu Sala. Alors que Bramé n'est qu'à Ménaru... Elle pense avoir un léger avantage sur l'un comme sur l'autre et négociera cher son alliance.
- Avons-nous quelque chose à craindre en Rankir ?

Le Grand Maître marche toujours à pas lents, mais il marque un petit temps de silence avant de répondre.

- Il n'est jamais bon de connaître des troubles dans un royaume proche. Pour l'heure, le calme règne et nous allons en profiter pour vous ramener jusque chez vous. Vous y avez à faire, et notamment concrétiser l'accord passé avec les Gronfalls. Sans compter tout ce qui doit vous occuper. Notre ordre restera particulièrement vigilant quant à la situation en Salarin. Si des troubles venaient à se produire chez vous, à dépasser les frontières, nous interviendrons. Vous savez comment nous prévenir.
- Oui.
- N'hésitez pas.

Elle acquiesce. Mais ses pensées se tournent à nouveau vers Owen. Si des difficultés surgissent et qu'elle doit appeler à l'aide, viendra-t-il ? Est-ce lui que le Grand Maître enverra jusqu'en Rankir ? Ou d'autres Gardiens ? Elle ne peut se permettre de poser la question et reste silencieuse. Le Grand Maître respecte son silence et tous deux retournent vers le palais.

**

L'étape à Sala se poursuivant, le lendemain de sa visite au roi, Kaïra a l'occasion de croiser le jeune prince Jarbek. Celui-ci semble heureux de la voir et de mesurer l'intérêt qu'elle lui porte. Ils passent un bon moment ensemble. Bien que jeune encore, il lui fait l'effet d'avoir de la réflexion, de l'intelligence. Elle ne parle pas avec lui des soucis du palais, de la maladie de son père. Elle s'enquiert plus de ses goûts, de ses centres d'intérêt. Il lui pose beaucoup de questions sur son voyage, mais aussi sur le Grand Maître et Maître Olaf. Par moment, elle est presque tentée de lui parler d'Owen, aussi, mais se retient. Nul ne doit deviner les sentiments qu'elle lui porte.

Tout en restant mesuré, Galiané de son côté ne manque pas la moindre occasion qui se présente pour la voir, s'entretenir avec elle, s'enquérir de son ressenti sur le voyage, ses impressions concernant la capitale. Il se montre cependant bien moins empressé que son frère, mais, la veille de leur départ, il prend cependant le temps de lui parler plus sérieusement. Lui aussi lui parle de l'avenir de son royaume, de leurs deux royaumes voisins. Sans parler pour autant d'union, il parle déjà d'alliance, d'entraide. Mais Kaïra perçoit bien le sens caché des mots du prince et ne s'engage à rien. Pour elle, l'important est de rentrer en Rankir, de reprendre de la distance avec tout cela et d'y réfléchir sereinement. Galiané a l'intelligence de ne pas insister, mais propose cependant une petite escorte jusqu'à la frontière. Ce sont le Grand Maître et Olaf qui tranchent cette question en en parlant avec Van'dal et Lorrek.

Enfin sonne l'heure de la dernière étape et après de longues semaines d'absence, c'est avec soulagement que tous quittent Sala. Ils vont bientôt retrouver leur ville, leurs proches, et savoir leur souveraine désormais à l'abri, après bien des aléas, est signe de réjouissance. Apprenant le retour de la reine, la population la salue sur son passage. Durant les quelques jours que dure la traversée du royaume, en attendant de parvenir jusqu'à la ville, Kaïra voyage à cheval. Ici, elle n'a plus rien à craindre. Ici, elle ne doit fuir aucune avance, aucune traîtrise.



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